Le Dépoudent est un lieudit que se trouve en Ardèche où il m’est arrivé quelques fois d’aller me balader.
De son nom, j’ai tiré un jeu de mots assez idiot, « le dépôt des dents ».
L’esprit étant ce qu’il est, une histoire s’est formée à partir de cette blague toute bête, jusqu’à devenir un conte, qui ne se passe pas vraiment en Ardèche.
Pour vous en faciliter la lecture, je vous le poste après la cesure, et aussi en téléchargement au format .pdf.
J’espère que ça vous plaira.
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Le Dépoudent
Il était une fois un couple de souris qui vivait au pied d’une montagne avec ses deux petits ; Pacôme et Pascaline
Pacôme était le plus âgé. D’un tempérament casanier, ce souriceau passait le plus clair de son temps à jouer, dormir et se laver à grands coups de ses petites pattes sur son joli museau rose. Il aimait follement Pascaline ; sa petite sœur qui lui causait pourtant bien du souci.
La souricette rêvait d’aventure et ne cessait de courir en tous sens. Souvent, elle jaillissait de derrière un buisson pour surprendre son frère durant l’une de ses siestes, à la grande indignation de celui-ci.
Les parents regardaient ces farces d’un œil tendre.
La vie de la famille souris était simple mais douce.
Plus Pacôme grandissait et plus il devenait attaché à son confort, tandis que l’âge rendait Pascaline chaque jour plus téméraire.
Une nuit, la souricette poussa l’audace jusqu’à quitter le terrier de ses parents à l’heure où chacun dormait, pour aller contempler les étoiles. La nuit était noire et belle, et, l’imagination aidant, les étoiles formaient de beaux dessins dans la profondeur du ciel. Au centre, Pascaline imaginait un chariot, Et tout près, un cheval au galop.
Encore émue de tant de beauté, la souricette rentra au terrier peu avant le matin, à l’heure où les étoiles palissent tandis que l’aube orangée commence à peindre l’horizon.
La nuit suivante, Pacôme sentit trembler son petit lit alors qu’il se trouvait au milieu d’un joli rêve. Il ouvrit doucement un œil tandis que sa sœur se faufilait hors du terrier. Le souriceau remonta sa couverture, saisi par la fraicheur de la nuit. Il voulait dormir encore.
Mais c’était impossible. Un grand frère devait veiller sur sa petite sœur. Or, à cette heure, Pascaline risquait de tomber entre les griffes d’un hibou affamé, ou d’une autre vilaine bête.
Pacôme se laissa tomber au sol d’un bond, et s’élança à la poursuite de la souricette.
Il trouva Pascaline assise sur un large caillou, les yeux rivés vers le sommet de la montagne. Elle tenait un objet que Pacôme ne reconnut pas aussitôt. La souricette fit signe à son frère de s’approcher, visiblement très heureuse de son arrivée. La patte levée, elle indiqua une lumière qui clignotait en haut de la montagne. Saisi d’effroi, Pacôme reconnut soudain l’objet que tenait sa petite sœur. Un miroir. L’inconsciente avait utilisé un miroir pour réfléchir le pale éclat de la lune en direction du vieux fort qui se trouvait au sommet de la montagne.
Plus grave, l’occupant du sommet lui répondait.
Soudain investi de toute la charge de sa responsabilité fraternelle, le souriceau attrapa la petite écervelée par le cou et la fit descendre de la pierre. Puis lui ordonna de rentrer immédiatement au terrier jusqu’à son lit. Indignée, Pascaline lui échappa d’une roulade sur la gauche, puise se mit à courir dans la direction opposée au terrier. Pacôme la suivit au travers des buissons jusqu’à une clairière. Il poussait de petits cris aigus en direction de sa sœur pour l’avertir du danger. Mais la souricette n’en faisait qu’à sa tête.
C’est alors que le drame survint. Un tourbillon de lumière blanche se forma à une extrémité de la clairière. Le groin brûlant, un sanglier en sortit, porté par toute la vitesse de sa course. Pacôme, figé au milieu de la clairière, ne s’était jamais senti aussi vulnérable qu’en cet instant, mis en lumière sous les feux brillants de la lune.
Sans attendre, le sanglier fit du souriceau apeuré la victime impuissante de sa charge. Un battement de cœur plus loin, Pacôme se retrouva pris dans la gueule de l’énorme bête.
