Ces derniers temps certains pères prennent de la hauteur.
Pas dans leur réflexion malheureusement. Ils prennent de la hauteur au sens propre du terme.
Les infos locales et nationales m’ont agacé tout le week-end avec le happening de Nicolas Moreno, le« Papa » qui a passé plusieurs heures perché sur le toit du musée du petit Palais des Papes à Avignon.
Si vous avez raté l’information, voici ce qu’en dit la Provence.
Ce papa sera finalement resté moins d’une dizaine d’heures après avoir déployé une banderole « Habemus Papas » sur la façade du musée. Et l’on comprend que la cité des papes, transformée par ce père, en « cité des papas » n’a pas été choisie au hasard pour porter un coup de projecteur sur ses revendications. Au-delà du clin d’oeil à l’actualité papale, Nicolas Moreno entendait bien ainsi mettre à son actif une nouvelle opération médiatique. Voilà quelques semaines, il avait déjà rejoint un autre père qui s’était réfugié dans une grue à Nantes pour sensibiliser l’opinion à la situation de certains papas divorcés.
Un petit mot de l’épisode Nantais, intervenu courant Février me parait important pour planter le décor avant de parler du fond.
Nicolas Moreno avait déclaré en cette occasion :
« Tout le monde connaît les ravages de la monoparentalité : Mohammed Merah a été élevé uniquement par sa mère. L’auteur de la tuerie de Newton aux États-Unis avait appris le maniement des armes par sa mère qui l’élevait seul. » [source]
L’autre père monté sur la grue, Serge Charnay y était quant à lui allé de son petit mot sur
« ces femmes qui nous gouvernent » et « ces bonnes femmes qui pensent que l’on ne sait toujours pas changer des couches » [source]
Prendre de la hauteur, qu’est ce que je vous disais…
Ce week-end toutefois, Nicolas Moreno ne s’en prenait plus aux femmes, mais aux juges lorsqu’il a déclaré :
« Notre cause est celle des enfants qui doivent bénéficier de leurs deux parents de manière égale (…) Il s’agit d’un acte de résistance contre les juges aux affaires familiales qui prennent presque systématiquement des décisions en faveur des mères. Nos ennemis ne sont pas les mamans mais les juges qui statuent pour elles ».
[source, ibid]
Cette affirmation, pourtant idiote, n’a pas été totalement inutile puisqu’elle m’a poussé à écrire cet article.
Je travaille en tant que juriste depuis quelques années maintenant dans un Cabinet d’Avocat à Tarascon (13). J’ai à ce titre connu un grand nombre de dossiers d’affaires familiales.
Si je vous précise le lieu c’est parce que le Président du tribunal de Grande Instance de Tarascon est Marc Juston, l’un des magistrats les plus respectés en matière familiale.
Pour ces deux raisons, au moins, je crois pouvoir apporter une contribution utile au débat au titre de ma petite expérience.
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Le code civil prévoit une stricte égalité entre les parents
Un petit mot de droit tout d’abord, ne serait-ce que pour poser le cadre de la discussion.
Depuis la loi du 4.03.2002, il n’y a plus de garde, mais un principe qu’on appelle l’autorité parentale, défini par l’article 371-1 du code civil de la manière suivante :
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
Selon l’article 372 al. 1 du code civil,
« Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale ».
Le principe imposé par la loi est donc l’égalité stricte entre les parents.
Par ailleurs, l’article 371-4 du code civil ajoute que :
« L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit.
Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non. »
Notez au passage la rédaction du texte.
Ce qui est au centre de celui-ci c’est l’intérêt de l’enfant.
Pas celui du père ou de la mère, l’intérêt de l’enfant.
Maintenant que ces bases sont posées, on peut s’intéresser aux articles qui sont au cœur du débat.
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Résidence principale, garde alternée ou droit de visite et d’hébergement ?
Pour décider chez qui va l’enfant, quand et pourquoi, le juge aux affaires familiales se fonde essentiellement sur l’article 373-2-9 du code civil selon lequel ;
(…) la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux.
A la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux.
Lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. Ce droit de visite, lorsque l’intérêt de l’enfant le commande, peut être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.
Lorsque l’intérêt de l’enfant le commande ou lorsque la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux, le juge en organise les modalités pour qu’elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu’elle s’effectue dans un espace de rencontre qu’il désigne, ou avec l’assistance d’un tiers de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée.
Par ailleurs, l’article 373-2-1 al. 2 du code civil dispose que ;
L’exercice du droit de visite et d’hébergement ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves.
En somme, rien dans la loi ne prévoit un biais susceptible d’entrainer une disparité de traitement entre les parents.
