Billets, justice, nos droits

Tiens ! Et si on tuait le juge d’instruction ?

Il est encore trop tôt pour s’alarmer puisqu’il ne s’agit pour l’instant même pas encore d’un projet mais juste d’un bruit de couloir amplifié par le Monde ce matin au point de devenir l’information du jour :

Nicolas Sarkozy envisage de supprimer le juge d’instruction pour confier l’ensemble des enquêtes judiciaires au parquet, sous le contrôle d’un magistrat du siège, appelé juge de l’instruction. Le chef de l’État devrait en faire l’annonce lors de la rentrée solennelle de la cour de cassation, mercredi 7 janvier.[source]

J’ai dit trop tôt pour s’alarmer, certainement pas pour réfléchir, bien au contraire.

Car la machine judiciaire, par nature imparfaite ne saurait faire l’économie de penser en permanence à des améliorations éventuelles. 

Voila les seules questions qui vaillent. Quel est le système actuel ? Quel serait l’apport de la réforme proposée ? 
Voyons donc. 
 
1- Quelques mots sur le procureur de la République
 Dans l’hypothèse où la loi qualifie des faits de crime délits ou contravention, l’action publique est en principe :

mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée. [art. 1 du CPP]
Selon l’article L 212-6 du code de l’organisation judiciaire c’est « Le procureur de la République [qui] représente, en personne ou par ses substituts, le ministère public près le tribunal de grande instance. »
Au surplus selon l’article 12 du code de procédure pénale c’est lui qui dirige la police judiciaire.  

En outre -et c’est particulièrement important pour la suite de nos développements- l’article 40 al. 1 du même code dispose que : 
Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1.
Il s’agit d’une faculté discrétionnaire, dans le cadre de laquelle le procureur de la République n’a pas à motiver sa décision. 
Selon l’article 40-1 le procureur a donc le choix de décider s’il est opportun :
1° Soit d’engager des poursuites ;
2° Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ;
3° Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.
Vous avez bien lu. Le procureur de la République peut décider de ne pas poursuivre des faits pourtant punis par la loi et ce sans se justifier.

La chose est d’autant plus particulière que le procureur de la République, magistrat du parquet ne bénéficie pas de l’indépendance propre au magistrats du siège.
  • Il est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice.
  • Il n’est pas inamovible. 
  • Ses décisions qui ne sont pas à proprement parler des décisions de justice ne sont pas susceptibles d’appel. 
2- Au sujet du juge d’instruction
Selon l’article 51  du code de procédure pénale.
Le juge d’instruction ne peut informer [c’est à dire enquêter] qu’après avoir été saisi par un réquisitoire du procureur de la République ou par une plainte avec constitution de partie civile, dans les conditions prévues aux articles 80 et 86.
 En clair, il intervient dans deux hypothèses bien distinctes : 
  • soit l’affaire nécessite une enquête longue et complexe qui dépasse les attributions du procureur de la République. Celui-ci, qui souhaite poursuivre saisit un juge d’instruction pour enquêter. 
  • soit le procureur de la République a décidé de « classer sans suite » ou n’a pas donné suite à la plainte dans un délai de trois mois et la victime a saisi elle-même le juge d’instruction (art 85 du CPP)
 Dans la forme actuelle, le juge d’instruction est un magistrat indépendant, inamovible et qui dispose de pouvoirs d’enquête extrêmement importants. 
Contrairement à l’idée reçue encore beaucoup trop répandue le juge d’instruction n’échappe cependant pas à tout contrôle.
Ses décisions sont susceptibles d’appel devant la chambre de l’instruction, qui est une juridiction collégiale. 

3- vers un juge de l’instruction ?
L’idée évoquée dans le Monde de ce matin est encore trop vague pour correctement analysée, mais pourtant suffisamment claire pour être inquiétante.
Il s’agit ni plus ni moins : 

  • de concentrer toutes les fonctions de poursuites entres les mains du parquet
  • de ne laisser au juge qu’un simple contrôle à postériori n lieu et place du rôle actif qui est le sien.

Dans ces conditions, et puisque -l’article le précise- l’exécutif n’entend pas accorder au parquet son indépendance dans le cadre de cette réforme.

Si un tel système devait voir le jour aucune enquête ne pourrait donc plus avoir lieu en France si elle se révélait contraire à la volonté du gouvernement.
Il s’agirait ni plus ni moins que d’une mise sous tutelle de la justice pénale, d’un bras coupé au pouvoir judiciaire… 


Mais heureusement, à l’heure où j’écris ces lignes il ne s’agit encore que d’une rumeur.


A demain donc.


Billets, brèves

Privé de permis de conduire !

