Billets, info, nos droits, politique

Le débat sur les Mères porteuses est relancé

Le Monde nous apprend aujourd’hui que la très sérieuse académie nationale de médecine vient, alors même que débutent les états généraux de la bioéthique,
Selon cet avis, rendu par un groupe de travail sur les mères porteuses désigné par l’académie voici un an et demi considère que : 
la rupture entre la grossesse et la filiation « remet fondamentalement en cause le statut légal, anthropologique et social de la maternité », ce qui suscite de « légitimes réserves éthiques ». La gestation pour autrui engage en outre la gestatrice « dans un parcours qui n’est pas sans risque »(…) [source]
A bien y regarder, cet avis n’a rien d’un scoop.
La convention de mère porteuse est depuis longtemps un sujet de défiance pour notre droit en ce qu’elle touche à des valeurs essentielles de celui-ci.

En effet, [l’affirmation va faire bondir certains] en droit Français notre corps ne nous appartient pas vraiment.
C’est ce qu’on appelle le « principe de l’indisponibilité du corps humain ». 
Grâce à de ce principe, depuis longtemps dégagé par la jurisprudence, le corps humain se trouve « hors du commerce juridique » : on ne peut en principe pas faire du corps humain l’objet d’un contrat.
Or, convenir de faire porter son enfant par une autre, c’est nécessairement faire d’un corps l’objet d’un contrat.

Ce n’est pas tout, selon un autre principe tout aussi essentiel, l’état des personnes est en principe lui aussi « indisponible ».
Cela signifie notamment qu’on ne peut unilatéralement changer le nom, l’age ou e sexe d’un individu. 
Pour autant l’État des personnes n’est pas intangible. On peut par exemple changer de nom  ou de prénom dans certaines conditions (strictes) et même de sexe (dans le cas d’un transsexualisme « vrai »). 
En dépit de ces concessions,  avouez qu’un contrat qui prévoirait à l’avance pour un individu une filiation non conforme à la réalité à de quoi choquer. 


C’est d’ailleurs la position de la cour de cassation, qui avait cru bon de se réunir en assemblée plénière, ne serait-ce que pour donner une certaine solennité à son arrêt du 31.05.1991 qui jugeait que :
La convention, par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, contrevient aux principes d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. (cass plén 31.05.1991)
La question aurait pu en rester là du point de vue juridique. 
Mais, soucieux de dissiper le spectre du vide juridique qui hante l’imaginaire collectif,  nos parlementaire ont cru devoir créer un article 16-7 du code civil à l’occasion de la loi 94-653 du 29 juillet 1994 qui dispose que : 

« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »  

Cette disposition qui n’a guère d’autre mérite d’exister pour n’avoir rien changé à l’état du droit pourrait cependant être remise en cause dans les prochaines années.
  


En effet, un rapport du sénat intitulé « contribution à la maternité pour autrui » déposé le  25.06.2008 propose de créer un véritable statut légal pour encadrer les mères porteuses ; un statut qui ne serait pas contractuel mais étroitement encadré par le juge. 
Dans la continuité de ce rapport, une proposition de loi devrait être déposée  au Sénat dans les prochaines semaines.


Pour autant, la question promet de faire débat.
Déjà :

La ministre de la santé, Roselyne Bachelot, qui sera chargée de rédiger le projet de loi révisant les lois de bioéthique, s’est cependant déclarée hostile à cette pratique. « Comment imaginer que la démarche consistant à porter un enfant pour une autre femme puisse être un acte gratuit ?, demandait-elle dans un entretien à La Croix le 6 mars. Ce serait forcément entaché de considérations financières et cela perturberait toute notre éthique du don. Or, la gratuité du don est pour moi un point non négociable. » [source]

Quant à moi, je trouve la question passionnante mais je ne suis pas très sûr de mon avis.
Je ne sais pas.
Si j’ai beaucoup de mal à imaginer la détresse de ces couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant, pour autant je ne saurais la nier.
Par ailleurs j’ai déjà eu l’occasion de vous dire quelle est ma conception de la famille.
Dans ce contexte la « convention de mère porteuse » si elle est encadrée par  un juge garant des droits de chacun, peut effectivement sembler une solution. 
Mais pour autant ces enjeux valent-ils de faire de nouvelles concessions sur des principes aussi essentiels que l’indisponibilité du corps humain (qui n’est que la conceptualisation en droit de son caractère sacré) où l’indisponibilité de l’état des personnes (qui en droit fonde leur identité) ?