(ouf, j’ai eu peur l’espace d’un instant).
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Mais alors, pourquoi les enfants vont-ils statistiquement beaucoup plus chez les mères ?
Vous me direz que les pères, perchés sur leurs grues et leurs immeubles ne revendiquent pas une inégalité qui serait contenue dans la loi, mais l’application qui en serait faite par les magistrats.
Selon eux, la jurisprudence serait « pro-maman » et la résidence des enfants dans un grand nombre de cas fixée au forceps chez la mère.
De fait, lorsqu’on pose la question autour de soi, le préjugé généralement établi est que les pères sont défavorisés par rapport aux mères.
Il suffirait de lire quelques forums tenus par des associations « de défense des mamans » pour se convaincre que nombre d’entre elles sont pourtant toutes aussi convaincues que les juges sont pro-papa »
La tentative d’intégrer les pères à la vie des enfants a été présentée comme une façon d’améliorer la vie des enfants et d’égaliser la position des femmes et des hommes dans la famille. Or cet effort a eu, dans certaines circonstances, l’effet contraire en fournissant notamment aux pères violents un outil d’extension de leur pouvoir à la fois sur les enfants et sur leurs mères, en les « assignant » à résidence au nom du « respect de l’autre parent ». [source]
Puisque tant les pères que les mères semblent convaincus que les juges sont « dans le camp d’en face », je me dis que leur supposé manque d’impartialité n’est peut être pas le cœur du problème.
Si le biais n’est pas contenu dans la loi, et que les juges ne sont pas plus sexistes que la moyenne comment expliquer que la résidence principale des enfants soit dans une écrasante majorité fixée chez la mère ?
Je vous donne un indice :
« Sur les 134 000 divorces prononcés en 2007, 55 % d’entre eux sont réalisés par la procédure simplifiée de consentement mutuel. » [source]
Pour mémoire, le divorce par consentement mutuel suppose la signature préalable par les époux d’une convention portant sur l’ensemble des effets du divorce. Y compris la question de la résidence des enfants ou les droits de visite et d’hébergement.
Vous voyez ou je veux en venir ?
(c’est là que je dégaine Marc Juston récemment cité dans l’express sur le sujet)
« Si la résidence principale est très souvent confiée aux mères, c’est que les parents se mettent d’accord, sans même l’intervention du juge ». Et de citer une enquête du ministère de la Justice, publiée dans Infostat justice de janvier 2009, qui indique que, après les divorces par consentement mutuel prononcés entre 1996 et 2007, la résidence des enfants a été fixée chez la mère dans 71,8% des cas, en alternance dans 21,5 % des cas et chez le père dans 6,5% des cas seulement. Ces chiffres ne sont pas si éloignés de ceux des divorces pour faute, lorsque le juge fixe la résidence. Elle est alors donnée à 84% à la mère, à 11% au père et à 4,4% aux deux parents en alternance – la résidence alternée nécessite une communication entre les parents plus difficile en cas de conflit.
C’est aussi simple que cela.
Dans l’immense majorité des cas, si la résidence de l’enfant est fixée chez la mère c’est parce que les deux parents le demandent.
S’ils veulent voir évoluer la situation, nos papas perchés feraient donc bien mieux d’interroger la société dans son ensemble, et son rapport aux femmes, plutôt que de s’époumoner à critiquer ces « bonnes femmes qui nous gouvernent »…
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Et la garde alternée ?
Le meilleur moyen d’arriver à une meilleure égalité entre père et mère lors d’une séparation serait bien entendu d’avoir recours plus largement à la garde alternée.
Je rappelle (cf. supra) que la possibilité de fixer la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents est la première (donc la plus souhaitable selon le législateur) des options laissées au juge par l’article 373-2-9 du code civil.
Le peu de demandes en provenance des parents est donc le principal frein à une plus grande pratique de la garde alternée.
Je dois toutefois à l’honnêteté intellectuelle de préciser qu’une certain sexisme règne sur le sujet s’agissant des enfants en bas age, au nom d’un supposé instinct maternel.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 26 mai 2011 ( n° 10- 04663) qui a refusé la mise en place d’une résidence alternée pour des enfants âgés de 4 ans et 2 ans illustre bien cette tendance de la jurisprudence lorsqu’il énonce :
« Il est constant qu’un très petit enfant presque encore bébé a un besoin vital au niveau psychique d’établir dans une continuité un lien sélectif avec un adulte qui réponde à ses besoins physiques et affectifs et que c’est ainsi qu’il peut construire une bonne relation d’attachement. Que si ces conditions de stabilité ne sont pas réunies il pourrait présenter un attachement perturbé traduisant un sentiment de sécurité interne ».
