Elle a une drôle d’allure Clara.
Un petit corps frêle qui lui donne des airs d’adolescente, dominé par des grands yeux noirs encore fatigués d’avoir trop pleuré. Et des brulures anciennes qui sillonnent son visage. On a brûlé Clara. On lui a cassé les dents. Et pourtant elle sourit alors qu’elle se laisse tomber sur le siège au moment même où le train démarre.
Elle me dit qu’elle aime bien s’asseoir à coté de moi tandis qu’elle fait descendre un accoudoir.
Elle ajoute que je suis son porte-bonheur car les contrôleurs ne la verbalisent jamais lorsque je suis avec elle.
Il faut savoir qu’elle n’a jamais de billet Clara.
Je le sais, comme chacun des habitués. Tout comme je sais que les contrôleurs, pas dupes de ses manèges, font pour la plupart semblant de ne pas la voir.
Un soir, j’ai proposé de lui payer le billet, et ajouté que ce serait dommage de prendre une amende pour si peu. Elle a accepté les quatre euros que je lui tendais à condition que je lui laisse les garder pour acheter à manger plus tard dans la soirée.
J’ai accepté, et regretté aussitôt d’avoir pensé qu’il s’agissait d’une petite somme.
Depuis, je sais que certaines choses ne changent pas ; le soleil se lève le matin et Clara n’a pas de billet. Jamais bien certain de connaitre le retard du train, je me sens un peu rassuré d’avoir au moins la certitude que Clara n’a pas de billet.
A l’occasion, elle a l’index ceint d’un pansement et ses cheveux rares par endroits laissent apparaître une plaie pas vraiment refermée. Un autre soir, c’est sa lèvre qui porte un pansement. Parfois j’ai l’impression que le corps de Clara ne cicatrise jamais totalement.
Et pourtant elle va plutôt bien Clara.
Elle a connu la drogue, les centres d’accueil pour sans abris. La prostitution aussi. Elle a un regard étrange quand elle en parle. Et souvent un mot gentil pour les policiers qui venaient s’assurer de sa santé et lui refiler quelques capotes d’une main chaleureuse.
Elle n’est pas banale.
Un soir elle s’est assise avec un regard plus rêveur qu’à l’habitude et une main posée sur le ventre.
Elle m’a dit : « je ne sais pas si je dois le garder dans ma situation. Tu en penses quoi ? ».
J’en pense des bêtises de mec pseudo-responsable. Je me demande où il va vivre ce gamin et s’il connaitra son père qu’elle a rencontré dans un centre d’accueil.
Je suis stupide.
Alors je bredouille que c’est son choix, ce qui au fond doit être la seule réponse valable.
Et je fais bien de ne pas articuler ces trucs idiots qui me passent par la tête.
Parce que ce gamin, je crois qu’il lui a vraiment sauvé la vie.
Il crie parfois un peu fort ce petit.
Et il court trop vite pour moi.
Mais il est gentil, volontaire et plein d’amour.
Peut être que ce qui lui a longtemps manqué à Clara c’est une raison de se faire du bien à elle-même.
Je les croise presque tous les soirs dans ce hall de gare où elle attend au chaud le car de la distribution alimentaire du Secours Catholique.
Ils sont mignons lorsqu’ils se tiennent la main.
A sa manière, elle est vraiment belle Clara.