Encore une fois, je ne sais pas. 
Mais par chance, ce n’est pas à moi de répondre. 
Billets, brèves, nos droits

Ces francais qui roulent sans permis

Le Figaro avait un bon sujet ce matin.
Un vrai sujet de société, émergent, polémique, et sur lequel on pourrait agir immédiatement.
Faute de l’avoir compris le journaliste est « passé à coté » de sorte qu’il signe un article raté, et pour tout dire assez idiot :
Leurs employeurs ne sont pas autorisés à contrôler leurs points. Une faille pour la sécurité, comme le montrent de récents accidents de la route.
Le chauffeur de bus qui a fauché cinq personnes, dont deux adolescents de 13 et 14 ans, vendredi soir à Grigny (Essonne) avait fait l’objet d’un retrait de permis de conduire en septembre ­dernier. Cette affaire met en évidence les failles d’un système qui ­­­n’éta­­blit pas de connexion entre l’usage ­personnel et professionnel du ­capital de points d’un automobiliste. Au point que certains professionnels peuvent dissimuler à leur employeur l’interdiction qu’ils ont de prendre le volant. En effet, au nom du respect des libertés individuelles, la loi n’autorise pas un employeur, fût-il d’une société de transport public ou scolaire, à accéder à «l’état des lieux» du permis de ses employés. [source]
« L’état des lieux » est bon. Conséquence nécessaire de la politique répressive qui s’est installée en France depuis déjà quelques années ; un nombre croissant de conducteurs ne sont plus titulaires du permis de conduire.
A première vue, on pourrait d’ailleurs se réjouir du nombre croissant des annulations et suspensions du permis de conduire. On pourrait s’en réjouir si cela signifiait symétriquement moins de chauffards sur les routes.
Seulement, ce n’est pas l’exacte réalité.

Il y a quelques semaines déjà je vous expliquais qu’un nombre croissant d’infractions sans rapport direct avec la conduite peuvent aboutir à un retrait du permis de conduire.

Ne serait-ce que pour appuyer mon propos j’ai envie de vous raconter l’histoire de Monsieur X, une histoire vraie, jugée récemment et qui devrait vous surprendre.

Monsieur X a une vingtaine d’années, l’age où la poussée hormonale peut vous surprendre à tout moment.
Précisément sous l’empire d’une pulsion difficilement convenable Monsieur X fait un arrêt sur le parking d’une grande surface.
Il est minuit, et le parking est désert. Monsieur X, qui pense avoir trouvé un endroit discret se résout à satisfaire son besoin pressant.
L’esprit tout à la séance d’onanisme qui l’occupe Monsieur X ne prete aucune attention à la voiture qui s’approche, pas plus qu’au vigile intrigué qui se trouve à l’intérieur.
Lorsque le vigile arrive à la fenêtre, il est déjà trop tard pour tenter de cacher la nature de son activité.
Monsieur X a depuis été déféré devant le procureur de la république pour « exhibition sexuelle » et condamné à l’issue d’une procédure de « comparution sur reconnaissance de culpabilité » et condamné à… 6 mois de suspension du permis de conduire.
Dans la foulée, il a perdu son emploi de commercial, qui lui imposait d’être constamment en déplacement.
Je suppose que vous commencez à comprendre où je veux en venir.

