Billets, politique, societé

Ou je fais rimer Couvre-Feu, Hortefeux et contre-feu

Si vous me lisez à l’occasion vous me savez probablement friand des trouvailles législatives de Brice Hortefeux. 
Car il faut lui reconnaitre une imagination incontestable à défaut de précision ou de pertinence à notre Ministre de l’Intérieur. 
Mais, il me semble que je vais trop vite en besogne. 
Car vous n’avez peut être pas encore entendu parler de la proposition de « couvre-feu à destination des mineurs délinquants » qui fait pourtant grand bruit. (et rire aussi)
Son raisonnement cultive l’apparente logique qui distingue les sophismes :
Lisez donc ; (les citations sont indifféremment tirées du Monde et du Figaro )
  • La  Majeure tout d’abord en forme d’incontestable lecture statistique :

  « La part des mineurs (dans la délinquance) a augmenté de près de 5% en un an, pour atteindre 18% », a assuré le ministre, en ajoutant que cette délinquance des mineurs était également  » de plus en plus violente, avec l’apparition d’armes blanches et d’armes létales ». Elle est par ailleurs « de plus en plus jeune et elle se féminise »,

  • La Mineure ensuite sur le ton du raccourci hâtif où la raison et toute notion de causalité se sont déjà perdues en route :

« est-il normal qu’un mineur de 12 ou 13 ans qui a déjà commis des délits puisse se promener tout seul, à la nuit tombée ? Cela alimente les bandes, la violence et les trafics de drogue ».

  • Ne reste plus qu’à Conclure

«Je suis de plus en plus partisan d’une mesure qui aurait le mérite de la simplicité, de la lisibilité et de l’efficacité: qu’un jeune de moins de 13 ans qui aurait déjà commis un acte de délinquance ait une interdiction de sortie nocturne s’il n’est pas accompagné»

L’effet est d’autant plus efficace que la mesure est en apparence frappée au sceau du bon sens populaire.
Car en fin de compte l’idée qu’un enfant de moins de treize ans doive être surveillé par ses parents à une heure tardive n’a -il me semble- rien d’un scandale.
Frédéric Lefevbre, à qui l’on peut toujours faire confiance pour en référer au dit « bon sens populaire » ne s’est d’ailleurs pas privé de déclarer que :

« Décider qu’un mineur de 12 ou 13 ans, déjà mis en cause dans une affaire de délinquance, soit protégé contre la mauvaise influence des voyous et interdit de sortir le soir, ce n’est que l’application de la simple logique » [source]

 Mais à bien y réfléchir, cela suffit-il pour justifier un couvre-feu ? 

Quand bien même ; à qui celui-ci pourrait-il précisément s’appliquer ? 
Et comment ? 
Brice Hortefeux, décidément en forme, a d’ores et déjà fourni des premiers éléments de réponse lorsqu’il a précisé que :

Si ce « couvre-feu » entrait en application, il s’agirait d’une mesure administrative, puisqu’il s’agirait de « permettre au préfet de décider de l’interdiction de sortie [du] mineur une fois la nuit tombée », a envisagé le ministre de l’intérieur. [source]

C’est à ce stade que le terreau fertile qu’est le cerveau bouillonnant de notre dynamique ministre se heurte au sol froid et dur de la réalité. 

Il ne s’agit pas de faire prononcer le couvre-feu par un juge lorsqu’il reconnait un mineur coupable d’une infraction, mais bien de faire décider, puis appliquer la mesure indépendamment de toute décision de justice par le préfet au titre de ses attributions en matière de police administrative, au nom de la prévention d’un trouble à l’ordre public. 

Faut-il entendre par là que l’on risque d’aboutir à des situations où des mineurs seront frappés par le couvre-feu avant toute condamnation, c’est à dire alors qu’ils sont encore présumés innocents ? 
Ce n’est pas impossible.
[Bouh ! Un autre enfant qui fait peur…]
Pour exemple, dans une autre matière qui relève de la police administrative (et puisque j’ai décidé de me mettre au droit des étrangers) je crois utile de vous préciser qu’en France « la plupart des arrêtés d’expulsion sont motivés par l’existence de condamnations pour infractions pénales graves 30 ou, avant toute condamnation, par la commission d’infractions pénales graves« , ce que le Conseil constitutionnel a validé : décis. n° 80-127 DC (cf. Le contrôle de la situation des étrangers sur le sol français par H. Vlamynck)

L’autre grande difficulté réside dans les conditions d’application.
Souhaite t’en vraiment que nos enfants s’habituent à subir dès leur plus jeune age des contrôles d’identité sitôt la nuit tombée ?

Veut-on les « ficher » pour distinguer une fois pour toute ceux d’entre eux que l’on suppose « dangereux » ?

Les obstacles sont tels que nombre de voix s’élèvent pour mettre en doute la possibilité même de faire appliquer pareille mesure.

