brèves, et hop, justice

[Brève] Justice d’avant garde

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Tarascon est un homme prévoyant. 
En effet j’apprends à l’instant que :
 » dans la perspective d’une réponse judiciaire cohérente et unifiée aux procédures de conduite sous l’empire d’un état alcoolique et sous l’emprise de produits stupéfiants qui pourraient être diligentées à l’occasion de la FERIA de Pâques « , [qui se déroule en se moment même] une audience correctionnelle exceptionnelle à juge unique se tiendra le 15 juin 2009 à partir de 08 heures 30.
Ce qui est bien avec la justice pénale d’aujourd’hui c’est qu’elle prévoit déjà de juger les délits qui n’ont pas encore été commis.

Délinquants prenez garde ;  » le futur vous rattrape » !


justice

Cachez moi cette antenne que je ne saurais voir

La décision de justice médiatique du jour concerne Bouygues Télécom. 
Dès premières infos ce matin aux colonnes des quotidiens en ligne il était bien difficile de la rater. 
C’est une première en France. Bouygues Telecom a été condamné par la cour d’appel de Versailles, mercredi 4 février, à démonter les installations d’émission-réception d’une antenne-relais dans le Rhône. Motif retenu: la crainte suscitée chez des riverains par les risques d’une exposition aux champs électromagnétiques. [source]
On apprend également dans le même article que :
L’opérateur de téléphonie mobile, condamné en première instance par le tribunal de grande instance de Nanterre, devra également indemniser ses clients pour exposition à un risque sanitaire. Soit 7000 euros à chacun des trois couples qui se plaignent de l’antenne-relais installée depuis 2006 sur un pylône de 19 mètres de haut, à proximité de leurs habitations. [même source]
Une fois encore l’immense majorité de la presse pêche par manque de formation et faillit en conséquence a sa mission d’information. Pas facile en effet de comprendre le sens de cette décision dès lors qu’elle n’est pas le moins du monde expliquée d’un point de vue juridique.
Cela est d’autant plus compliqué lorsqu’elle reprend des déclarations exagérées de l’un des avocats, probablement emporté par la joie d’avoir remporté cette affaire:

« Une jurisprudence est maintenant établie, toutes les antennes-relais de Bouygues sont en sursis »« , s’est réjouit Me Forget, qui précise ne pas vouloir faire « démonter toutes les antennes de France », mais défendre un mode de fonctionnement « raisonnable ».

Dans ce contexte, je ne crois pas inutile de rappeler quelques notions juridiques et d’essayer d’analyser la décision qui vient d’être rendue 

1- Cette décision peut elle « faire jurisprudence » ?
J’écarte la question d’emblée, un arrêt, fut-il de cour d’appel ne fait pas « jurisprudence » à lui seul.
Les décisions de justice rendues par les juridictions françaises ont un effet « inter partes », c’est à dire qu’elles ne concernent que les parties au litige et ne s’imposent donc à personne d’autre : surtout pas au juge. 
Un jugement français ne cite donc jamais une jurisprudence, puisqu’elle n’est pas une source du droit au sens strict.
 
Ce qui fait la jurisprudence c’est l’accumulation de décisions rendues dans le même sens et qui illustrent une tendance des juges à dire le droit de la meme façon.
Ce n’est pourtant pas une science exacte. 
 
Les professionnels connaissent bien les tendances de chaque juridiction à interpréter un texte, ou à évaluer un préjudice différemment des autres. 
Ils sont aussi habitués aux « revirements » de jurisprudence, qui illustrent la possibilité pour un tribunal d’interpréter une règle de droit à l’inverse de ce qu’il avait fait précédemment. 
 
Rien ne permet donc de dégager une éventuelle jurisprudence à ce stade. 
Si plusieurs décisions rendues dans le même sens devaient intervenir on pourrait alors seulement commencer à se poser la question. 
La cour de cassation qui sera probablement saisie  par Bouygues télécom pourrait cependant « donner le ton » des décisions à venir.  


2- Bouygues Telecom  va t’il devoir enlever son antenne ?
Christophe Lapp, le conseil de Bouygues télécom a évoqué la possibilité d’un pourvoi en cassation.
Ce recours n’est cependant pas suspensif d’exécution ce qui signifie que Bouygues Télécom va probablement devoir : 
  • enlever les antennes comme la cour d’appel l’a ordonné
  • régler aux demandeurs les dommages et intérêts qu’il a été condamné à verser
Je dis probablement puisque Bouygues conserve la possibilité de demander au premier président de la cour de cassation « l’arrêt de l’execution provisoire » en justifiant :
  • qu’il y aurait eu  violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 du CPC
  • que l’exécution risquerait d’entraîner des conséquences manifestement excessives
ce qui est très loin d’être facile…

Passées ces réserves juridiques d’usage, mon sentiment est que la décision sera exécutée.

3- mais  que dit elle en fait la décision de la cour d’appel ?
C’est la relative inconnue de cette affaire.
L’AFP a apparemment lu la décision mais elle n’a (à ma connaissance) pas encore été publiée.
Analyser le raisonnement juridique de la Cour me parait dans ces conditions ardu.