Cachée derrière un arbre, Pascaline tremblait. Lorsqu’enfin elle se risqua à jeter un œil à découvert, ce fut pour voir son frère, balancé comme un fétu dans la gueule du sanglier qui retournait vers le tourbillon de lumière dans lequel il disparut comme il était arrivé.
La souricette se mit à pleurer dans la nuit. Les étoiles qui lui semblaient si merveilleuses quelques instants auparavant lui paraissaient être devenues les témoins de sa bêtise. Consciente que sa désobéissance et son imprudence étaient seules à l’origine de l’enlèvement de son frère, Pascaline se morfondit sur le chemin du terrier.
Arrivée près du seuil, elle jeta un regard en direction du sommet de la montagne. La lumière du fort scintillait encore, insolente. C’est de cet endroit que devait venir le sanglier. Et en toute logique, c’est en cet endroit qu’il avait emmené Pacôme.
Pascaline sut en cet instant qu’elle ne pourrait simplement retourner au terrier et annoncer la disparition de Pacôme à ses parents. Elle devait partir à sa recherche, tant qu’il restait une chance de le ramener.
La souricette reprit donc le chemin de la clairière, et de là emprunta l’étroit sentier qui menait au sommet de la montagne.
La lumière de la lune commença à se réduire, peu à peu filtrée par l’arrivée des nuages, jusqu’à presque disparaitre. Pascaline qui suivait l’étroit sentier qui avait été lentement façonné par le passage des humains manqua plusieurs fois de se perdre dans le noir.
La pluie la saisit au milieu d’un virage. D’abord quelques gouttes, puis une véritable averse. La terre du sentier se changea rapidement en une boue épaisse dans laquelle les pattes de la souricette s’enfonçaient un peu un plus à chaque pas. Mais Pascaline ne s’arrêtait pas, guidée par la certitude que son frère avait besoin d’elle.
Alors que le sentier devenait plus escarpé, l’eau de pluie commença à ruisseler. Les pattes alourdies par l’humidité et la boue, la souricette avait à chaque pas plus de mal à progresser. Quand soudain, un bruit lui fit lever la tête. Une vague fonçait sur elle.
Pascaline n’eut pas le temps de se reprocher de n’avoir pas prévu que la pluie risquait de faire déborder un ruisseau. Elle dégringolait la pente, et refaisait en sens inverse le chemin durement parcouru. Les secondes s’écoulaient, interminables. Au désespoir, la souricette perdit conscience lorsque sa tête heurta violemment un tronc d’arbre.
Elle se réveilla dans des draps chauds, une couverture délicatement posée sur le corps. Lorsque la souricette ouvrit les yeux, un petit garçon la regardait. Il avait des cheveux châtains légèrement bouclés et un beau sourire franc. Le doigt posé sur les lèvres, il fit signe à Pascaline de ne pas faire de bruit.
Le garçon s’appelait p’tit Louis. Il avait trouvé Pascaline inanimée près d’un arbre alors que lui-même rentrait d’une de ces promenades nocturnes qu’il avait l’habitude de faire sans le dire à ses parents. A dix ans, il se disait assez grand pour ne pas rester au lit s’il n’en avait pas envie.
P’tit Louis écouta Pascaline raconter son histoire. Les étoiles, la lumière qui lui avait répondu depuis le fort il pouvait y croire. Mais l’idée d’un sanglier sorti d’un tourbillon de lumière lui paraissait n’être qu’un conte pour enfant qu’il était trop vieux pour accepter.
Pourtant, ses parents l’avaient prévenu maintes fois de ne pas s’approcher du Dépoudent, ce vieux fort qui prolongeait le sommet de la montagne. Les adultes racontaient des histoires sinistres à son sujet. Parfois, la nuit, on entendait des bruits étranges en provenance du sommet.
La souricette, lovée dans un creux sous l’oreiller du garçon écouta avec attention les histoires que P’tit Louis avait entendu sur le Dépoudent avec l’espoir de comprendre ce qui avait pu arriver à son frère. Mais il n’y avait là que des rumeurs dont il était impossible distinguer le vrai du faux. Bercée par la voix de l’enfant, Pascaline s’endormit.