Dès lors que l’on fait de la suspension du permis de conduire l’alpha et l’oméga de la sanction pénale sans tenir compte de l’impact véritable de cette sanction sur les prévenus, il ne faut pas s’étonner qu’un nombre sans cesse croissant d’entre eux conduisent malgré le retrait de leur permis.

Mais cette subtilité ne semble pas intéresser le journaliste du Figaro, trop pressé de mettre les chauffards hors d’état de rouler :
Pour éviter ce genre d’écueil, la seule possibilité pour les employeurs est de «demander à leur salarié de produire le certificat médical qui est délivré tous les cinq ans aux chauffeurs de poids lourds et de transports en commun au terme de leur visite obligatoire, explique un employé de préfecture, ou bien de vérifier s’ils ont leur permis en poche.» Car, après s’être vu notifier le retrait de leur permis, les fautifs ne sont plus censés en disposer.(…)
L’autre possibilité pour l’employeur est d’ajouter une clause au contrat de travail, obligeant le salarié à fournir un «relevé intégral» tous les ans, par exemple, c’est-à-dire une attestation de préfecture mentionnant le solde de points. Ce qui était précisément le cas pour le réseau Tice, la société qui emploie le chauffeur de Grigny, puisqu’elle oblige ses salariés à cette vérification tous les six mois.
Notez donc qu’il n’existe pas une, mais bien deux solutions à même d’empêcher des professionnels de rouler sans permis de conduire, deux possibilités qui relèvent du pouvoir de direction de l’employeur :
  • Prévoir à priori dans le contrat de travail la production périodique du relevé de situation intégrale
  • Demander au salarié de produire son permis de conduire avant de prendre le volant
Mais deux solutions, ça ne suffit visiblement pas au journaliste du Figaro :
Contrôlé juste avant son retrait de permis, le chauffard est passé entre les gouttes, la prochaine échéance étant prévue en mars. Un vide juridique dont convient Pierre Gustin, délégué général de l’association prévention routière. «Même s’il ne faut pas généraliser, dit-il en rappelant que sur les 40 millions de personnes qui ont le permis, moins de 2 pour 1 000 en sont privés, on pourrait envisager de changer la loi pour que les entreprises de transport public aient au moins accès à ces informations.»
Vide juridique… Je suppose qu’il veut parler du vide de ses connaissances juridiques…
Je l’ai déjà expliqué, le vide juridique n’existe pas pour la simple et bonne raison que la loi n’a pas à prévoir chaque « micro-situation » pour couvrir tout le champ du possible.
C’est d’ailleurs le travail quotidien des professionnels du droit : qualifier des faits pour leur appliquer la règle qui convient.
Ne vous inquiétez pas messieurs, nul besoin de créer un nouvelle loi. Celles qui existent ont déjà tout prévu.

Dans le cas de l’accident qui a motivé l’écriture de de l’article il aurait suffi que l’employeur vérifie plus régulièrement qu’il ne l’a fait que son salarié était bien en possession de son permis de conduire grâce au pouvoir de direction qui lui est reconnu par loi dès lors qu’il y a contrat de travail.

Preuve que le droit a pensé aux employeurs, ce pouvoir de direction leur permet même de faire passer des alcootest à leurs salariés conducteurs.

A ceux qui craignent en permanence le spectre du vide juridique : cessez de vous inquiéter ; le droit Français est un couteau suisse qui n’a pas fini de vous étonner.
Billets, justice, nos droits

Tiens ! Et si on tuait le juge d’instruction ?

Il est encore trop tôt pour s’alarmer puisqu’il ne s’agit pour l’instant même pas encore d’un projet mais juste d’un bruit de couloir amplifié par le Monde ce matin au point de devenir l’information du jour :

Nicolas Sarkozy envisage de supprimer le juge d’instruction pour confier l’ensemble des enquêtes judiciaires au parquet, sous le contrôle d’un magistrat du siège, appelé juge de l’instruction. Le chef de l’État devrait en faire l’annonce lors de la rentrée solennelle de la cour de cassation, mercredi 7 janvier.[source]

J’ai dit trop tôt pour s’alarmer, certainement pas pour réfléchir, bien au contraire.

