justice, societé

La télé réalité est un emploi qui a de l’avenir

Jusqu’à hier les parents dont la fille scandait :
« Papa quand ch’rais grande j’veux faire de la  télé-réalité »
avaient encore le loisir de répondre
« Mais enfin ma chérie la Télé-réalité ce n’est pas un métier ».

Seulement, la chambre sociale de la cour de cassation, soit la plus haute autorité judiciaire française en matière de droit du travail, n’est pas du tout de cet avis. 


En décembre dernier je vous parlais chez l’ami PinkbOnO de cette bataille judiciaire qui oppose depuis quelques mois d’anciens candidats de télé-réalité aux producteurs de ces programmes. 

Le débat est à la fois simple et passionnant. 
Il s’agit de déterminer si le contrat qui lie les participants aux émissions de télé-réalité est ou non un contrat de travail. 
Les Conseils de Prud’Hommes et les Cours d’Appel avaient jusqu’à présent systématiquement donné raison au candidats.

Manquait cependant un arrêt de la Cour de Cassation, cette juridiction dont le rôle est précisément de trancher des questions de pur droit. 

C’est chose faite avec l’Arrêt n° 1159 du 3 juin 2009 rendu par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation qui statuait sur des pourvois exercé à l’encontre de l’arrêt précédemment rendu le 12.02.2008 par la Cour d’Appel de Paris. (sur lequel je fondais mon précédent article
 
Des pourvois ? 
Oui. Car chacune des parties avait décidé d’attaquer la décision de la Cour d’Appel. 
La société Glem la contestait en ce qu’elle avait requalifié le « règlements de participants » conclu entre cette société et les candidats en contrat de travail. 
Ces derniers demandaient quant à eux à l’appui d’un « pourvoi incident » une « cassation partielle » de l’arrêt au motif que celui-ci les avait déboutés de leur demande d’indemnité de préavis.
S’ensuit donc une décision complexe qui mérite quelques commentaires.  

1- Les candidats de télé-réalité sont des salariés
Pas de faux suspense, la Cour de Cassation a confirmé ce sur quoi la plupart des juristes s’accordaient : le candidat de télé-réalité est un salarié

La motivation est d’ailleurs difficilement contestable. 
Tout d’abord la Cour rappelle que 
 l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs »

A ce stade, la messe est déjà presque dite, il ne lui reste plus qu’à constater que la Cour d’Appel a vérifié que les faits de l’espèce correspondent à cette définition, ce qui est indiscutable :  

ayant constaté que les participants avaient l’obligation de prendre part aux différentes activités et réunions, qu’ils devaient suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur, qu’ils étaient orientés dans l’analyse de leur conduite, que certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels, que les heures de réveil et de sommeil étaient fixées par la production, que le règlement leur imposait une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et stipulait que toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi, la cour d’appel, (…) a caractérisé l’existence d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société Glem, et ayant pour objet la production d’une « série télévisée », prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées et à exprimer des réactions attendues, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne, et qui a souverainement retenu que le versement de la somme de 1 525 euros avait pour cause le travail exécuté, a pu en déduire, (…) que les participants étaient liés par un contrat de travail à la société de production.
Cette décision risque fort d’avoir un lourd impact sur le processus de fabrication des futurs programmes. 
[Selon le président de Tf1 production] « Il faudra, à l’avenir, appliquer les seuils d’horaire maximum par semaine, le repos hebdomadaire, les heures supplémentaires, etc., reconnaît Édouard Boccon-Gibod. À nous de faire preuve d’imagination. » De fait, la télé-réalité d’enfermement, qui exige une disponibilité permanente des candidats, devient impossible à réaliser… Loft Story , Pékin Express ou La ferme célébrités (qui devrait faire son retour sur TF1) deviennent des programmes nettement plus compliqués à produire. [Le point]
Chers parents, je suis donc infiniment désolé, « participant de télé-réalité » c’est bien un métier
Mais ne désespérez pas. 
La Cour de Cassation ne vous laisse pas sans arguments. 


2- La télé-réalité n’est pas morte  
Peu importe en réalité que les candidats de télé-réalité soient des salariés.
Parce que selon la Cour de cassation ledit travail ne rapporte pas grand chose.
Tout d’abord parce que la haute juridiction a confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel en ce qu’elle avait débouté les candidats de leur demande d’indemnité de préavis :
« qu’ayant constaté que les participants ne démontraient pas l’existence d’un délai-congé d’usage dans le secteur de la production audiovisuelle après exécution d’un contrat de travail pendant quatorze jours, la cour d’appel a justifié sa décision rejetant la demande d’indemnité de préavis ; que le moyen n’est pas fondé »
Mais surtout parce que la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel en ce qu’il a appliqué aux contrats litigieux le régime du « travail dissimulé »
Elle a ainsi considéré :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié, la cour d’appel a statué par un motif inopérant équivalent à un défaut de motif »
Ces trois lignes sibyllines ne sont pas sans conséquence puisqu’elles vont contraindre les candidats à rembourser la majeure partie des indemnités dont le versement avait été ordonné par la Cour d’Appel.
[Oui, ca risque de faire mal…]
 