Heureusement je dispose de plusieurs points de repère puisque je sais :

  • qu’une juridiction ne peut répondre qu’à une demande dont elle est saisie
  • qu’on ne peut en appel développer des demandes nouvelles 
  • que l’arrêt rendu mercredi par la  Cour d’Appel de Versailles confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 18.09.2008.

Or, réjouissons nous, j’ai pu trouver une copie de cette décision. 🙂 

4- la décision de première instance 

Les demandes formées à l’encontre de Bouygues télécom en première instance étaient multiples. 
Étaient notamment évoqués : 

  • un trouble visuel 
  • une dépréciation de la maison des demandeurs

Mais ces demandes avaient été écartées. 
Je ne crois donc utile que de vous faire part des motifs qui ont emporté condamnation en première instance:

Les parties qui citent ainsi de nombreux avis, études ou analyses, nationales ou internationales, en font une lecture pour le moins opposée. Une conclusion certaine des pièces versées au débat qui ouverte et qu’elle permet à chacun de nourrir son point de vue. sont les seules sur lesquelles le Tribunal peut se fonder, est que la discussion scientifique reste

Le tribunal commence par cadrer le débat et rappelle qu’l ne peut trancher qu’en fonction des pièces qui lui ont été communiquées.

Une autre conclusion à en retenir est que si les troubles de santé, constatés chez certains, soupçonnés chez d’autres, constituent un préjudice dont le lien avec la proximité des antennes relais reste à démontrer, le risque de troubles, à distinguer des troubles eux-mêmes, est lui certain puisqu’il n’est pas contesté que les autorités compétentes en la matière, tant internationales que françaises, préconisent de faire application d’un principe de précaution.

Il déduit de ces pièces, qui sont des études émanant d’autorités compétentes  qu’il n’est certes pas avéré qu’elles soient à meme  de causer des troubles mais qu’un consensus existe quand à leur caractère potentiellement dangereux.
Il estime donc avoir la preuve qu’elles représentent un risque certain, avant de constater que Bouyguies Télécom n’apporte pas la preuve contraire, ni même avoir pris la moindre précaution à ce sujet :

La Sa Bouygues Télécom ne démontre d’ailleurs dans le cas d’espèce ni l’absence de risque ni le respect d’un quelconque principe de précaution puisque, à l’exception de deux décisions administratives insuffisantes pour ce faire, aucune des pièces produites ne concerne spécifiquement l’installation en cause.

Après avoir analyser ces éléments de « fait » le tribunal doit ensuite les « qualifier », c’est à dire leur appliquer la règle juridique idoine.
Or exposer son voisin, contre son gré, à un risque certain, et non pas hypothétique comme prétendu en défense, constitue en soit un trouble de voisinage. Son caractère anormal tient au fait qu’il porte sur la santé humaine.
La concrétisation de ce risque par des troubles de santé avérés constituerait un trouble distinct, susceptible de recevoir d’autres qualifications en fonction de la gravité des troubles, mais est hors du cadre du litige puisque les demandeurs ne se plaignent d’aucune pathologie.
Le notion de trouble anormal du voisinage est un corollaire du droit de propriété, ou plus exactement l’une de ses limites. 
Si la propriété est « le droit de jouir d’une chose de la manière la plus absolue », l’exercice de ce droit peut être abusif dès lors qu’il cause à autrui un trouble anormal. 
La cour de cassation admet d’ailleurs que ce trouble puisse être constitué par un risque, comme par exemple « la menace constante de projections de balles de golf » [l’arret ici]
Ayant constaté le caractère anormal du trouble la Cour ordonne une mesure de nature à le faire cesser, outre des dommages et interets. 

Écarter le risque dans le cas présent, vu l’absence de pièces spécifiques versées au débat, ne peut s’obtenir que par l’enlèvement des installations.

Compte tenu des informations que j’ai pu trouver dans la presse, il semble que l’arrêt de la cour d’appel reprenne à peu de chose près la même argumentation.

5- Perspectives

A ce stade, le jugement rendu par le TGI et l’arrêt de la Cour ne sont que des décisions relativement isolées.
Si l’application de la notion de trouble anormal du voisinage dans ce cas me parait juridiquement audacieuse, je ne suis pas certain que l’application de ce principe aux antennes-relais soit susceptible de se généraliser.

En l’absence de démonstration objective d’une dangerosité avérée lesdites antennes la notion de risque certain me semble prêter à débat.
Or sans lui pas de condamnation possible.

Si Bouygues Télécom forme un pourvoi en cassation, c’est précisément  cette notion qui sera au cœur du débat.
 