Car la machine judiciaire, par nature imparfaite ne saurait faire l’économie de penser en permanence à des améliorations éventuelles. 

Voila les seules questions qui vaillent. Quel est le système actuel ? Quel serait l’apport de la réforme proposée ? 
Voyons donc. 
 
1- Quelques mots sur le procureur de la République
 Dans l’hypothèse où la loi qualifie des faits de crime délits ou contravention, l’action publique est en principe :

mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée. [art. 1 du CPP]
Selon l’article L 212-6 du code de l’organisation judiciaire c’est « Le procureur de la République [qui] représente, en personne ou par ses substituts, le ministère public près le tribunal de grande instance. »
Au surplus selon l’article 12 du code de procédure pénale c’est lui qui dirige la police judiciaire.  

En outre -et c’est particulièrement important pour la suite de nos développements- l’article 40 al. 1 du même code dispose que : 
Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1.
Il s’agit d’une faculté discrétionnaire, dans le cadre de laquelle le procureur de la République n’a pas à motiver sa décision. 
Selon l’article 40-1 le procureur a donc le choix de décider s’il est opportun :
1° Soit d’engager des poursuites ;
2° Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ;
3° Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.
Vous avez bien lu. Le procureur de la République peut décider de ne pas poursuivre des faits pourtant punis par la loi et ce sans se justifier.

La chose est d’autant plus particulière que le procureur de la République, magistrat du parquet ne bénéficie pas de l’indépendance propre au magistrats du siège.
  • Il est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice.
  • Il n’est pas inamovible. 
  • Ses décisions qui ne sont pas à proprement parler des décisions de justice ne sont pas susceptibles d’appel. 
2- Au sujet du juge d’instruction
Selon l’article 51  du code de procédure pénale.
Le juge d’instruction ne peut informer [c’est à dire enquêter] qu’après avoir été saisi par un réquisitoire du procureur de la République ou par une plainte avec constitution de partie civile, dans les conditions prévues aux articles 80 et 86.
 En clair, il intervient dans deux hypothèses bien distinctes : 
  • soit l’affaire nécessite une enquête longue et complexe qui dépasse les attributions du procureur de la République. Celui-ci, qui souhaite poursuivre saisit un juge d’instruction pour enquêter. 
  • soit le procureur de la République a décidé de « classer sans suite » ou n’a pas donné suite à la plainte dans un délai de trois mois et la victime a saisi elle-même le juge d’instruction (art 85 du CPP)
 Dans la forme actuelle, le juge d’instruction est un magistrat indépendant, inamovible et qui dispose de pouvoirs d’enquête extrêmement importants. 
Contrairement à l’idée reçue encore beaucoup trop répandue le juge d’instruction n’échappe cependant pas à tout contrôle.
Ses décisions sont susceptibles d’appel devant la chambre de l’instruction, qui est une juridiction collégiale. 

3- vers un juge de l’instruction ?
L’idée évoquée dans le Monde de ce matin est encore trop vague pour correctement analysée, mais pourtant suffisamment claire pour être inquiétante.
Il s’agit ni plus ni moins : 

  • de concentrer toutes les fonctions de poursuites entres les mains du parquet
  • de ne laisser au juge qu’un simple contrôle à postériori n lieu et place du rôle actif qui est le sien.

Dans ces conditions, et puisque -l’article le précise- l’exécutif n’entend pas accorder au parquet son indépendance dans le cadre de cette réforme.

Si un tel système devait voir le jour aucune enquête ne pourrait donc plus avoir lieu en France si elle se révélait contraire à la volonté du gouvernement.
Il s’agirait ni plus ni moins que d’une mise sous tutelle de la justice pénale, d’un bras coupé au pouvoir judiciaire… 


Mais heureusement, à l’heure où j’écris ces lignes il ne s’agit encore que d’une rumeur.


A demain donc.