Elle quelque chose d’édifiant cette brève trouvée sur France Info :
C’est la dernière idée du président Nicolas Sarkozy : empêcher les incendiaires de voitures de passer le permis de conduire « aussi longtemps que la victime des faits ou le fonds de garantie n’a pas été indemnisé en totalité ». Une annonce qui suscite des interrogations… [source]
Depuis quelques années, les délits susceptibles de se voir sanctionner par une annulation du permis de conduire ne cessent de se multiplier.
Mieux ils tendent de plus en plus à concerner des délits qui n’ont qu’un lointain rapport avec la conduite. 
 
Dans sa rédaction actuelle le code pénal permet notamment au juge de substituer la suspension ou l’annulation du permis de conduire à une peine d’emprisonnement. (comme condamnation ou comme modalité d’exécution de la peine)
 
De même, ces mesures concernent désormais de nombreux délits  tels que les blessures involontaires ou le blanchiment d’argent
 
Pour un grand nombre de prévenus le permis de conduire est devenu  un véritable enjeu du procès. 
Car se voir priver de son permis de conduire signifie bien souvent perdre son emploi par contrecoup.
L’idée d’assortir la condamnation pénale de mesures coercitives destinées à faire en sorte que les victimes soient plus rapidement indemnisées n’est pas nouvelle mais elle est louable.
 
Précisons toutefois que depuis cette année les victimes dont le véhicule a été incendié peuvent se voir partiellement indemniser  au titre de la solidarité nationale dans le cadre d’une procédure exercée devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI).
Dans ces conditions ce ne sont pas directement les victimes qui seront les premiers bénéficiaires de cette mesure, mais le Fonds de Garantie (ce que reconnait implicitement N. Sarkozy dans sa déclaration). 


Mais ce n’est pas ce qui me choque dans cette affaire.
Il n’est pas illégitime que e fonds de garantie, qui permet aux victimes d’être indemnisées à bref délai se voit accorder la faveur législative.


Pourtant, empêcher un jeune qui aurait commis un délit de passer son permis aussi longtemps qu’il n’a pas intégralement réparé le dommage qu’il a causé revient clairement à taper où ça fait mal, mais pas forcément avec discernement.

A vrai dire, je rejoins assez l’opinion que développe Sébastian Roche sur son blog.
A quoi bon compliquer encore l’insertion professionnelle d’un jeune qui a commis un délit en le privant de véhicule ? 
Ce n’est pas bon pour lui, cela n’apporte rien à la société. Et cela n’est à bien y regarder même pas favorable à la victime puisque son indemnisation implique le plus souvent que l’auteur de l’infraction ait une activité professionnelle. 
A ce rythme pourquoi ne pas en plus proposer qu’un jeune délinquant ne puisse pas passer son bac tant que sa victime ne sera pas indemnisée ? 
 
Cela ne serait pas bien plus contre-productif…
 
Puisque je n’aime pas critiquer sans avoir mieux à proposer, j’ai une idée toute bête qui arrangerait probablement bien plus à l’avantage des victimes ? 
Et si la solidarité nationale (Fonds de garantie ou autre) faisait dans certains cas l’avance des frais d’huissier que les victimes doivent trop souvent exposer pour recouvrer ce qui leur est dû ? 
 
Voilà qui ne serait pas inéquitable… 
Billets, coup de gueule

Oui Dieudonné le débat est ouvert…

Aujourd’hui j’ai décidé d’être sympa avec vous. Oui, je vais vous épargner LA vidéo des exploits de Dieudonné qui fait la une de toute la presse
Parce qu’entre  deux bouts de foie gras et quelques verres de Banyuls vous les avez nécessairement aperçues ici ou là.

Et puis parce que ce qui compte avant tout ce ne sont pas ces images c’est le fond. 
Dieudonné lui-même affirme d’ailleurs vouloir lancer le débat… 

Je me propose de lui en offrir un, et je vais être un peu long, juste de sorte qu’il ne puisse être dit qu’il ait été lynché médiatiquement sans analyse préalable. 
 

1- De l’artiste au militant
L’homme a une belle plume et un talent comique incontestable.
Mais il n’est guère besoin de réfléchir bien longtemps pour trouver des exemples d’artistes de génie à la pensée indéfendable
S’il n’était que sa pensée d’ailleurs la chose n’aurait probablement pas une telle ampleur.  
On peut apprécier le travail d’un artiste sans toutefois épouser ses idées. 
Prenez Brigitte Bardot par exemple. On doit nécessairement peut ne pas être d’accord avec certaines de ses prises de position clairement d’extrême droite mais cela n’abolit pas la qualité des films qui ont été les siens en tant qu’actrice. 
Non, ce qui est intéressant chez Dieudonné c’est ce perpétuel mélange des genres qu’il entretient, mieux, cette mise en scène. 
Dans son spectacle du 26 décembre Dieudonné a une fois de plus clairement aboli la frontière entre son rôle d’artiste et sa volonté de militant. 

