L’autre jour j’ai réalisé qu’en amour on ne m’avait jamais quitté.
Je marchais, un livre audio dans les oreilles, mon attention équitablement partagée entre la voix d’Eric Herson-Macarel et les contours du Mont-Ventoux nappés de nuages crémeux lorsque l’idée s’est formée.
Ce n’est pas que je me pense si séduisant que l’on ne puisse envisager que me quitter. Tout d’abord, il faut garder en tête que mon étude se limite aux femmes qui ont voulu de moi. Ça ne fait pas beaucoup de monde. Et puis, la vérité c’est que j’ai longtemps pris mes jambes à mon cou au moindre signe de lassitude. J’étais lâche plutôt qu’irresistible, Je partais avant l’ennui, avant les disputes. Un prétexte m’aidait à quitter tant qu’il restait du beau, comme s’il était possible de laisser les souvenirs en l’état. Comme si les instants vécus étaient une toile sur laquelle il ne faut plus rien ajouter sous peine de l’amoindrir.
Les idées sont mouvantes comme les nuages. Si on les scrute suffisamment longtemps, elles changent de forme, si l’on cesse de les observer elles continuent leur bonhomme de chemin par elles-mêmes.
Longtemps, je ne me suis pas assez investi en amour, mais mon comportement a été exactement inverse en amitié. Cette pensée-là m’est apparue l’autre jour avec la netteté des idées mures lorsqu’il est venu nous rejoindre, quelque part aux alentours de l’heure du café.
Je ne suis pas de ces chefs de bande qui invitent frénétiquement ou sortent suivis de bruits et de gens. Mes amitiés sont longues et paisibles. Si le temps m’a appris à savourer le calme en amour, j’ai conservé le goût de la passion en amitié.
Alors je m’acharne là où tous me conseillent de cesser d’appeler. Cela m’a causé des déceptions brulantes et des trahisons jamais vraiment cicatrisées. Et parfois j’en ai tiré des joies sans bornes qui justifient tout le reste.
Il y a des gens que l’on peut cesser de voir et d’entendre des années durant et retrouver comme si quelques heures avaient passé.
C’est précisément l’exemple inverse qui s’est assis en face de moi l’autre jour.