chaine, nos droits

Mort aux idées recues !

Aratta a aussi décidé de me filer du boulot.
Il s’agit d’une chaine intitulée « Ce n’est pas parce ce que tout le monde le dit que c’est vrai ! »  lancée par Boris Shapira sur le thème des « idées reçues ».
Il s’agit de tordre le cou a des lieux communs qui me font bondir de rage lorsque je les entend. 
Et puisque  c’est mon domaine de compétence je vais donc tenter de d’assassiner quelques bêtises qu’on entend ca et là sur la justice.
 
NON  : pour faire un procès à quelqu’un on ne dépose pas systématiquement une « plainte ». 
Une plainte peut être déposée en matière pénale ; c’est à dire lorsqu’une infraction prévue au code pénal a été commise. La matière pénale concerne des cas où la société a prévu par avance qu’un comportement était inacceptable et décide  de sanctionner l’individu qui la commit. 
Les litiges qui ne concerne que des personnes morales (sociétés ou associations) ou des personnes physiques (des vrais gens) sont tranchés par des tribunaux civils saisis par voie d’assignation.
 
NON : il n’existe pas de « vide juridique »
Bien sùr que non il n’y a pas de vide juridique. 
Au pénal c’est très simple. Ne sont interdits que les comportements énumérés par la loi pénale. 
Tout le reste est permis. 
Au civil c’est un peu différent. Il s’agit de trouver le principe juridique qui est susceptible de s’appliquer mais qui peut être interprété par le juge.
En toute hypothèse tout juge saisi d’un litige est tenu de le trancher. 

NON : une affaire ne fera pas « jurisprudence« 
En France contrairement aux pays anglo-saxons les jugements sont rendus « inter partes » ce qui veut dire qu’ils ne concernent que les parties au litige.
Cela signifie que les juges s’ils sont tenus d’appliquer la loi ne sont pas tenus par les décisions précédemment rendues dans des affaires similaires.
La jurisprudence  est essentiellement un instrument qui permet de connaitre l’habitude des tribunaux mais ne permet jamais de s’assurer d’un résultat. On assiste donc régulièrement à des « revirements de jurisprudence » (un phénomène très difficile à expliquer à un client qui perd un procès qu’il se croyait assuré de gagner)

NON : un avocat ne plaide pas tous les dossiers
Si au pénal où la procédure est essentiellement orale la plaidoirie représente le cœur du travail d’assistance de l’avocat à l’inverse elle a un rôle mineur (et parfois même inexistant) dans la plupart des matières civiles puisque la procédure y est écrite. 
Dans ces affaires qui vont de l’accident de voiture au problème de voisinage en passant par le recouvrement de créance ce sont les « conclusions » de l’avocat qui sont la partie la plus importante de son travail. 
C’est assez logique en fin de compte ; dans un problème de délimitation de terrain entre voisins il est plus facile de convaincre un juge de la nécessité de fixer la limite à tel ou tel endroit au moyen d’un dossier solidement monté que d’une plaidoirie. 
Si votre avocat vous annonce qu’il ne plaidera pas votre dossier mais préfère le déposer ne vous alarmez pas, il sait ce qu’il fait.

 
Bon, ben c’est déjà pas mal pour aujourd’hui (je me sens mieux, merci Aratta). 
Il ne me reste donc plus qu’à donner une merveilleuse occasion de se défouler à Valérie, Lou, et Geoffrey .
Billets, coup de gueule, nos droits

Paquet telecom: l’Etat s’en fiche

Korben (qui a récemment lancé un nouveau blog) publie aujourd’hui un billet au sujet du paquet télécom qui commence par les mots suivants « Je ne sais pas pour vous mais moi je n’y comprend plus rien ??? »
Il faut dire qu’il y a de quoi s’étonner.
En effet, Christine Albanel a confirmé hier  que le si décrié projet de loi Création et Internet sera bel et bien examiné la semaine prochaine par le Sénat alors même que le parlement Européen vient de voter un amendement à la directive « Paquet Télécom » qui dispose:

qu »aucune restriction ne peut être imposée à l’encontre des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs finaux, sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur la liberté d’expression et d’information, sauf si la sécurité publique est menacée« . 