MAJ le 6.02.2009 :
J’ai pu trouver l’attendu principal de l’arrêt rendu par la cour d’appel

« les intimés, qui ne peuvent se voir garantir une absence de risque sanitaire généré par l’antenne relais […] à proximité immédiate de leur domicile familiale, justifient être dans une crainte légitime constitutive d’un trouble ; que le caractère anormal de ce trouble causé s’infère de ce que le risque étant d’ordre sanitaire, la concrétisation de ce risque emporterait atteinte à la personne des intimés et à celle de leurs enfants. » [source]
Billets, coup de gueule, justice

La chasse est ouverte

Depuis que la chasse au juge d’instruction est ouverte tous les coups sont permis.
Rachida Dati, qui n’a d’ailleurs jamais craint de déplaire au monde judiciaire l’a bien compris de sorte qu’elle n’a pas hésité à faire nouveau coup d’éclat avant que de quitter le gouvernement. 
Par chance, il se trouve justement un juge à portée de carabine. 
Il s’agit du juge Burgaud, dont le nom est devenu les symbole de la débâcle du procès « Outreau ». 
Alors que celui-ci doit prochainement être auditionné par le Conseil Supérieur de la magistrature dans le cadre d’une procédure disciplinaire la chancellerie a pris soin de faire parvenir à ce dernier une « Note » dont le Monde publie aujourd’hui des extraits.

Pour la directrice des services judiciaires, Dominique Lottin, qui a rédigé la note, il ne faut pas parler d’« insuffisances professionnelles », mais d’« une accumulation de manquements dont la répétition tout au long de la procédure démontre le caractère systématique voire volontaire ». Le comportement de Fabrice Burgaud a été « délibéré » et ne peut « être attribué à l’inexpérience d’un jeune magistrat ». Pis : « Ces pratiques ont compromis, pour les autres magistrats qui sont intervenus dans la procédure judiciaire, à la fois le contrôle d’un dossier rendu confus par manque de rigueur et la remise en question d’éléments présentés de façon péremptoire, par manque d’impartialité. » 

Toujours selon cette note,
La chancellerie estime que le juge Burgaud ne peut être amnistié car son comportement a donné de  son comportement a donné de « l’institution judiciaire une image dégradée qui ne pouvait qu’affaiblir la confiance des justiciables dans l’impartialité qu’ils sont en droit d’exiger de leur juge. » [source]
J’occulte d’emblée toute critique du procédé qui consiste pour un membre du gouvernement à envoyer une note à un juge afin de lui expliquer comment il doit trancher. 
Depuis la réforme du CSM, on sait que la séparation des pouvoirs a pris un peu plus de plomb dans l’aile dès lors que cette institution sert aussi désormais à « placer » des amis.


Non. Ce que je trouve stupéfiant dans cette note c’est cette phrase qui sonne comme une exécution.
« Ces pratiques ont compromis, pour les autres magistrats qui sont intervenus dans la procédure judiciaire, à la fois le contrôle d’un dossier rendu confus par manque de rigueur et la remise en question d’éléments présentés de façon péremptoire, par manque d’impartialité »
C’est dit, tout est de sa faute.
Peu importe que d’autres magistrats aient fait des erreurs dans ce dossier, il n’avait qu’à mieux le monter.
Au diable le Procureur de la République qui a saisi le juge Burgaud de cette affaire (un juge ne saisit jamais lui-même) quand bien même ses erreurs seraient antérieures à celles du juge Burgaud.
Ne tenons pas compte non plus des réquisitions du même Procureur de la République qui ont été rendues avant que le juge Burgaud ne rende son ordonnance de Réglement, si le dossier avait été mieux préparé il ne se serait pas trompé.
Et ne parlons pas, surtout, des décisions rendues par la chambre de l’instruction dans cette affaire, elle ne pouvait que se tromper puisque le dossier était « confus ».
Quant à la cour d’assises de Saint Omer peut importe qu’elle ait condamné des innocents, elle ne saurait non plus avoir la moindre part de responsabilité puisque le juge Burgaud était passé avant elle… 
 
Ça me rassure un peu.
Parce qu’au moment où l’on annonce la fin du juge d’instruction, c’est à dire une rupture historique avec la tradition judiciaire Française, j’ai cru qu’il allait falloir se poser des questions importantes. 
J’ai cru qu’il allait falloir se demander comment rendre réellement efficace le contrôle  des actes de l’instruction alors que les chambres de l’instruction (qui connaissent en appel des décisions rendues par le juge d’instruction et sont habituellement surnommées les « chambres de l’homologation » par les pénalistes avertis…) vont voir leurs attributions transférées à un nouveau « juge de l’instruction ».
J’ai cru qu’on devrait aussi se poser une fois pour toutes la question de la pertinence du recours à un jury populaire en Cour d’Assises.
Pensez donc, nos affaires les plus simples sont jugées par des professionnels alors que les plus complexes sont tranchées par des profanes…
J’ai enfin pensé qu’il allait enfin être nécessaire de s’interroger au sujet de la pertinence du recours si fréquent à la détention provisoire  (c’est à dire avant que la personne  ait été jugée) alors qu’elle n’est pas toujours absolument indispensable.
 
Mais heureusement ce ne sera pas nécessaire puisque tout est de la faute du juge Burgaud. 
D’un coup, je suis soulagé.