Billets, brèves

De la triche à la mutualisation du savoir

Voila que le Monde se prend pour Techcrunch et couvre le lancement prochain d’un nouveau service en ligne.
Un site internet dont la vocation est pour le moins choquante à en croire l’article :

Un problème de trigonométrie insoluble, un exposé d’histoire ancienne à rallonge, ou une obscure dissertation philosophique… Faismesdevoirs.com, qui devrait ouvrir officiellement le jeudi 5 mars, le promet : « Si tu n’y arrives pas… Nous sommes là » [source]

A l’heure où les professeurs découvrent les logiciels anti-plagiat ce lancement sonne comme une véritable riposte à l’intention des apprentis tricheurs.
Une riposte certes, mais certainement pas gratuite :
Les tarifs varient en fonction du temps passé sur les copies. La résolution d’un simple exercice est facturée 5 euros. Un exposé complexe comprenant une dizaine de pages et de quoi tenir trente minutes à l’oral coûtera 80 euros.
En réalité, il semble bien que Faismesdevoirs.com ne soit qu’un nouvel appât destiné à inciter les enfants à dilapider leur argent de poche en appels surtaxés :
Les adolescents n’étant généralement pas dotés d’une carte bancaire, la difficulté a été de mettre en place des systèmes de paiement susceptibles de drainer argent de poche et étrennes des collégiens. Des cartes prépayées sont disponibles dans plusieurs boutiques parisiennes (dont des salles de jeux en réseau), les forfaits de téléphonie mobile peuvent servir de mode de paiement en utilisant des SMS surtaxés, l’argent de poche liquide est également bienvenu via les mandats postaux. Le compte Paypal de papa et maman peut également faire l’affaire.
Pas besoin donc, de vous détailler mon sentiment sur ce site dont les procédés sont moralement répréhensibles à plus d’un titre.
Si l’idée d’en tirer un profit ne me plait guère. L’idée de mutualiser les connaissances n’est pas particulièrement choquante. Internet est avant tout un moyen formidable de trouver immédiatement une information, mais aussi un interlocuteur spécialiste.
Dans ces conditions, la capacité pour un élève de tricher ne va cesser de s’étendre ; même si l’on peut supposer que les enseignants, dont l’une des compétences premières est de savoir évaluer leur élèves, sauront généralement distinguer la copie transpirée de la copie pure et simple.

Pourtant ce nouveau statu quo, dans lequel la réponse à un exercice est presque instantanément accessible, constitue une vraie chance qu’il serait regrettable de ne pas saisir.

Les plus jeunes générations ont une culture de plus en plus diluée, habituées qu’elles sont à picorer de l’information un peu partout.
Si l’on se plaint souvent de la dégradation de l’orthographe, on entend rarement qui que ce soit se réjouir de leur capacité à utiliser comme instinctivement les nouvelles technologies.
Et si le vrai défi était d’adapter les enseignants aux élèves d’aujourd’hui ? C’est la base même de l’idée de pédagogie il me semble.

Allons même plus loin. Le vrai défi c’est de repenser la chaine de transmission du savoir dans son ensemble. (quelques pistes dans un excellent article chez Korben)
Ce serait nettement plus satisfaisant intellectuellement que ce débat étriqué sur la création et internet qui va se tenir dans quelques jours.

A l’opposé de ce courant j’ai récemment découvert que les auteurs de la Série Loup Solitaire, ces livres-jeu d’héroic Fantasy qui ont occupé nombre des heures des premières années de mon adolescence l’ont bien compris lorsqu’ils ont mis en ligne gratuitement l’intégrale de la série. (c’est en anglais, mais c’est légal et conforme à la volonté des auteurs .. Au contraire des versions Françaises vers lesquelles Google pourrait vous guider)
L’opération a ouvert la série à un nouveau public ce qui à motivé les éditeurs à réimprimer la collection complète. Un beau succès donc et une jolie leçon à l’intention des grincheux !

D’ailleurs je crois que je vais me replonger à la recherche des bouquins dans les tréfonds de ma bibliothèque tiens.

