Billets, justice

Quoi de mieux qu’une taxe pour simplifier la procédure d’appel ?

Depuis hier, le Sénat examine en séance publique le troisième projet de loi de finances rectificative  pour l’année 2009. 
Au programme, pas mal de changements qui feront ou pas la joie des fiscalistes mais aussi une disposition qui intéresse le justiciable puisqu’elle crée une nouvelle taxe relative à l’exercice de l’Appel des décisions de justice.Pour bien comprendre les données du problème il faut revenir quelques mois en arrière et expliciter quelques éléments.
En Juin 2008 Nicolas Sarkozy annonçait son intention de rayer de la carte la profession d’Avoué. 
Je m’en étais ému à l’époque et vous renvoie au bref état des lieux que j’avais dressé dans ce billet.

Les choses se précisent depuis cette date puisque le projet de loi « portant réforme de la représentation devant les cours d’appel » a été adopté par l’Assemblée nationale le 6.10.2009 et sera examiné en séance publique devant le Sénat les 21 et 22 décembre prochains.
brèves, justice, societé

L’autorité parentale n’est pas reservée aux lesbiennes

 J’ai appris hier soir sur le site du Monde la nouvelle suivante : 
La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 30 octobre, a donné à un couple séparé de femmes homosexuelles la délégation d’autorité parentale avec exercice partagé, au profit de celle qui n’avait pas porté leur enfant. Dans son arrêt, la cour d’appel « dit que l’autorité parentale sur l’enfant sera ainsi partagée en Anne R et Emilie B pour tous les besoins de l’éducation de l’enfant ».

Selon Anne B, animatrice de l’association de familles et de futur familles homoparentales « les enfants d’arc en ciel – l’asso », « Anne et Emilie sont le 2ème couple séparé en France à obtenir cette délégation, et le 1er à l’obtenir en appel » car le TGI d’Aix-en-Provence avait accordé une délégation d’autorité parentale à un couple de femmes le 10 septembre 2008. [source]
Curieux, j’ai recherché cette décision sur le net, vainement puisqu’elle ne semble pas encore avoir été publiée. 
Je suis donc retourné consulter l’article du Monde, et son faux jumeau du Point afin de consulter les extraits de l’arrêt et me faire une petite idée de sa motivation. 

C’est précisément à ce moment là que mon regard a été attiré par un commentaire aussi peu amène que pertinent.
Alors, j’ai pris le temps de lire la page « commentaire » de l’article ; et une fois encore j’ai compris pourquoi les grands journaux « cachent » leurs commentaires sur des pages distinctes.

Ne vous méprenez pas, je suis par principe un grand défenseur des commentaires sur le net, tout autant d’ailleurs que je suis heureux lorsque les vôtres viennent ponctuer ma prose.

Mais il me semble souvent que les pages de pure information ne se prêtent que très mal à l’analyse et sont plus propices à générer des réactions « à chaud » 
qui procèdent bien plus souvent de l’opinion que de la raison.

Sous l’article évoqué plus haut on pouvait lire les réactions traditionnelles sur l’homo-parentalité.
Celles-là ne intéressent pas. 
Et puis, l’amie Valérie est bien plus drôle, et douée que moi pour leur répondre.

Non, j’ai été frappé par le décalage entre mon analyse de la situation -celle d’un  individu qui pratique le droit de la famille tout au long de l’année- et celle du lecteur profane, qui montre par son commentaire qu’il n’a rien compris puisqu’on ne lui a rien expliqué.
C’est le cas de celle-ci par exemple :
Ou de ceux-là aussi : 

L’objet de cet article n’est pas de leur jeter la pierre ou de critiquer leur manque de connaissance juridique. 
Le fautif dans ce cas, ce n’est pas celui qui se trompe mais celui qui a mal expliqué.
Ce qui va suivre a donc vocation a éclairer leur réflexion de même que la votre.

Or le plus simple pour lever un malentendu il me semble que c’est encore de préciser quelques notions. 


  • Qu’est ce que l’autorité parentale ?
Pour le juriste, l’autorité parentale ce n’est pas simplement le fait de se fâcher tout rouge lorsque votre en ant de moins de treize ans veut sortir à point d’heure.

Non, c’est une notion inventée par un loi N°2002-303 du 4.03.2002 qui a introduit dans notre code civil un article 371-1 libellé en ces termes : 

L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.