Je pense et je pose chacune des lettres du mot militant.

Car en invitant Faurisson sur la scène du Zénith Dieudonné a fait bien plus que se poser en défenseur d’une liberté d’expression qu’il aurait pu défendre de bien d’autres manières, dans un tout autre contexte et à bien meilleur escient.

Non Dieudonné s’est clairement offert comme tribune au profit des thèses de Faurisson est ce en totale cohérence (ou incohérence on ne sait plus trop) avec ses prises positions passés clairement anti-israeliennes


Et là je crois qu’il faut se poser au moins deux questions… 

  • Le public de Dieudonné était il venu voir ce soir là l’artiste ou le militant ? Probablement un peu des deux, forcément…  J’ai trop souvent ri aux sketchs de Dieudonné pour croire que seul Le Pen et ses sympathisants étaient venus le voir ce soir là… 
  • Mais à l’avenir qui de l’artiste ou du militant va continuer de remplir les salles ?  La question a son importance. Pour ma part, si j’aurais pu imaginer assister au spectacle de l’artiste je me vois mal payer pour assister à ce type de tribune politique.
    L’évolution future du public de Dieudonné risque d’être un sujet pas inintéressant à surveiller dans les mois à venir…
2- Faurisson et l’antisémitisme

En réalité je ne vais pas vous faire un long récit des thèses de Robert Faurisson. 
Car pour vous faire une idée sur le bonhomme le mieux est encore probablement de le lire

Il dispose d’un biographie extrêmement fournie(mais nécessairement sujette à caution) sur wikipédia 

Il se voit également consacrer quelques lignes dans l’encyclopédie Larousse
Pour faire bref l’homme, qui se présente comme un révisionniste, est l’un des fers de lance de la « pensée » négationniste en France. 
 
Il considère en substance  que la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale relevait d’une volonté de les éloigner mais pas de les exterminer. Il n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer que :

« le mythe des chambres à gaz est une gredinerie ». 

Mais l’on ne peut rien comprendre à la pensée de négationniste de Faurisson sans en aborder le versant antisémite

Pour plus une analyse critique de Faurisson je ne peux que inviter à aller consulter l’excellent « Pratique de l’histoire et des dévoiements négationnistes ».

3- Complotistes et falsificateurs
 Il ne s’agit cependant pas de confondre Dieudonné et Faurisson.
Le premier a d’ailleurs eu l’occasion de préciser que sa pensée n’était pas superposable avec celle de son invité de vendredi.
Il s’agit donc de trouver ce qu’il y a de commun entre eux. 


Or on peut prendre la chose par n’importe quel bout sans jamais s’éloigner d’une équation relativement simple :
  • Il y aurait un complot ourdi par des élites visant à faire croire à la Shoah (dans la droite ligne notamment des Protocoles des sages de Sion)
  • Ce complot aurait présidé à la création d’Israel en lui offrant une justification 
  • Les palestiniens seraient les victimes de ce complot cautionné par l’occident
Comment dans ces conditions ne pas être tenté d’interpréter les récentes déclarations de Faurisson (lorsque N. SArkozy avait évoqué la possibilité que chaque enfant francais ait en charge la mémoire d’un enfant juif exterminé) :
« Je suggère que dans le droit fil de l’initiative de N. Sarkozy soient prises, sans plus attendre, les deux décisions suivantes : chaque classe d’enfants des écoles juives de France, d’Israël et d’ailleurs prendra en charge la mémoire d’un enfant palestinien assassiné » [source]

S’il s’agit de se battre contre les thèses farfelues des négationnistes et autres complotistes paranoïaques il faut également garder l’oeil ouvert face à des histoires romanesques trop séduisantes.

Car les falsificateurs ne sont pas dans le seul camp des négationnistes. 

Des aveux encore récents de Misha Defonseca  à la romance inventée d’Herman Rosenblat on trouve aussi des mystificateurs du coté de ceux qui ont raconté leur version de l’holocauste. 
 
Si l’histoire inventée de l’auteure de « survivre avec les loups » est encore dans les mémoires, celle d’Hermann Rosenblat n’est parue dans la presse que ce matin. 
 
Ce survivant du camp de Buchenwald avait imaginé une romance qui serait survenue entre lui et une femme qui l’aurait nourri au travers des grilles du camp et prévoyait de la publier sous la forme d’une autobiographie avant de passer récemment aux aveux.