Que voulez-vous, lorsque les héros de mon enfance ne me déçoivent pas, ça m’émeut…
Billets, brèves, nos droits

Ces francais qui roulent sans permis

Le Figaro avait un bon sujet ce matin.
Un vrai sujet de société, émergent, polémique, et sur lequel on pourrait agir immédiatement.
Faute de l’avoir compris le journaliste est « passé à coté » de sorte qu’il signe un article raté, et pour tout dire assez idiot :
Leurs employeurs ne sont pas autorisés à contrôler leurs points. Une faille pour la sécurité, comme le montrent de récents accidents de la route.
Le chauffeur de bus qui a fauché cinq personnes, dont deux adolescents de 13 et 14 ans, vendredi soir à Grigny (Essonne) avait fait l’objet d’un retrait de permis de conduire en septembre ­dernier. Cette affaire met en évidence les failles d’un système qui ­­­n’éta­­blit pas de connexion entre l’usage ­personnel et professionnel du ­capital de points d’un automobiliste. Au point que certains professionnels peuvent dissimuler à leur employeur l’interdiction qu’ils ont de prendre le volant. En effet, au nom du respect des libertés individuelles, la loi n’autorise pas un employeur, fût-il d’une société de transport public ou scolaire, à accéder à «l’état des lieux» du permis de ses employés. [source]
« L’état des lieux » est bon. Conséquence nécessaire de la politique répressive qui s’est installée en France depuis déjà quelques années ; un nombre croissant de conducteurs ne sont plus titulaires du permis de conduire.
A première vue, on pourrait d’ailleurs se réjouir du nombre croissant des annulations et suspensions du permis de conduire. On pourrait s’en réjouir si cela signifiait symétriquement moins de chauffards sur les routes.
Seulement, ce n’est pas l’exacte réalité.

Il y a quelques semaines déjà je vous expliquais qu’un nombre croissant d’infractions sans rapport direct avec la conduite peuvent aboutir à un retrait du permis de conduire.

Ne serait-ce que pour appuyer mon propos j’ai envie de vous raconter l’histoire de Monsieur X, une histoire vraie, jugée récemment et qui devrait vous surprendre.

Monsieur X a une vingtaine d’années, l’age où la poussée hormonale peut vous surprendre à tout moment.
Précisément sous l’empire d’une pulsion difficilement convenable Monsieur X fait un arrêt sur le parking d’une grande surface.
Il est minuit, et le parking est désert. Monsieur X, qui pense avoir trouvé un endroit discret se résout à satisfaire son besoin pressant.
L’esprit tout à la séance d’onanisme qui l’occupe Monsieur X ne prete aucune attention à la voiture qui s’approche, pas plus qu’au vigile intrigué qui se trouve à l’intérieur.
Lorsque le vigile arrive à la fenêtre, il est déjà trop tard pour tenter de cacher la nature de son activité.
Monsieur X a depuis été déféré devant le procureur de la république pour « exhibition sexuelle » et condamné à l’issue d’une procédure de « comparution sur reconnaissance de culpabilité » et condamné à… 6 mois de suspension du permis de conduire.
Dans la foulée, il a perdu son emploi de commercial, qui lui imposait d’être constamment en déplacement.
Je suppose que vous commencez à comprendre où je veux en venir.

Dès lors que l’on fait de la suspension du permis de conduire l’alpha et l’oméga de la sanction pénale sans tenir compte de l’impact véritable de cette sanction sur les prévenus, il ne faut pas s’étonner qu’un nombre sans cesse croissant d’entre eux conduisent malgré le retrait de leur permis.

Mais cette subtilité ne semble pas intéresser le journaliste du Figaro, trop pressé de mettre les chauffards hors d’état de rouler :
Pour éviter ce genre d’écueil, la seule possibilité pour les employeurs est de «demander à leur salarié de produire le certificat médical qui est délivré tous les cinq ans aux chauffeurs de poids lourds et de transports en commun au terme de leur visite obligatoire, explique un employé de préfecture, ou bien de vérifier s’ils ont leur permis en poche.» Car, après s’être vu notifier le retrait de leur permis, les fautifs ne sont plus censés en disposer.(…)
L’autre possibilité pour l’employeur est d’ajouter une clause au contrat de travail, obligeant le salarié à fournir un «relevé intégral» tous les ans, par exemple, c’est-à-dire une attestation de préfecture mentionnant le solde de points. Ce qui était précisément le cas pour le réseau Tice, la société qui emploie le chauffeur de Grigny, puisqu’elle oblige ses salariés à cette vérification tous les six mois.
Notez donc qu’il n’existe pas une, mais bien deux solutions à même d’empêcher des professionnels de rouler sans permis de conduire, deux possibilités qui relèvent du pouvoir de direction de l’employeur :
  • Prévoir à priori dans le contrat de travail la production périodique du relevé de situation intégrale
  • Demander au salarié de produire son permis de conduire avant de prendre le volant
Mais deux solutions, ça ne suffit visiblement pas au journaliste du Figaro :
Contrôlé juste avant son retrait de permis, le chauffard est passé entre les gouttes, la prochaine échéance étant prévue en mars. Un vide juridique dont convient Pierre Gustin, délégué général de l’association prévention routière. «Même s’il ne faut pas généraliser, dit-il en rappelant que sur les 40 millions de personnes qui ont le permis, moins de 2 pour 1 000 en sont privés, on pourrait envisager de changer la loi pour que les entreprises de transport public aient au moins accès à ces informations.»
Vide juridique… Je suppose qu’il veut parler du vide de ses connaissances juridiques…
Je l’ai déjà expliqué, le vide juridique n’existe pas pour la simple et bonne raison que la loi n’a pas à prévoir chaque « micro-situation » pour couvrir tout le champ du possible.
C’est d’ailleurs le travail quotidien des professionnels du droit : qualifier des faits pour leur appliquer la règle qui convient.
Ne vous inquiétez pas messieurs, nul besoin de créer un nouvelle loi. Celles qui existent ont déjà tout prévu.