Après le fameux débat sur l’identité nationale qui ne trompe personne, en france comme à l’étranger en ce qu’il relève uniquement de la posture destinée à recentrer l’électorat de droite après des semaines de scandales, la proposition de Brice Hortefeux nous offre une fois encore un contre-feu efficace, rien de plus. 

Une fois encore, il s’agit avant tout de polariser l’opinion avec  une mesure incantatoire pour en « serrer les rangs ».

Je ne vais pas m’en plaindre ; une droite qui s’assume c’est bon pour le débat démocratique. 

C’est toujours ca de pris.
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Dictature de l’émotion

[remarque liminaire ; ce qui va suivre est un billet à troll]

Ce matin je ne pensais pas à devenir président de la République en me rasant.
Non, mais par un bizarre enchainement d’idée la voix d’un certain Procureur de la République m’est revenue en mémoire, avec le même force que lorsqu’il a prononcé cette phrase qui m’a mis hors de moi il y a déjà un an : 

« Une femme est morte, cela veut forcément dire qu’une faute a été commise, que quelqu’un est responsable » 

Je n’ai pas eu à attendre la relaxe des prévenus intervenue quelques jours plus tard pour saisir le non-sens que représente pareille affirmation. 
On ne peut pas se contenter de partir d’un résultat pour prétendre en expliquer la cause. 

C’est un non-sens logique ou pire ; une malhonnêteté intellectuelle.
Pourtant, c’est aussi une erreur humaine, presque instinctive que de céder à l’émotion qu’inspire la victime pour réclamer un « juste châtiment ». 
Prenez mon ami pinkbOnO ce matin, 
il était indigné d’apprendre, par la Plume de France Info  que, des trois policiers renvoyés devant le Tribunal Correctionnel à la suite du tabassage en règle à coups de poing et de pied  du jeune Fouad au sortir de sa garde à vue  : 
  • Deux ont été reconnus coupables de « violence aggravée » et le dernier pour « faux en écriture ».
  • Tous ont été condamnés à de la simple prison avec sursis. Et dans le cas des deux premiers, d’une interdiction d’exercer leur fonction pendant un an. 
Notez que sur le fond je suis d’accord avec sa position pleine de bon sens ; 
Mais je crois toutefois nécessaire de nuancer, ne serait-ce que parce que ca me dérange que la justice soit sans cesse taxée de laxisme ; 
Puis, il enchaine avec ca  
Et là, sans que cela entache le moins du monde le plaisir que j’ai à débattre avec lui, je ne suis plus d’accord.

S’agissant des violences, bien sùr,  le droit pénal distingue la faute en fonction du résultat obtenu.
Dans le cas qui nous occupe, si les violences avaient entrainé « une mutilation ou une infirmité permanente » le chef de prévention (i. e. le délit) aurait été différent, de même que la peine encourue.
La loi prévoit également, une circonstance aggravante dans le cas ou la violence a été commise par une personne dépositaire de l’autorité, comme en l’espèce. 
Pour autant, on ne doit jamais oublier cette notion fondamentale qu’est l‘indiividualisation de la peine : on ne juge pas des « faits bruts » mais un individu, qui n’est pas réductible à quelques instants de sa vie.
Dans l’affaire des policiers, seule cette notion, peut expliquer l’apparente « clémence » dont à fait preuve le tribunal.



Vous me direz peut etre que ce joli principe est bien difficile à accepter pour les victimes.

Je vous répondrai alors que ce n’est pas si important. (oui, je vais me faire des amis)

La sanction pénale a vocation à punir l’auteur d’une faute, pas à servir d’exutoire à la victime dont le préjudice.

On ne le rappellera jamais assez, les dommages et interets, condamnations civiles ont seules vocation à réparer le dommage, là où la sanction pénale vise à sanctionner la faute tout en protegeant la société.

C’est précisément la raison pour laquelle, partir de la victime pour évaluer la sanction est une erreur. 
Car bien souvent, s’il fallait satisfaire la victime, et rendre coup pour coup l’auteur n’en finirait plus de payer. 


De meme qu’un individu n’est pas réductible à un seul de ses actes la justice ne peut pas être une dictature de l’émotion. 