 Mais à bien y regarder, la question posée au juge ici n’était pas de savoir si celle des deux femmes qui n’a pas porté l’enfant a bien la qualité de parent, :il ne s’agit pas d’un problème de filiation (qui en droit français ne peut être établie qu’à l’égard des pères et mère selon les articles 310 et suivants du code civil)


Non, la question qui était posée au juge c’était de savoir si l’ex compagne de la mère pouvait se voir accorder une délégation d’autorité parentale. 

  • Délégation de l’autorité parentale ?

Là encore, c’est le code civil, décidément bien utile, qui fournit la réponse en son article 376 issu lui aussi de la loi de 2002 évoquée supra. 


C’est lui qui impose le recours au juge en la matière en ce qu’il dispose :

Aucune renonciation, aucune cession portant sur l’autorité parentale, ne peut avoir d’effet, si ce n’est en vertu d’un jugement dans les cas déterminés ci-dessous.

La volonté de judiciariser la délégation d’autorité parentale ,vivement critiquée dans les commentaires qui précèdent, ne relève pas d’un caprice ou d’une revendication. 
Oui, il appartient à la justice de donner son avis en la matière : mieux elle est la seule à pouvoir le faire. 

En l’espèce, puisque les deux parties s’entendent c’est nécessairement sur le fondement de l’article 377 du code civil que le juge a été saisi. (oui… pour ceux qui suivent, il s’agit toujours de la loi du 4.03.2002) 
Selon le premier alinéa de ce texte : 

Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance.

En l’espèce, il était donc demandé à la Cour d’accorder une délégation  partielle d’autorité parentale à celle des deux parties qui n’est pas la mère en sa qualité de « tiers, proche digne de confiance »  ; demande à laquelle elle a estimé devoir faire droit.

Ceux qui s’inquiètent de la possibilité pour les beaux parents d’obtenir ce type de mesure peuvent donc dès à présent se rassurer : ils y ont tout autant droit.

  • Une « avancée » ? 
La solution est d’ailleurs tout a fait conforme au droit « positif » (lisez « en vigueur ») pour avoir déjà été consacrée en des circonstances similaires par un arrêt rendu le 24.02.2006 par la 1° chambre civile de la cour de cassation dont voici « l’attendu de principe » : 

Ayant relevé, d’une part, que deux femmes vivaient ensemble et avaient conclu un pacte civil de solidarité et que l’une d’elle était la mère de deux jeunes enfants dont la filiation paternelle n’avait pas été établie, d’autre part, que les enfants étaient décrits comme étant épanouis, équilibrés et heureux, bénéficiant de l’amour, du respect, de l’autorité et de la sérénité nécessaires à leur développement, que la relation unissant les deux femmes était stable depuis de nombreuses années et considérée comme harmonieuse et fondée sur un respect de leur rôle auprès des enfant et que l’absence de filiation paternelle laissait craindre qu’en cas d’événement accidentel plaçant la mère, astreinte professionnellement à de longs trajets quotidiens, dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, sa compagne ne se heurtât à une impossibilité juridique de tenir le rôle éducatif qu’elle avait toujours eu aux yeux des enfants, une cour d’appel a pu décider qu’il était de l’intérêt des enfants de déléguer partiellement l’exercice de l’autorité parentale dont la mère est seule titulaire à sa compagne et de le partager entre elles. 

Il ne s’agit donc pas d’une solution inédite au regard de notre droit pas plus que d’une décision fondée sur l’homosexualité de l’un des « parents ». 

Si le droit existe c’est aussi pour mettre de la raison là où les individus agissent sur le fondement de la passion, pour imposer, à la façon de Braque  ; « la règle qui corrige l’émotion »

Or, de ce point de vue la Cour d’Appel de Rennes a fait un bien meilleur travail que la plupart des articles qui en ont rendu compte.
Billets, justice, nos droits

Faute inexcusable, suicide et effet de mode

On a tous un talent plus ou moins utile de ceux qui  nous distinguent.
ils ont des degrés variables bien sûr et un intérêt inégal. 
Car bien sûr être le roi  du lancer de boulettes de papier est, en termes d’épanouissement personnel bien plus difficile à mettre en valeur que des capacités évidentes pour la physique quantique. 
En ce qui me concerne, j’ai bien peu de chance d’impressionner le plus naïf des nourrissons par mes performances d’athlètes. Mais en revanche je sais l’essentiel de ce qu’il y a à savoir, c’est à dire bien plus que la plupart sur les accidents du travail et les maladies professionnelles causées par une « faute inexcusable de l’employeur« . 
Au quotidien je l’avoue c’est assez inutile, mais professionnellement cela m’a permis de faire moult fois la différence face à des juristes à priori de formation équivalente à la mienne. 
Je ne vais pas vous faire un rappel complet de la notion, d’autant que je l’ai déjà fait au moins par deux fois  ici  et . 
Seulement, depuis quelques semaines le projecteur braqué par les médias sur la question des suicides liés au travail fait surgir le mot au moindre article puisque les proches des victimes et les syndicats entendent désormais faire consacrer la « faute inexcusable de l’employeur » qui serait à l’origine dudit suicide. 

