On a tous un talent plus ou moins utile de ceux qui nous distinguent.
ils ont des degrés variables bien sûr et un intérêt inégal.
Car bien sûr être le roi du lancer de boulettes de papier est, en termes d’épanouissement personnel bien plus difficile à mettre en valeur que des capacités évidentes pour la physique quantique.
En ce qui me concerne, j’ai bien peu de chance d’impressionner le plus naïf des nourrissons par mes performances d’athlètes. Mais en revanche je sais l’essentiel de ce qu’il y a à savoir, c’est à dire bien plus que la plupart sur les accidents du travail et les maladies professionnelles causées par une « faute inexcusable de l’employeur« .
Au quotidien je l’avoue c’est assez inutile, mais professionnellement cela m’a permis de faire moult fois la différence face à des juristes à priori de formation équivalente à la mienne.
Je ne vais pas vous faire un rappel complet de la notion, d’autant que je l’ai déjà fait au moins par deux fois ici et là.
Seulement, depuis quelques semaines le projecteur braqué par les médias sur la question des suicides liés au travail fait surgir le mot au moindre article puisque les proches des victimes et les syndicats entendent désormais faire consacrer la « faute inexcusable de l’employeur » qui serait à l’origine dudit suicide.
Une affaire de ce type était d’ailleurs évoqués devant le TASS de Nanterre le 19.10 dernier :
Bien avant France Telecom, une autre entreprise avait, elle aussi, connu une vague de suicides. C’était Renault, en 2006. En quelques mois, plusieurs ingénieurs du Technocentre de Guyencourt (Yvelines) avaient mis fin à leurs jours.
Parmi eux, Antonio, qui a sauté de la fenêtre de son bureau situé au 5e étage, le 20 octobre 2006.
C’était le cas, le dix neuf octobre dernier de l’épouse d’un salarié de Renault :
Sa veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. Et aujourd’hui, elle va plus loin. Devant le tribunal des Affaires de Sécurité sociale de Nanterre, elle attaque Renault pour « faute inexcusable ». Sylvie se défend de chercher à se venger d’un supérieur qui aurait harcelé son mari pendant des années, elle affirme qu’elle veut « faire condamner un système« . [source : France Inter]
Face à ce déferlement de fautes inexcusables dans les médias, j’ai commencé par me sentir dépossédé de mon pré carré, un peu comme ces adolescents qui renient leur groupe de rock préféré sitôt le succès de celui-ci venu ; au motif qu’il est « devenu trop commercial ».
Et je me suis rendu compte que je n’étais dépossédé de rien dès lors que l’immense majorité des journalistes n’expliquait rien, comme souvent lorsqu’il s’agit de justice.
Arrêtons nous un instant.
Les salariés n’ont pas attendu que les journalistes s’intéressent à leur souffrance pour commettre l’irréparable.
Quant à la jurisprudence, elle va très bien, merci, d’ailleurs elle a déjà un avis bien arrêté sur la question.
Pour que puisse être reconnue la faute inexcusable de l’employeur en pareille hypothèse la Cour de cassation exige que le suicide « ait un caractère professionnel ».
Il doit donc être démontré que son origine réside dans le travail faute de quoi demande sera nécessairement rejetée.
C’est la solution qui ressort d’un arrêt rendu par la 2° chambre civile de la Cour de cassation le 18.10.2005 qui a considéré :
que la cour d’appel, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient soumis et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la première branche du moyen, a retenu que la tentative de suicide commise par Mme X… revêtait un caractère volontaire, puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles, et non dans l’activité professionnelle de la salariée ; qu’elle a pu en déduire que, cet accident n’ayant pas un caractère professionnel, l’employeur n’avait pas commis de faute inexcusable, de sorte que Mme X… devait être déboutée de ses demandes en indemnisation complémentaire [légifrance]
Dans le cas de l’épouse du salarié de Renault l’extrait reproduit plus haut mentionne clairement que la « veuve, Sylvie, a déjà réussi à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail. »
Dès lors, l’action pourra être accueillie si les conditions cumulatives qui forment la définition de la faute inexcusable de l’employeur sont réunies.
Un cas de suicide a d’ailleurs déjà été admis par la Cour de cassation comme constituant une faute inexcusable de l’employeur aux termes d’un arrêt rendu par la 2° chambre civile le 22.02.2007 dont il ressort :
qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; Et attendu que les énonciations de l’arrêt, selon lesquelles l’équilibre psychologique de M. X… avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de M. Y…, caractérisent le fait que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que M. Y… avait commis une faute inexcusable. [Cour de cassation]
En somme, la justice n’a (heureusement) pas attendu que des journalistes s’intéressent à la souffrance au travail pour la prendre en considération.
Plutôt que de jeter la pierre sur une entreprise en particulier beaucoup de structures d’importance pourraient en profiter pour faire le point sur le méthodes de gestion du personnel.
J’ai failli oublier de vous dire… j’aime mon travail.