Aux premières lueurs du matin, P’tit Louis réveilla doucement la petite sourit d’un geste délicat de la main. Puis, il la glissa dans sa manche avant de quitter la maison. Avant de s’endormir, il avait fait la promesse à la souricette de l’emmener jusqu’au Dépoudent. Il n’était pas certain de croire à son histoire, mais la détresse avec laquelle s’exprimait Pascaline l’avait ému. Et au fond de lui, l’aventureux garçon était excité à l’idée de percer enfin à jour les mystères du sommet de la montagne.
Lovée bien au chaud dans la manche de P’tit Louis, Pascaline voyagea dans des conditions bien plus confortables que la nuit précédente. Les jambes de l’enfant, quoique courtes et inachevées à l’échelle d’un humain étaient infiniment plus hautes que celle d’une petite souris, de sorte que l’ascension reprit à une vitesse bien plus soutenue que tout ce dont Pascaline aurait été capable si elle avait été laissée à elle-même.
Deux heures avaient passé lorsque le sentier s’arrêta pour laisser la place à un pierrier. Personne ne semblait être monté jusque-là depuis bien des années. Les souliers de P’tit Louis glissaient sur les pierres, de sorte qu’il eut bientôt très mal aux pieds. Fourbu, il retira sa chemise devenue ruisselante de sueur et l’attacha autour de ses épaules.
A présent assise sur une épaule de l’enfant, Pascaline put profiter de la beauté du décor. Comme les arbres en bas lui paraissaient petits à présent ! Elle tenta de distinguer le terrier de ses parents en contrebas, mais il était trop loin. Le cœur de la souricette se serra à l’idée que ses parents devaient être réveillés à présent, et probablement très inquiets de la disparition de leur deux souriceaux.
P’tit Louis atteint les abords du Dépoudent peu avant que le soleil n’atteigne midi. Il fit halte hors de la vue des habitants du fort, et sortit de son sac trois tranches de pain et un fromage de chèvre. La souricette mordit à belles dents dans un morceau de pain, tandis que l’enfant, qui y avait étalé du fromage se régalait de sa part.
Une fois restaurés, Pascaline et P’tit Louis décidèrent de faire le tour du fort afin de repérer les lieux. L’accès à la bâtisse de pierre ne pouvait se faire que par une seule porte faite de bois massif. Sur les côtés, d’étroites meurtrières étaient les seules ouvertures.
Aidée par sa petite taille, Pascaline alla regarder par l’une des meurtrières. Au fond de la pièce se trouvait une large cheminée parfaitement récurée. Pascaline eut immédiatement la certitude qu’aucun feu n’y avait brûlé depuis bien longtemps. A sa gauche, se trouvait une petite cage dans laquelle Pascaline reconnut son petit frère. Le souriceau sanglotait, le museau passé en travers des barreaux. Pascaline voulut immédiatement s’élancer vers la cage pour le libérer, mais un grand bruit en provenance de la cheminée l’arrêta. Un tourbillon de lumière venait de se former dans l’âtre. Le sanglier en sortit comme il était apparu au milieu de la clairière. Des formes bougeaient dans sa gueule. Pascaline y reconnut soudain ses parents.
Insatisfait de n’avoir attrapé qu’une souris durant la nuit, l’horrible sanglier était parti débusquer le reste de la famille au petit matin. Lentement, la bête déposa ses proies au centre de la cage, où Pacôme, dont les sanglots avaient redoublé, les accueillit. Puis le sanglier retourna à la cheminée et appuya sa patte sur un levier à sa droite. Une fois le levier abaissé, le tourbillon disparut.
P’tit Louis écouta sans un mot Pascaline tandis qu’elle lui racontait la scène à la fois terrible et incroyable dont elle venait d’être témoin. A la fin de son récit, le petit garçon, hocha lentement la tête ; il avait un plan pour libérer les souris.
Le sanglier se coucha sur sa paillasse, à la fois content de lui et de sa chasse matinale. Alors qu’il était sur le point de s’endormir, trois grands coups furent frappés à la porte. Le sanglier, qui ne recevait jamais de visiteurs, referma les yeux et choisit de reprendre sa sieste. Mais alors qu’il était sur le point de trouver le sommeil, la porte reçut trois coups supplémentaires. Le sanglier se leva, bien décidé à faire passer à l’importun toute envie de revenir et alla ouvrir la porte. Il jeta ensuite un œil de droite puis de gauche puis referma la porte, supposant qu’il avait rêvé. Le sanglier n’avait fait que deux pas en direction de sa paillasse lorsque la porte se mit à résonner une fois de plus de trois coups violents.