Une affaire de ce type était d’ailleurs évoqués devant le TASS de Nanterre le 19.10 dernier :
Bien avant France Telecom, une autre entreprise avait, elle aussi, connu une vague de suicides. C’était Renault, en 2006. En quelques mois, plusieurs ingénieurs du Technocentre de Guyencourt (Yvelines) avaient mis fin à leurs jours.
Parmi eux, Antonio, qui a sauté de la fenêtre de son bureau situé au 5e étage, le 20 octobre 2006.
C’était le cas, le dix neuf octobre dernier de l’épouse d’un salarié de Renault : 
Sa veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. Et aujourd’hui, elle va plus loin. Devant le tribunal des Affaires de Sécurité sociale de Nanterre, elle attaque Renault pour « faute inexcusable ». Sylvie se défend de chercher à se venger d’un supérieur qui aurait harcelé son mari pendant des années, elle affirme qu’elle veut « faire condamner un système« . [source : France Inter]
Face à ce déferlement de fautes inexcusables dans les médias, j’ai commencé par me sentir dépossédé de mon pré carré, un peu comme ces adolescents qui renient leur groupe de rock préféré sitôt le succès de celui-ci venu ; au motif qu’il est « devenu trop commercial ». 
Et je me suis rendu compte que je n’étais dépossédé de rien dès lors que l’immense majorité des journalistes n’expliquait rien, comme souvent lorsqu’il s’agit de justice. 
Pire, ils présentaient parfois les choses de manière inexacte, comme dans cet article publié sur Europe 1 qui croit devoir signaler que l’affaire évoquée supra est « Une affaire qui pourrait faire jurisprudence ». [rires]
Arrêtons nous un instant. 

Les salariés n’ont pas attendu que les journalistes s’intéressent à leur souffrance pour commettre l’irréparable. 
Quant à la jurisprudence, elle va très bien, merci, d’ailleurs elle a déjà un avis bien arrêté sur la question. 

Pour que puisse être reconnue la faute inexcusable de l’employeur en pareille hypothèse la Cour de cassation exige que le suicide « ait un caractère professionnel ».
Il doit donc être démontré que son origine réside dans le travail faute de quoi demande sera nécessairement rejetée.  
C’est la solution qui ressort d’un  arrêt rendu par la 2° chambre civile de la Cour de cassation le 18.10.2005 qui a considéré :
que la cour d’appel, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la première branche du moyen, a retenu que la tentative de suicide commise par Mme X… revêtait un caractère volontaire, puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles, et non dans l’activité professionnelle de la salariée ; qu’elle a pu en déduire que, cet accident n’ayant pas un caractère professionnel, l’employeur n’avait pas commis de faute inexcusable, de sorte que Mme X… devait être déboutée de ses demandes en indemnisation complémentaire [légifrance]
Dans le cas de l’épouse du salarié de Renault l’extrait reproduit plus haut mentionne clairement que  la « veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. »
Dès lors, l’action pourra être accueillie si les conditions cumulatives qui forment la définition de la faute inexcusable de l’employeur  sont réunies. 
Un cas de suicide a d’ailleurs déjà été admis par la Cour de cassation comme constituant une faute inexcusable de l’employeur aux termes d’un arrêt rendu  par la 2° chambre civile le 22.02.2007 dont il ressort :
qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; Et attendu que les énonciations de l’arrêt, selon lesquelles l’équilibre psychologique de M. X… avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de M. Y…, caractérisent le fait que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que M. Y… avait commis une faute inexcusable. [Cour de cassation]
En somme, la justice n’a (heureusement) pas attendu que  des journalistes s’intéressent à la souffrance au travail pour la prendre en considération. 
Au travers du prisme de France Télécom qui tient beaucoup de la marotte journalistique morbide c’est évidemment un phénomène beaucoup plus large et des méthodes de management « particulières » qui sont mis en évidence. 
Plutôt que de jeter la pierre sur une entreprise en particulier beaucoup de  structures d’importance pourraient en profiter pour faire le point sur le méthodes de gestion du personnel. 

J’ai failli oublier de vous dire… j’aime mon travail.