Notez le nombre de détours empruntés par la Cour pour dire « un bébé a besoin de sa maman ».
En pratique, la garde alternée ne pose pas de difficulté lorsque les parents sont d’accord.
En 2005, 80 % des demandes de résidence alternée étaient formées conjointement, les juges homologuant ces accords dans 95 % des cas, seules les organisations « aberrantes » étant refusées par les juges [in Dalloz – AJ famille 09|12|2011]
La jurisprudence est divisée quant à l’opportunité d’ordonner une résidence alternée en cas de conflit parental.
Mais on trouve toutefois un nombre significatif, quoique minoritaire, de décisions favorables :
– « la résidence d’un enfant doit toujours être fixée selon son intérêt conformément à l’art. 373-2 c. civ., le conflit parental ne constituant qu’un critère à prendre en compte dans l’appréciation souveraine de cet intérêt, l’existence d’un tel conflit n’empêchant pas ipso facto de fixer une résidence alternée conformément aux art. 373-2-6 et s. c. civ. » (Basse- Terre, 21 sept. 2009, RG n° 08/00851);
– « la mésentente entre les parents ne doit pas être érigée en principe, voire en dogme, pour refuser systématiquement une résidence alternée permettant pourtant à l’enfant un temps d’accueil équivalent chez chacun d’eux lorsque les conditions s’y prêtent » (Grenoble, 21 avr. 2009, RG n° 08/02630). [même source ]
L’AJ Famille (donc toujours la même source) a eu la bonne idée d’interroger des juges aux affaires familiales pour connaitre leur raisonnement au moment d’accorder une telle mesure :
« Quand elle est demandée par les deux parents, je ne la refuse quasiment jamais. Quand elle est demandée par un seul parent, j’écarte rarement la demande tout de suite si elle me paraît sincère et non motivée par une arrière-pensée financière de payer moins de pension (on le devine souvent…). Je dirais que, dans les cas de demande unilatérale, j’accorde cette résidence alternée à 70 ou 80 % » (Marie Odile Devillers, TGI de Nanterre).
« Je pense que je fais droit aux demandes de résidence alternée dans 40 % à 50 % des cas. Sauf accord des parties, j’ordonne peu de résidences alternées concernant des enfants de moins de 8 ans. En revanche, je fais régulièrement droit à des demandes de résidence alternée concernant des adolescents » (Virginie Santoro TGI de Saint Denis de la Réunion)
« Environ 40 % dans les cas où la mesure est contestée, et quasiment dans tous les cas quand la demande est conjointe. Mes deux motifs principaux de rejet restent le jeune âge de l’enfant (en dessous de 2 ans) et le conflit exacerbé au sein du couple parental » Gérard Pitti TGI de Bobigny
Remarquez au passage, la réserve du dernier magistrat en ce qui concerne les très jeunes enfants.
En somme, dans les cas, minoritaires, où une garde alternée est sollicitée, le principal obstacle est l’existence d’un conflit parental.
(si vous voulez aller plus loin : un article de M. Juston sur le sujet Le challenge de la résidence alternée)
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Arrêter de se regarder le nombril
Bien sûr, la société n’est pas sortie du préjugé qui veut que la mère, supposée douée d’instinct maternel, soit plus à même d’élever un enfant.
Mais c’est trop simple d’accuser ce préjugé ou de critiquer les juges plutôt que de se remettre en question ne serait-ce qu’un instant.
Les mères et les pères qui prolongent en justice leur conflit au travers de leurs enfants n’ont manifestement aucune idée de l’image détestable qu’ils renvoient d’eux mêmes.
Il faut garder en tête qu’un magistrat ne va avoir que très peu de temps pour se faire un avis sur un dossier.
Il ne dispose que de quelques minutes durant l’audience pour rencontrer les parties et va se fonder sur leur argumentation ou celle de leur Avocat. C’est à dire au pire quelques mots, au mieux quelques pages.
Avec ces éléments en main, il doit prendre la décision la plus conforme à l’intérêt de l’enfant.
Car c’est de l’intérêt de l’enfant qu’il s’agit et essentiellement de cela.
Pensez-vous sérieusement qu’un magistrat va raisonnablement pouvoir estimer qu’un père qui se juche sur une grue ou un toit pour critiquer la justice apporte le climat le plus structurant à son enfant ?
Quelle image d’équilibre a pu renvoyer au juge ce père qui a récemment fait une grève de la faim devant le TGI d’Avignon et qui m’avait inspiré à l’époque quelques lignes de ce texte ?
C’est bien de vouloir agir pour changer la société.
Mais avant cela, il ne faut pas oublier de s’interroger sur soi-même.