Cette fois, il ne pouvait plus s’agir d’un rêve, le sanglier s’élança à l’extérieur et commença à chercher l’auteur de cette vilaine farce.
C’est le moment que Pascaline choisit pour s’élancer depuis sa meurtrière vers l’intérieur de la pièce. Sans attendre, elle se précipita vers la cage qui retenait ses parents et Pacôme. Le loquet, conçu pour une créature bien plus grande que la souricette, résistait au efforts de Pascaline. Pesant de tout son poids, elle parvint enfin à ouvrir la porte de la cage.
L’idée était venue à P’tit Louis lorsqu’il faisait le tour du fort que la lourde pierre fixée au-dessus de la porte pourrait parfaitement lui servir de plateforme. Muni d’un bâton, il avait donc grimpé jusqu’à la pierre, et de là avait pu attirer le sanglier à l’extérieur en frappant des coups à la porte. A présent, il ne lui restait plus qu’à descendre, tandis que le sanglier le cherchait en vain aux alentours du fort. Une fois au sol, il serait facile de pénétrer dans le fort puis de verrouiller la porte. Le sanglier, privé de tout accès serait bloqué à l’extérieur.
C’est durant la descente que l’incident se produit. L’une des pierres, rendue glissante par la pluie de la nuit précédente, se déroba sous le pied de l’enfant. P’tit Louis chuta dans un grand cri. Sa tête, heurta violemment le sol et l’une de ses dents devant se brisa sous l’impact.
Attiré par le vacarme de la chute, le sanglier fonça sur l’enfant sans défense.
C’est à cet instant que Pacôme, apparu sur le seuil. Il criait de toutes ses forces pour attirer le sanglier. La bête, écumante de rage se détourna de l’enfant et se rua dans le fort, à la poursuite de la souris. Pacôme, qui n’avait que peu d’avance, courut à travers la pièce aussi vite que ses pattes pouvaient le porter.
Emporté par l’élan et par la rage, le sanglier ne réalisa que trop tard que Pascaline et ses parents manœuvraient tous les trois le levier de la cheminée. Lorsque le tourbillon s’ouvrit en face de lui, il était déjà trop tard pour s’arrêter.
Les quatre pattes serrées contre le levier, Pascaline eut l’impression de voir le monde dans sa totalité. Quelques instants, elle se laissa emporter par la beauté d’un désert, puis par la blancheur de la neige. Elle pouvait voir le les montagnes avec les yeux d’un oiseau, et en même temps une ile merveilleuse loin au milieu des mers du sud. Saisie au milieu de sa rêverie, Pascaline comprit soudain que le levier ne servait pas simplement à ouvrir le tourbillon mais aussi à choisir sa destination.
L’esprit de la souricette se fixa sur un point bien précis de l’océan Pacifique, puis elle fit signe à son père de l’aider à faire redescendre le levier pour arrêter le tourbillon de lumière.
On ne sut jamais ce qu’il advient du sanglier par la suite. Et l’histoire ne dit pas s’il avait jamais appris à nager.
P’tit Louis se réveilla tard dans l’après-midi transporté comme par magie dans la chaleur de son lit.
Souvent par la suite, l’enfant rendit visite à la famille souris qui avait investi le fort. Il amenait du pain et fromage et se régalait avec elles jusque tard dans la nuit. Leur amitié dura toute leur vie.
Les parents du petit garçon ne surent jamais comment leur fils avait perdu sa dent de lait. Lorsqu’elle finit par repousser, ils oublièrent bien vite toutes leurs questions.
L’aide que P’tit Louis avait offert aux souris par contre, ne fut pas oubliée.
Depuis cette époque, lorsqu’un enfant qui perd une dent de lait la glisse sous son oreiller, à l’endroit même où P’tit Louis réchauffa Pascaline il y a bien des années, une petite souris vient dans la nuit et dépose à sa place une pièce de monnaie en souvenir de l’amitié qui liera pour toujours les enfants aux petites souris.
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FIN