Il y a fort à parier que ce rapport sera très peu médiatisé, tout d’abord parce qu’il ne contient guère de révélation spectaculaire.
Et surtout, parce qu’il constitue un véritable baromètre de l’erreur judiciaire avérée, autant dire celle à laquelle on souhaite ne surtout pas penser…
Mise en situation ;
Sortant de chez vous, votre œil est attiré par un couteau à terre. Curieux vous le prenez en main avant de le découvrir maculé de sang.
Le temps de réaliser ce qui vient de se produire, un gendarme vous saisit et vous menotte.
Au terme d’un longue garde à vue vous êtes présenté à un juge d’instruction.
A raison des indices graves et concordants laissant présumer que vous seriez l’auteur d’un crime (vos empreintes sur l’arme, vos rapports tendus avec la victime ; votre voisin amateur death metal à deux heures du matin) le juge d’instruction vous notifie votre mise en examen.
Il sollicite votre placement en détention provisoire auprès du Juge des Libertés et de la Détention, qui fait droit à cette demande conformément à l’article 144 du code de procédure pénale pour les raisons suivantes :
- Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité
- vous protéger d’éventuelles représailles de la famille
- garantir votre maintien à la disposition de la justice ;
- Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission et l’importance du préjudice qu’elle a causé.
Sans avoir réellement compris ce qui vous arrive, vous voilà donc placé en détention sans avoir été jugé.
Votre procès viendra plus tard, à la fin de l’enquête.
Quelque six mois plus tard votre voisin du dessus, qui déteste le death metal expédie ad patres un autre résident, se fait arrêter et finit par avouer le premier crime.
Vous êtes libéré.
Certes, mais l’ensemble de vos proches a appris que vous étiez en prison et martèle à l’envi qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
Quant à votre employeur, il n’a bien sûr pas attendu pour pourvoir votre poste.
Vous êtes libéré… et très en colère contre la justice.
la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il s’agit donc de permettre et d’encadrer l’indemnisation du préjudice causé aux mis en examen à l’occasion de leur placement en détention provisoire lorsque par la suite ils ont été reconnus innocents.
Le texte est d’ailleurs très précis sur ce point, il ne suffit pas que la procédure n’ait pas débouché sur une condamnation
« aucune réparation n’est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l’article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l’action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l’objet d’une détention provisoire pour s’être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l’auteur des faits aux poursuites. »
Le recours fondé sur l’article 149 du code de procédure pénale relève de la compétence du Premier Président de la Cour d’Appel du ressort dans lequel a été prononcée la décision de non lieu, de relaxe ou d’acquittement. (art. 149-1 du code de procédure pénale)
La décision du Premier Président peut elle même être contestée devant la commission nationale de réparation des détentions, placée auprès de la Cour de Cassation. (art. 149-3 du CPP)
S’il s’agit par définition de recours exceptionnels le rapport d’activité pour 2008 de cette commission rappelle qu’il ne s’agit absolument pas d’hypothèses d’école.
On y apprend notamment que pour cette seule année, le nombre de décisions rendues en la matière par les Premiers Présidents de Cour d’Appel culmine à 665 (644 en 2007)
Quant à la Commission elle même, elle a eu à statuer sur 82 cas en 2008, (contre 91 en 2007)
Toujours sur le plan statistique, on apprend que :
La durée moyenne des détentions indemnisées a été de 343 jours (324 jours en 2007).
et que :
La moyenne des indemnités allouées a été, pour le préjudice matériel, de 7 309 euros (8 177 euros en 2007), soit un total de 402 029 euros (contre 637 810 euros en 2007), tandis que la moyenne de celles octroyées au titre du préjudice moral a été de 24 588 euros (22 700 euros en 2007) soit un total de 1 352 364 euros (1 770 600 euros en 2007).
La somme globale s’est donc élevée à 1 754 393 euros (2 408 410 euros en 2007)
Voilà qui est édifiant en soi ;
En moyenne, une année de votre vie passée en prison à la suite d’une erreur judiciaire vaut donc environ :
- 7.600 euros au titre du préjudice matériel
- 25.000 euros au titre de votre préjudice moral
Terrifiant non ?
Par exemple, la commission de réparation des détentions a été amenée à accorder à un homme de 57 ans, enfermé à tord du 6 mai au 22 septembre 2004 les sommes « royales » de :
- 10.000 euros au titre de son préjudice moral
- 2.300 euros au titre de son préjudice matériel
Par bonheur le rapport d’activité de la commission est mis en ligne alors que nous songeons tous aux vacances passées, présentes ou futures et n’avons aucune envie de penser à des choses aussi agaçantes.
Par bonheur, oui.
Imaginez un peu la panique si ca se savait ?