à vif, Billets, brèves, coup de gueule

Le management panier à salade

Il y a de cela quelques mois, un ami cadre dans un groupe de taille importante me téléphone. Il  a le cafard, ca transpire dans sa voix. 
Sa direction vient de lui donner l’ordre de se séparer de l’un de ses subordonnés. 
Il ne s’agit pas d’un renvoi mais d’une mutation forcée, à quelques quarante kilomètres, effective sous huit jours. 
Forcément, je passe la conversation en mode juridique, judiciaire même. Je martèles mots « Prud’hommes » et « modification unilatérale du contrat de travail » de manière à ce qu’il soient retenus, et de préférence transmis. 
Puis je comprends que le salarié en question se trouve lui aussi à l’autre bout du fil, assis à coté d’un téléphone dont le haut parleur diffuse mes exclamations depuis bien cinq minutes. 
Et puis, au terme terme d’un entretien tendu, je comprends que mon indignation ne sert à rien.  Pour le salarié en question le problème est d’une simplicité désarmante : s’il refuse sa mutation il sera licencié. 
Peu importe que cette mesure soit une violation flagrante du code du travail.
Pour lui, saisir le conseil des prud’hommes signifie perdre son emploi, pour obtenir gain de cause sans doute, mais pas avant des mois… au mieux. 

Or, il ne peut pas se permettre d’attendre plusieurs mois, pas avec les charges qui sont les siennes. 


Billets, justice, nos droits

La scientologie peut dormir tranquille

Depuis hier sur Le Monde ont peut lire une information aussi surprenante qu’inquiétante : 
La Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a affirmé, lundi 14 septembre, qu’une modification de la loi, intervenue le 12 mai, ne permet plus à un magistrat de dissoudre une secte pour escroquerie, ce qui lèverait le risque de dissolution de la Scientologie, poursuivie pour de tels faits à Paris.
Dans un communiqué diffusé par l’AFP, la Miviludes écrit avoir « découvert avec consternation la suppression de la peine de dissolution d’une personne morale en matière d’escroquerie, votée le 12 mai 2009 », et promulguée le 13 mai, « dans le cadre d’une loi de simplification du droit ». Elle dit en avoir « informé les pouvoirs publics compétents ». [source]
Le texte pointé du doigt par la MIVILUDES est la LOI n° 2009-526 du 12 mai 2009 « de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures ». 
Il s’agit d’un texte fourre-tout qui comporte des dispositions dans un grand nombre de matières.
Comme son nom l’indique, cette loi affiche l’ambition de simplifier le droit français pour le rendre plus accessible au citoyen.  

A première vue il s’agit donc d’un texte sans véritable fonction technique qui se contente de remplacer des termes très juridiques par une paraphrase plus accessible. 
Cette loi comporte ainsi un article 9 qui modifie le code civil de la manière suivante :

9° Au premier alinéa de l’article 1919, les mots : « tradition réelle ou feinte » sont remplacés par les mots : « remise réelle ou fictive » et, au dernier alinéa du même article, les mots : « tradition feinte » sont remplacés par les mots : « remise fictive » ;

Rien à signaler de ce coté là ; le changement de vocabulaire n’a strictement aucun effet sur l’état du droit.


Si ce texte ne comportait que des dispositions de ce type il n’y aurait pas de problème…

 Vous me voyez venir de très loin ; je vais vous  parler de ce qu’on sait tous déjà : Il n’y a rien de mieux qu’une de ces lois fourre-tout apparemment sans conséquence pour glisser des dispositions potentiellement gênantes politiquement. 


Vous avez raison, c’est bien de cela que je veux parler Mais pas seulement.

Car à mon sens, la vraie difficulté avec ces lois fourre-tout, c’est  avant tout le fait qu’elles posent un réel problème de démocratie en ce qu’elles sont très difficiles à comprendre, y compris pour ceux qui les votent. 


C’est d’ailleurs l’avis du député PCF Jean Pierre Brard selon qui :

« C’était un texte confus et touffu. Un de ces textes fourre-tout comme il en existe beaucoup et qui est passé à l’esbroufe » [source]

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Confus ? C’est un euphémisme…
Lisez par exemple l’article Article 52 de la loi du 12 mai 2009 :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 4111-6 est abrogé ;
2° Aux 1° et 2° de l’article L. 4161-1, au dernier alinéa du 1° de l’article L. 4161-2 et au 1° de l’article L. 4161-3, la référence : « L. 4111-6, » est supprimée

Avouons qu’en matière de « simplification et de clarification du droit » on a fait mieux… 


Il n’est donc pas étonnant que l’article 57-4° de la loi du 12 mai 2009 soit passé  inaperçu, bien qu’il s’agisse d’un texte qui allège considérablement les peines encourues par les personnes morales en cas d’escroquerie puisque ce texte est proprement illisible:

« le code pénal est ainsi modifié (…) Le premier alinéa de l’article 313-9 est complété par les mots : « et à l’article 313-6-1 ».

Pour pouvoir comprendre la modification il est donc nécessaire de comparer la rédaction de l’article 313-9 du code pénal avant et après l’entrée en vigueur de cette loi :
  • l’article 313-9 tel que rédigé avant la loi du 12 mai 2009 :
Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l’article 313-6-1.
Les peines encourues par les personnes morales sont :
1° L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;
2° Les peines mentionnées à l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
  • l’article 313-9 du code pénal en vigueur
Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l‘article 313-6-1 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 2° à 9° de l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
Là d’un coup, c’est un peu plus clair, à l’oeil nu on comprend bien que la quasi totalité des peines prévues par l’article 131-39 ont été supprimées bien qu’il faille -miracle de « simplification »- aller vérifier « à la main » lesquelles sont concernées. 
En dépit d’une concordance de dates troublante, je  n’ose imaginer que puisse exister  un complot visant à modifier le résultat du procès pénal lourdement médiatisé à l’occasion duquel la dissolution de l’église de scientologie a été requise par le ministère public.