Pour ceux qui auraient manqué les épisodes précédents le projet de loi « création et internet » prévoit notamment  « la mise en place d’une haute autorité administrative chargée de dissuader les internautes de télécharger illégalement des œuvres (musique, films, séries), d’abord en leur envoyant des avertissements par mail puis par lettre recommandée, et enfin en suspendant provisoirement leur abonnement à Internet après une phase de transaction. »  [source]
Pour ma part je ne suis pas étonné. En colère oui, mais pas étonné.
Pour comprendre un peu mieux la situation il est important de savoir précisément ce qu’est la directive « Paquet Télécom » dont on parle beaucoup ces derniers temps mais bien souvent sans trop savoir de quoi il s’agit.
En ce qui concerne son contenu, et afin d’éviter une paraphrase inutile, je me permets de vous renvoyer vers un article plutôt bien fait sur le site du parlement Européen intitulé (certes un peu hâtivement) « sur internet la vie privée demeure protégée« 

Mais le tout n’est pas de connaitre le simple contenu de cette directive, encore faut il comprendre sa « force contraignante », c’est à dire connaitre la définition d’une directive communautaire qui est posée par l’article 249 (alinéas 3 et 4) du traité instituant l’union européenne qui dispose : 
« La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne. »
En clair, une directive (contrairement à un règlement communautaire)  ne fixe à un état qu’une obligation de résultat mais lui laisse la liberté quant aux moyens. 
En outre elle n’intègre le droit « interne » à cet état qu’après avoir été « transposée » c’est à dire qu’une loi ait été votée par le parlement de cet Etat. 
Afin d’éviter les abus, les directives sont assorties de délais que les Etats se voient imposer.
Or à ce jeu la France est bien connue pour prendre son temps et outrepasser largement les délais.

En somme la directive communautaire n’empêche  pas la loi « Création et Internet » d’être examinée. 
Si cette dernière est adoptée elle pourra s’appliquer en toute légalité jusqu’à l’expiration du délai de transposition. Or il y a fort à parier qu’une fois de plus nos gouvernants prendront leur temps… 

Et après ?
Après, probablement rien. Du moins tant que nos gouvernants se ficheront ouvertement de la loi.
Je pense vraiment cette dernière phrase.
Il n’y a pas si longtemps, un ministre de la justice décidait à des fins politiques  d’indemniser des victimes en toute illégalité et au mépris de toutes les règles qui régissent le prescription.
Vous trouvez probablement ce geste louable. Mais moi ce type d’affaire me met en colère. Allez expliquer à une victime pourquoi la prescription est écartée pour certains dont l’affaire a fait la une des journaux et pas pour elle et vous comprendre peut être mon sentiment.
 

Maj le 28.10.2008 à 10h48 (suite à un Twitt‘ d’Antonin
 Qu’est ce que je vous disais :
Le groupe socialiste reconnaît, pourtant, que l’amendement Bono voté par le Parlement européen pourrait faire obstacle à l’adoption de la loi Création et Internet. Cet amendement, adopté avec une très large majorité de 88 % des parlementaires (573 voix pour, 74 contre) fait obligation de veiller à ce « qu’aucune restriction aux droits fondamentaux et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne soit prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire ». Concrètement, il contraint les Etats-membres à passer par un tribunal de l’ordre judiciaire avant de condamner à la suspension de l’abonnement Internet. Mais selon la note du groupe Socialiste, qui reprend le point de vue exprimé par la ministre Christine Albanel, « rien ne permet d’affirmer que, juridiquement, l’accès à Internet constitue un droit fondamental du citoyen« .
Alors-même que le gouvernement prévoit un millier de décisions prises par jour, ce qui enlève toute possibilité d’étude personnalisée des dossiers, la note du groupe socialiste estime même que « la formation particulière que revêt l’autorité administrative infligeant la sanction« , composée de trois magistrats, « prend une forme quasi juridictionnelle » qui pourrait la rendre compatible avec l’amendement Bono. [source]
Une forme quasi juridictionnelle (rire jaune). En voila une belle leçon d’hypocrisie et de cynisme…
Billets, info, nos droits

La faute inexcusable du Crédit Agricole.