A ce sujet… filez voir ce qu’on nous prépare pour nous « protéger »

On en reparle très vite. 
Billets, justice, nos droits

Faute inexcusable, suicide et effet de mode

On a tous un talent plus ou moins utile de ceux qui  nous distinguent.
ils ont des degrés variables bien sûr et un intérêt inégal. 
Car bien sûr être le roi  du lancer de boulettes de papier est, en termes d’épanouissement personnel bien plus difficile à mettre en valeur que des capacités évidentes pour la physique quantique. 
En ce qui me concerne, j’ai bien peu de chance d’impressionner le plus naïf des nourrissons par mes performances d’athlètes. Mais en revanche je sais l’essentiel de ce qu’il y a à savoir, c’est à dire bien plus que la plupart sur les accidents du travail et les maladies professionnelles causées par une « faute inexcusable de l’employeur« . 
Au quotidien je l’avoue c’est assez inutile, mais professionnellement cela m’a permis de faire moult fois la différence face à des juristes à priori de formation équivalente à la mienne. 
Je ne vais pas vous faire un rappel complet de la notion, d’autant que je l’ai déjà fait au moins par deux fois  ici  et . 
Seulement, depuis quelques semaines le projecteur braqué par les médias sur la question des suicides liés au travail fait surgir le mot au moindre article puisque les proches des victimes et les syndicats entendent désormais faire consacrer la « faute inexcusable de l’employeur » qui serait à l’origine dudit suicide. 

Une affaire de ce type était d’ailleurs évoqués devant le TASS de Nanterre le 19.10 dernier :
Bien avant France Telecom, une autre entreprise avait, elle aussi, connu une vague de suicides. C’était Renault, en 2006. En quelques mois, plusieurs ingénieurs du Technocentre de Guyencourt (Yvelines) avaient mis fin à leurs jours.
Parmi eux, Antonio, qui a sauté de la fenêtre de son bureau situé au 5e étage, le 20 octobre 2006.
C’était le cas, le dix neuf octobre dernier de l’épouse d’un salarié de Renault : 
Sa veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. Et aujourd’hui, elle va plus loin. Devant le tribunal des Affaires de Sécurité sociale de Nanterre, elle attaque Renault pour « faute inexcusable ». Sylvie se défend de chercher à se venger d’un supérieur qui aurait harcelé son mari pendant des années, elle affirme qu’elle veut « faire condamner un système« . [source : France Inter]
Face à ce déferlement de fautes inexcusables dans les médias, j’ai commencé par me sentir dépossédé de mon pré carré, un peu comme ces adolescents qui renient leur groupe de rock préféré sitôt le succès de celui-ci venu ; au motif qu’il est « devenu trop commercial ». 
Et je me suis rendu compte que je n’étais dépossédé de rien dès lors que l’immense majorité des journalistes n’expliquait rien, comme souvent lorsqu’il s’agit de justice. 
Pire, ils présentaient parfois les choses de manière inexacte, comme dans cet article publié sur Europe 1 qui croit devoir signaler que l’affaire évoquée supra est « Une affaire qui pourrait faire jurisprudence ». [rires]
Arrêtons nous un instant. 

Les salariés n’ont pas attendu que les journalistes s’intéressent à leur souffrance pour commettre l’irréparable. 
Quant à la jurisprudence, elle va très bien, merci, d’ailleurs elle a déjà un avis bien arrêté sur la question. 

Pour que puisse être reconnue la faute inexcusable de l’employeur en pareille hypothèse la Cour de cassation exige que le suicide « ait un caractère professionnel ».
Il doit donc être démontré que son origine réside dans le travail faute de quoi demande sera nécessairement rejetée.  
C’est la solution qui ressort d’un  arrêt rendu par la 2° chambre civile de la Cour de cassation le 18.10.2005 qui a considéré :
que la cour d’appel, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la première branche du moyen, a retenu que la tentative de suicide commise par Mme X… revêtait un caractère volontaire, puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles, et non dans l’activité professionnelle de la salariée ; qu’elle a pu en déduire que, cet accident n’ayant pas un caractère professionnel, l’employeur n’avait pas commis de faute inexcusable, de sorte que Mme X… devait être déboutée de ses demandes en indemnisation complémentaire [légifrance]
Dans le cas de l’épouse du salarié de Renault l’extrait reproduit plus haut mentionne clairement que  la « veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. »
Dès lors, l’action pourra être accueillie si les conditions cumulatives qui forment la définition de la faute inexcusable de l’employeur  sont réunies. 
Un cas de suicide a d’ailleurs déjà été admis par la Cour de cassation comme constituant une faute inexcusable de l’employeur aux termes d’un arrêt rendu  par la 2° chambre civile le 22.02.2007 dont il ressort :
qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; Et attendu que les énonciations de l’arrêt, selon lesquelles l’équilibre psychologique de M. X… avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de M. Y…, caractérisent le fait que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que M. Y… avait commis une faute inexcusable. [Cour de cassation]
En somme, la justice n’a (heureusement) pas attendu que  des journalistes s’intéressent à la souffrance au travail pour la prendre en considération. 
Au travers du prisme de France Télécom qui tient beaucoup de la marotte journalistique morbide c’est évidemment un phénomène beaucoup plus large et des méthodes de management « particulières » qui sont mis en évidence. 
Plutôt que de jeter la pierre sur une entreprise en particulier beaucoup de  structures d’importance pourraient en profiter pour faire le point sur le méthodes de gestion du personnel. 

J’ai failli oublier de vous dire… j’aime mon travail.