à vif

Quelques mots sur Clara

Elle a une drôle d’allure Clara.

Un petit corps frêle qui lui donne des airs d’adolescente, dominé par des grands yeux noirs encore fatigués d’avoir trop pleuré. Et des brulures anciennes qui sillonnent son visage. On a brûlé Clara. On lui a cassé les dents. Et pourtant elle sourit alors qu’elle se laisse tomber sur le siège au moment même où le train démarre.

Elle me dit qu’elle aime bien s’asseoir à coté de moi tandis qu’elle fait descendre un accoudoir.

Elle ajoute que je suis son porte-bonheur car les contrôleurs ne la verbalisent jamais lorsque je suis avec elle.

Il faut savoir qu’elle n’a jamais de billet Clara.

Je le sais, comme chacun des habitués. Tout comme je sais que les contrôleurs, pas dupes de ses manèges, font pour la plupart semblant de ne pas la voir.

Un soir, j’ai proposé de lui payer le billet, et ajouté que ce serait dommage de prendre une amende pour si peu. Elle a accepté les quatre euros que je lui tendais à condition que je lui laisse les garder pour acheter à manger plus tard dans la soirée.

J’ai accepté, et regretté aussitôt d’avoir pensé qu’il s’agissait d’une petite somme.

Depuis, je sais que certaines choses ne changent pas ; le soleil se lève le matin et Clara n’a pas de billet. Jamais bien certain de connaitre le retard du train, je me sens un peu rassuré d’avoir au moins la certitude que Clara n’a pas de billet.

A l’occasion, elle a l’index ceint d’un pansement et ses cheveux rares par endroits laissent apparaître une plaie pas vraiment refermée. Un autre soir, c’est sa lèvre qui porte un pansement. Parfois j’ai l’impression que le corps de Clara ne cicatrise jamais totalement.

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à vif

Christophe a vraiment besoin d’aide

Il faut que je vous parle d’une pétition.

Ne fuyez pas. C’est assez important pour mériter ne serait-ce que les deux prochaines minutes de votre journée.
Il faut que je vous parle de Christophe.

Christophe Kalivogui est né le 10 décembre 1998 en Guinée Konakri.
Après la mort de ses parents, frappés à mort par le virus Ebola en novembre 2014 il se retrouve seul au monde et victime de discriminations.
Pour survivre, il rejoint la France en  janvier 2015.

Initialement accueilli à Avignon, il est pris en charge pas les services de l’aide sociale à l’enfance et scolarisé en classe de 3° au collège Jean-Henri Fabre à Carpentras depuis le mois de Mai 2015.

Seulement, le Procureur de la République, s’interroge sur les conditions d’entrée de Christophe sur le territoire Français et soupçonne l’existence d’un réseau de passeurs.

Par ailleurs il souhaite s’assurer de l’age de Christophe et décide de lui faire subir un test osseux.
Cette méthode, régulièrement critiquée, est peu fiable de l’avis mème de l’académie de médecine qui a d’ailleurs officiellement  indiqué au ministère de la justice des risques « d’erreur dans les deux sexes au-delà de quinze ans, en particulier chez le garçon ».

Peu importe, les autorités persistent à vouloir utiliser cette méthode faute de mieux sur les milliers de mineurs isolés qui demeurent sur le territoire français.
Pire,  dans de nombreux cas, ces tests sont purement et simplement annulés par les tribunaux car pratiqués sans que ceux qui les subissent soient effectivement informés que ce qui a l’apparence d’un simple examen médical peut, le cas échéant, servir de base à des poursuites les concernant.

Dans le cas de Christophe, les résultats du test osseux semblent indiquer qu’il serait âgé de 19 ans.

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à vif, navigation, reverie

La lente lassitude de l’artilleur

Les métiers sont comme les glaciers. De l’extérieur on n’en voit que la couche qui les recouvre sans pouvoir accéder ni à leurs contours réels, ni a la matière dont ils sont faits.

Aussi, je n’avais pas conscience de tout ce qui allait suivre lorsque je me suis engagé sur ce navire.

Chacun de mes premiers jours de moussaillon a été enivrant. J’avais rêvé de la mer, du vent sur mon visage, mais rien n’aurait pu me préparer aux sensations exactes, au goût de sel sur mes lèvres,  à l’odeur de ma peau transformée par la mer.

J’étais très peu payé. Mes journées commençaient souvent avant le soleil et finissaient bien après lui mais cela valait la peine au regard des certitudes que m’offrait le navire. Le pont sous mes pieds, le gouvernail et le ronflement constant du moteur. Il y a du pouvoir dans un navire et cela me rassurait à une époque où j’en avais besoin.

Alors j’ai dit oui à tout. J’ai laissé à peu près toutes mes possession à terre. J’ai accepté de briquer le pont, de tenir la barre et de faire la cuisine. Je prenais plaisir à visiter la salle des machines et à me salir les mains. Aucune tache n’était indigne tant qu’elle servait le navire.

Lorsque j’avais un moment de libre, je le passais dans la salle radio où je parlais avec d’autres navires ou des inconnus restes sur la terre ferme. Je me suis fait des amis par radio et lors de mes rares permissions à terre, les rencontrer a été un plaisir indicible.

Je me souviens sans peine du jour où je suis devenu artilleur. Le capitaine avait l’air heureux et un peu embêté à la fois. Voilà dix ans que l’état major promettait un nouveau canon pour remplacer celui qui prenait la rouille à l’avant du navire. La livraison prochaine de son remplaçant aurait dû être une bonne nouvelle. Seulement personne ne savait se servir de ce modèle plus moderne et de conception très différente de son prédécesseur. Puisque je n’avais jamais refusé la moindre corvée je n’ai pas compris tout d’abord qu’accepter celle-là allait radicalement changer mon rôle a bord.

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