3- Une ultime incertitude
En somme, la bataille se termine sur un match nul. 
Mais la guerre pourrait bien se poursuivre. 
En effet, selon le journal le Point le CSA avait prévenu les chaines de télévision de la probable requalification en contrat de travail des « règlements de participants »
Dès 2005, les sages disposaient, en effet, d’une étude du professeur de droit Philippe Stoffel-Munck, spécialiste du droit des contrats. Cet éminent juriste indiquait au CSA que le droit du travail devait s’appliquer à la télé-réalité. Les sages du CSA se sont contentés de transmettre cette consultation aux chaînes de télévision. [source]
Si l’information est exacte voila qui pourrait motiver les juridictions à considérer que les chaines de télévision ont intentionnellement eu recours au travail dissimulé.
C’est probablement sur ce mode que seront formulées les demandes des ex-candidats à l’occasion des 4 procédures qui, selon le même article, seraient  pendantes devant le Conseil des Prud’hommes de Boulogne.
Voila qui promet d’être saignant…
Billets, justice, societé

Où l’on parle comptables et jurés motivés

Dire que le monde judiciaire a acceuilli la « commission Leger » avec frilosité tient juste de l’euphémisme.
Comment d’ailleurs aurait-il pu acceuillir autrement cette formalité concue sur mesure pour légitimer le voeur présidentiel de supprimer le juge d’intrcution ?
La récente « fuite » au sujet de ses probables conclusions en a donc surpris plus d’un. 

Il y a tout d’abord cette probable introduction d’une possibilité de « plaider coupable » devant la Cour d’assise afin d’obtenir l’assurance d’une peine plus basse va en effet à contre-courant des principes de la procédure pénale Francaise.

L’idée de condamner plus légèrement un individu parce qu’on est certain de sa culpabilité semble un peu absurde au premier abord. 
Mais en réalité ce n’est pas de la justice qu’il s’agit de rechercher l’interet de cette proposition de réforme mais bien d’un point de vue comptable. 

Ce n’est pas (seulement) moi qui le dit : 
L’objectif clairement affiché par les membres du comité est de « désengorger » la justice, en accélérant la phase d’instruction et le déroulement des audiences. Dominique Coujard, président de la cour d’assises de Paris et membre du Syndicat de la magistrature, y voit les signes d’une « réforme au rabais », dans laquelle « une logique gestionnaire l’emporte sur une logique de qualité ». [source]
Voilà donc la proposition qui est faite à l’accusé : « laisser nous faire des économies sur votre procès, vous aussi vous prendrez moins cher ». 

C’est étrange tout de meme comme à chaque fois qu’il s’agit de faire des économies c’est du coté des droits de la défense que l’on cherche à les trouver… 

Toutefois, il serait trop sévère de condamner en bloc les probables conclusions de la commission Leger.
A en croire l’auteur de la fuite, le rapport à venir contiendrait au moins une authentique avancée pour la justice Francaise : 
Le comité Léger recommande que les décisions des cours d’assises soient motivées. Ses membres ont beaucoup débattu sur ce point central de la procédure française. Les partisans du oui s’appuient notamment sur le fait qu’une motivation serait utile en cas d’appel – afin que le deuxième juge sache pourquoi le premier a ou n’a pas condamné. En début d’année, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs condamné la Belgique «pour défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises». Certains, comme l’avocat Gilles-Jean Portejoie, souhaitent également battre en brèche, par le biais de la motivation, le principe même de l’«intime conviction».  [source]
Des arguments pratiques sérieux s’opposent à la motivation des arrets d’assises. 
A ce sujet je vous renvoie à « la motivation des décisions de la Cour d’Assises« , l’excellent article de Monsieur Huyette, magistrat de profession qui explicite parfaitement la difficulté.

Mais en dépit de ces arguments la motivation des décisions de Cour d’Assises me semble nécéssaire. 
Du procès « Outreau » au procès « Colonna » on a pu récemment constater à quel point l’intime conviction sur le fondement de laquelle sont rendues les décisions en matière pénale va de paire avec le doute qui est un toujours un poison en la matière. 

En dépit des contraintes techniques qui teinnent à la présence d’un jury en matière criminelle il parait d’autant plus intenable de refuser que les arrets de Cour d’Assises soient motivés alors que la loi l’impose lorsqu’il s'(agit des décisions du Tribunal Correctionne. 
En effet : l’article 485 du code de Procédure Pénale dispose  :
« Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif.
Les motifs constituent la base de la décision.
Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles. (…) » 
Juger les infractions les plus graves avec autant de rigueur et de transparence qu’on le fait pour les délits voilà ce que propose la commission Leger. 
Sur ce point, j’espère vraiment que ce rapport ne partira pas aux oubliettes.
Billets, justice, nos droits

La justice pénale à l’épreuve de la preuve

S’il est un domaine dans lequel on n’a de cesse de réformer c’est bien la justice.
Le code de procédure pénale n’est pas en reste et voit chaque année un nombre conséquents de ses articles modifiés. 