Il est intéressant cet article du Parisien paru hier que ceux qui suivent mon Twitter on peut être déjà aperçu et qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’a rien à voir avec la crise financière. 
Intéressant, mais pas très clair, d’autant que le journaliste semble avoir survolé son sujet et du coup n’avoir pas très bien compris l’affaire.
Pour ces deux raisons il ne me semble pas inutile d’apporter en quelques mots un certain nombre d’éclairages. 

Que nous apprend le dit article tout d’abord ? 
Extraits : 

« Braquage et prise d’otages. Les employés de l’agence du Crédit agricole d’Excideuil (Dordogne) se souviendront longtemps de ce 7 avril 2004. Deux braqueurs pénètrent dans les locaux avec une clé, prennent en otages les dix employés puis disparaissent avec 132 000 €. Premier problème : la clé utilisée par les malfrats avait été dérobée trois semaines avant le braquage. Deuxième problème : la direction régionale de la banque, au courant de ce vol, n’avait pas changé les serrures ni informé le personnel, qui demande des explications. »

(…) « MISE EN CAUSE par des salariés après un braquage et condamnée en 2007 par la justice pour « faute inexcusable », une caisse du Crédit agricole a vu confirmer ce jugement par la Cour de cassation le 2 octobre. »

En ce qui concerne les faits une précision s’impose, puisque l’action en recherche de faute inexcusable de l’employeur, prévue par les articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale est ouverte exclusivement aux victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à leurs ayant-droit.
Cela signifie donc nécessairement :
  • qu’un  salarié du crédit agricole a malheureusement été blessé à l’occasion du braquage (ce que confirme un second article trouvé chez France 3)
  • que lui-même où l’un de ses proches a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (seul compétent pour connaitre d’une telle action) d’une action en « reconnaissance de faute inexcusable ».
Derrière le terme un peu spectaculaire de « faute inexcusable de l’employeur » se trouve un principe juridique dont la définition actuelle réside dans des arrêts (une quinzaine tous plus ou moins identiques) rendus le 21.02.2002 par la chambre sociale de la cour de cassation à l’occasion du scandale de l’amiante

Il s’agissait alors de trouver un mécanisme susceptible de permettre l’indemnisation des victimes de maladies professionnelles causées par une exposition prolongée à de l’amiante  en dehors de tout comportement « actif » de l’employeur. 
En cette occasion la cour de cassation a dégagé un principe qui n’a plus varié depuis et considéré : 
« qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu, envers celui-ci, d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » [source]
En résumé, depuis cette date en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail commet une « faute inexcusable » tout employeur dès lors : 

  • qu’il pouvait avoir conscience du danger
  • qu’il n’a pas pris les mesures qui auraient pu protéger le salarié
C’est précisément cette définition que l’on retrouve dans l’arrêt de la cour d’appel de bordeaux rendu le 14.06.2007 que vient de confirmer la cour de cassation :
« Il apparaît à l’évidence que le Crédit agricole (…) n’a pris aucune précaution pour assurer la sécurité de ses employés alors qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel ils étaient exposés. Ce faisant, il a commis une faute inexcusable. »
Là où l’affaire devient intéressante c’est qu’elle semble étendre la notion de faute ienxcusable à un cas inédit : celui des violences perpétrées par un tiers ! 

Malgré toutes mes recherches je n’ai malheureusement pu me procurer cet arrêt qui n’est pas encore publié. (Si par le plus grand des hasards… les commentaires sont ouverts)
Si ce que je pressent se confirme à la lecture de l’arrêt, ce sont les chefs d’entreprise qui vont à voir du souci à se faire… 
Oui. J’ai failli oublier…
En cas de faute inexcusable si l’entreprise n’est pas en état d’indemniser la victime l’employeur est responsable sur ses biens personnels… Gasp !