Dans le cas de l’accident qui a motivé l’écriture de de l’article il aurait suffi que l’employeur vérifie plus régulièrement qu’il ne l’a fait que son salarié était bien en possession de son permis de conduire grâce au pouvoir de direction qui lui est reconnu par loi dès lors qu’il y a contrat de travail.

Preuve que le droit a pensé aux employeurs, ce pouvoir de direction leur permet même de faire passer des alcootest à leurs salariés conducteurs.

A ceux qui craignent en permanence le spectre du vide juridique : cessez de vous inquiéter ; le droit Français est un couteau suisse qui n’a pas fini de vous étonner.
Ciné, la classe, politique

Un aller simple pour maore [coup de coeur]

Les mouvements sociaux qui agitent la Guadeloupe ont récemment attiré mon attention sur le passé colonial de l’ile. Un passé dont je connaissais l’existence sans en avoir jamais vraiment pris conscience.
Du point de vue de l’enfant que j’étais, la Guadeloupe a toujours été une évidence, apprise en cours de géographie en même temps que la Corse et la Bretagne.

Imperceptiblement pourtant je n’avais pas le même sentiment au sujet de Mayotte, que j’aurais été bien incapable de situer sur une carte.
Jusqu’à hier soir et le film « un aller simple pour Maore » le nom de Mayote m’évoquait principalement les derniers articles de la plupart des décrets, cux qui précisent que le texte s’y appliquerait ou pas.
Or de ce point de vue, le documentaire d’Agnès Fouilleux est déjà une réussite, hier soir j’ai fait moi aussi « Un aller simple pour Maore ».

La réalisatrice était dans la salle, elle a longuement expliqué les difficultés qu’elle a rencontré pour faire le film, sans le moindre financement, son sujet n’ayant pas été jugé suffisamment consensuel par les chaine de télévision

Documentaire sans concession, « Un aller simple pour Maore » analyse la situation de l’ile de Mayotte « Maore » instrumentalisée pour servir les interets français.
On y apprend comment le référendum de 1974 à l’occasion duquel les habitants des Comores ont été appelés à choisir ou non l’indépendance à été manipulé par le gouvernement Français à coup de magouilles et de pressions physiques sur la population.
On y apprend également dans quel contexte la France a pu conserver ce territoire sous sa souveraineté, malgré de nombreux rappels à l’ordre de l’ONU, à des fins stratégiques.
Chronique de ravages de la Francafrique, le documentaire s’intéresse avant tout au rapports entre les trois iles des Comores désormais indépendantes avec l’ile de Maoré.

Agnès Fouilleux met en valeur l’absurdité du processus politique mis en place qui a séparé frères et sœurs, cousins et cousines par une frontière née du jour au lendemain.
On y suit notamment le parcours des Kwassat Kwassat (ça secoue, ça secoue) prêts à traverser la mer en canot pour atteindre l’ile de Maore et des conditions de vies meilleures.


« Un aller simple pour Maoré » n’est pas exempt de défauts, pour l’essentiel dùs à son budget presque inexistant.
C’est néanmoins un film réussi et nécessaire.
D’autant plus nécessaire qu’un référundum doit avoir lieu dans quelques jours à Mayotte qui décidera ou non d’en faire un département Français sans que les médias de métropole n’aient daigné lui offrir une quelconque couverture.


Voilà un film rare qui ne restera pas longtemps à l’affiche ; une authentique raison de vous déplacer que vous aimiez ou non le cinéma.

Foncez-y si un cinéma près de chez vous le diffuse :
Pour en savoir plus :
Un extrait du film pour vous donner une idée :