Il me semble plutôt discerner là un dommage collatéral de la dépénalisation de la vie des affaires voulue et revendiquée par le chef de l’état depuis bien avant son élection. 

Quoi qu’il en soit la loi du 12 mai 2009 a bel et bien vocation à s’appliquer dans le cadre de ce procès puisque selon l’article 112-1 in fine du code pénal :
 les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.
Ne criez pas au scandale, il n’y a rien de plus juste que ce principe, qu’on appelle en droit pénal la « rétroactivité in mitius » : pourquoi appliquerait-on une peine que le législateur n’estime plus nécessaire ? 

Et les gesticulations de la chancellerie qui a fait déclarer lundi par son porte parole que  « Le gouvernement va déposer un projet de loi afin de réintroduire la disposition de dissolution » n’y changeront rien conformément… au même article 112-1 du code pénal
Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.
Il est donc acquis que le Tribunal  Correctionnel ne pourra pas valablement prononcer la dissolution de l’Église de Scientologie dans son jugement à intervenir. 
Il dispose toutefois d’une arme de poids puisque l’article 131-39-2°du code pénal lui permet de prononcer une peine capable d’obérer gravement les possibilités pour celle-ci de se financer, il s’agit de :
L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. 
Moi qui en ait vu d’autres en la matière je vous avoue que je bien plus amusé qu’agacé par la situation.  

Voir la majorité présidentielle, celle-là même qui nous rabâche depuis des mois qu’elle va moraliser la vie des affaires, se faire prendre la main dans le pot de miel alors qu’elle prend des mesures qui, au contraire allègent la responsabilité des personnes morales je trouve ca assez truculent. 
« Poetic Justice » en somme…
Billets, politique

Chat perché constitutionnel

Deux fois.
Cela fait deux fois en quelques semaines que le Conseil Constitutionnel censure partiellement des lois dont le Président et son Gouvernement ont fait des symboles politiques.

 
Qu’il s’agisse d’Hadopi ou de sa récente décision relative à la « Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires » [non je n’ai pas oublié de virgule] on pourrait croire que le Conseil Constitutionnel nourrit une certaine acrimonie à l’égard du gouvernement.

A moins que ce ne soit le le législateur qui joue avec le feu.  
  


Selon l’article 5 de la Constitution de la V° République, « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.

Bien sûr dans les faits ce n’est pas aussi simple, la Constitution est parfois si contraignante…
Il n’est donc pas rare qu’éclatent des polémiques violentes lorsque l’exécutif  ou le parlement cherchent à faire entrer dans l’ordre juridique des normes contraires à la constitution. 

Celle qui avait éclaté en 2004 relativement à la loi « portant adaptation de la justice à la criminalité » dite Perben II en est un vibrant exemple. 
Puisque le problème persiste, c’est qu’en réalité il ne provient pas simplement des hommes qui exercent le pouvoir, même si bien sûr le caractère d’un Nicolas Sarkozy n’arrange rien…

Non, le véritable problème vient du fait qu’il est constitutionnellement parfaitement possible de faire entrer dans l’ordre juridique français des normes contraires à la constitution. 
Non, pas la peine de retourner ce tiroir à la recherche d’un doliprane© c’est en réalité très simple. 

A ce jour, le contrôle de conformité à la constitution des lois ordinaires (par opposition aux lois organiques) est absolument facultatif. 
En effet, l’article 61 alinéa 1 de la constitution dispose que : 
« les lois peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. »
Si une véritable mobilisation ne s’était pas faite jour, il y a d’ailleurs fort à parier que la loi Création et Internet – « Hadopi », passée inaperçue au sénat serait entrée en vigueur sans heurt et sans que le conseil constitutionnel ait la moindre voix au chapitre.  

Or, à ce jour, le seul recours contre une loi inconstitutionnelle entrée en vigueur c’est l’abrogation par le parlement. 
En effet, les tribunaux ordinaires n’ont pas la moindre compétence pour con troller la constitutionnalité des lois.
Des lois contraires à la constitution sont donc appliquées, bon gré mal gré par les tribunaux chaque jour, c’est moche, mais c’est ainsi.
Toutefois, parce les choses ne sont jamais totalement noires ou blanches les choses devraient évoluer très bientôt. 

Le nouvel article 61-1 de  la constitution issu de la réforme constitutionnelle du 23.07.2008 a prévu une avancée majeure en la matière.
Il prévoit en effet que : 
Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. 
Loin  d’être un simple gadget cette disposition, qui crée un recours à postériori contre une disposition légale inconstitutionnelle est une petite révolution capable de mettre chacun plus à l’abri des excès du législateur.
 

Oui mais…
Cette disposition, votée il y a plus d’un an entrera
« en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application » [cf. art. 61-1]
un jour… lorsqu’on pensera à s’en occuper…

Dans l’intervalle, il va bien falloir faire sans…
Alors que des textes tels que la LOPPSI potentiellement truffés de dispositions inconstitutionnels sont sur le point d’être examinés , cela risque de ne pas être triste.