Billets

La salade de Miloud

Miloud parle comme un cheval au galop, et avec gourmandise. Il frappe chaque syllabe et répète lorsqu’il pense que c’est mal dit.

Je crois qu’il aime rencontrer des gens. Et quand il parle, on dirait presque un enfant.

Les adultes ont des arrières pensées. Alors que Miloud, lorsqu’il pose une question, c’est simplement qu’il est curieux de la réponse.

Et quand il affirme, c’est qu’il pense être certain.

Surtout Miloud aime raconter.

Il doit avoir pas loin 40 ans maintenant et ses histoires sont désormais toujours un peu les mêmes.

Miloud parle dès qu’il le peut de ce vieux monsieur, depuis décédé, qui avait des vignes et qui le faisait servir à table.

Il en parle avec fierté et ajoute volontiers que ce monsieur était franc-macon. Il répète ce terme plusieurs fois comme si l’on n’avait pas compris. Comme si ce nom était si compliqué qu’il faudrait l’entendre plusieurs fois pour l’appréhender tout entier.

Miloud le dit sans connivence, ni parfum de complot, simplement pour signifier que le vieil homme était important.

Il n’emploie pas le terme notable, qui n’habite pas son vocabulaire. Alors il développe pour mieux signifier. Il évoque des pleines tablées avec des gens en costume. Dans son souvenir, chacun d’entre eux est gentil et prévenant.

Quand Miloud raconte, on dirait presque que les convives le servent et non l’inverse.

Avoir travaillé pour le viel homme lui donne de l’importance par capillarité.

A un moment, il rappelle que le viel homme est mort dun cancer de la prostate. Et c’est comme si ce cancer avait aussi un peu arrêté la vie de Miloud.

Je me dis qu’il n’a probablement pas beaucoup lu, Miloud, mais cela ne le résume pas.

Quand sa voix trébuche sur un mot trop long, ou lorsqu’il hoche la tête un peu trop fermement, ce n’est pas difficile de comprendre que Miloud a aussi l’esprit d’un enfant de dix ans.

Ces derniers jours il a fait le tour des restaurants. Il a expliqué qu’il sait faire la plonge. Et préparer la salade.

Il le dit avec tant de fierté que, si j’étais restaurateur, je lui inventerais un poste.

La prochaine fois, je lui demanderai où il a été pris.

Sous ce ciel bleu, j’ai bien envie de goûter la salade de Miloud.

Laisser un commentaire