Pourtant, la justice reste souvent incompréhensible au point que chaque jour on pourrait trouver un fait divers qui suscite l’émoi et l’interrogation de l’opinion.

1- Fabrice Burgaud et la causalité adéquate
Prenez la récente décision du Conseil Supérieur de la Magistrature qui a prononcé une réprimande à l’encontre du désormais célébrissime Fabrice Burgaud. 


Même le garde des sceaux a convenu que :
« beaucoup de Français auront du mal à comprendre une décision qui, dans une affaire aussi grave, prononce une sanction symbolique », mais souligne que le CSM  » [source]
Notez au passage le raisonnement, Rachida Datri n’évoque pas la gravité de la faute, mais celle de l’affaire, ce qui montre à quel point elle a comprs la réalité de l’opinion.

Car si l’on se hasarde effectivement à comparer la sanction prononcée à l’ampleur du fiasco que représente l’affaire Outreau la sanction semble effectivement « décalée » et « incompréhensible » pour reprendre les mots de Phillippe Houillon député du Val d’Oise et rapporteur de la commission Outreau.

Seulement cette sanction n’a pas été prononcée eu égard au résultat obtenu mais a raison des fautes que le CSM a constatées dans l’instruction faite par Fabrice Burgaud alors juge d’instruction. 

Le raisonnement inverse, celui qui serait parti de la gravité de l’affaire pour en déduire une faute n’aurait pas simplement été idiot, il aurait été négligent, faute de considérer les nombreux autres magistrats qui sont intervenus dans cette affaire.

Certes Fabrice Burgaud est devenu un symbole, un bouc-émissaire bien pratique pour justifier la décision politique de supprimer le juge d’instruction.

Pour autant, cette réforme annoncée est elle à même d’empêcher qu’un tel fiasco judiciaire ne se reproduise ?
Certainement pas puisque les causes du désastre me semblent parfaitement extérieures à la fonction du juge d’instruction.
2- Les limites de l’intime conviction
Le droit pénal Français repose sur une conception quasi mystique de la fonction de juger et son code de procédure pénale semble véritablement obsédé par la « manifestation de la vérité ». [recherchez ces termes ici vous verrez par vous mêmes…]
En droit pénal Français, tel le Christ à l’Église en pleine Eucharistie la vérité se manifeste au tribunal à l’occasion des débats.

Cette conception a une conséquence très immédiate sur la teneur de la décision puisque selon l’article 427 du code de procédure pénale :
Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. [via]

Mieux, en matière criminelle l’article 353 du code de procédure pénale précise : 
Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
 » La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :  » Avez-vous une intime conviction ? « . »

Le « silence », le « recueillement », la « sincérité de la conscience », « l’intime conviction », voilà des termes qui à première vue évoquent bien plus la piété religieuse qu’un système judiciaire.



Pourtant c’est au regard de ce principe que sont rendues chaque jour des centaines de décisions sans que généralement cela ne déclenche une particulière émotion.
C’est sur la base d’une intime conviction de la cour d’assise que les Futurs acquittés d’Outreau ont été initialement condamnés par la cour d’assises de saint Omer.
C’est sur la base d’une intime conviction qu’Yvan Colonna a récemment été condamné par la Cour d’Assise.  
 
Pour quel résultat ? 

Une erreur dans le premier cas, une décision si incompréhensible pour l’opinion qu’elle en déclenche des manifestations et la perplexité des journalistes dans l’autre.
A ce stade, je ne peux m’empêcher de m’interroger -une question qui ne plaira ni aux politiques ni aux journalistes- et si la véritable maladie de notre justice pénale c’était son droit de la preuve ?


3- Vers un authentique système de la preuve légale ?

Et si plutôt que leur système accusatoire il fallait emprunter aux anglo-saxons leur système de la preuve légale, intellectuellement plus satisfaisant et tellement plus protecteur pour les prévenus, que notre système de la preuve morale ? 


Si vous ne connaissez rien à la matière j’attire au passage votre attention sur le déjà ancien mais toujours pertinent petit lexique incomplet de droit pénal à l’usage des impatients chez Diner’s Room.

 
Voilà qui réduirait un peu la marge de manœuvre du juge pénal, qui serait contraint de motiver plus strictement sa décision, à l’instar de ce que fait déjà le juge civil.  

Certes un tel système aurait aussi le défaut de laisser passer un plus grand nombre de coupables entre les mailles du filet judiciaire ce qui ne correspond pas tout à fait à la ligne politique de nos gouvernants actuels… 


Mais si tel est le prix à payer pour obtenir une justice pénale tout simplement plus juste, il me semble que le jeu en vaut la chandelle.