Billets, politique

Le black-out : miroir d’un espace politque en crise

Au sein de deux articles que je ne peut que vous enjoindre à lire Numérama  et Slate (via la plume de Versac) signent chacun un constat qu’il serait bien difficile de contredire. 
Comment en effet ne pas se rendre compte du manque d’impact  sur l’opinion française de la grogne qui s’est répandue sur le net face à la loi « création et internet » ? 
Alors que le black-out du net se répand à une vitesse si typique de la toile il parait bien vain face des politiques et une opinion publique généralement favorables à ce texte. 

A mon sens cette situation est le symptôme d’un problème préexistant , d’ailleurs plutôt bien décrit par Versac :
« A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue. [source]

Je crois intimement à une crise de la chose politique en France, ce pays où :les partis politiques sont progressivement réduits à leur simple fonction d’instrument de conquête du pouvoir, ce pays où l’iopinion publique ressent progressivement les syndicats comme des instruments corporatistes marginaux. 

Ceux d’entre vous régulièrement qui me lisent savent que la question du modèle de société m’est particulièrement chère. 
Or il me semble que les instruments capable de proposer et de fédérer autour de grandes questions de sociétés sont dans notre pays au mieux inefficaces au pire inexistants. 
Je vois au moins trois difficulté dont l’aplanissement est un préalable nécessaire pour sortir que puissent efficacement être menés des combats d’opinions efficaces, qu’ils portent ou non sur La création de l’HADOPI. 


1- Dépasser le cadre corporatiste
Il me semble que la première de ces difficultés est d’aller clairement au-delà du cadre corporatiste.
Cela implique tout d’abord de regarder les choses en face, de comprendre par exemple que la majorité des français confondent les critiques qui s’élèvent contre la loi Création et Internet avec la revendication d’un supposé droit de pirater en paix.
Faire comprendre que la « réforme » concerne tous les français, qu’elle touche à des valeurs essentielles sans donner l’impression de se réfugier derrière ses arguments pour défendre son pré carré n’est pas une chose aisée.
Dans le milieu judiciaire où j’exerce, je ne cesse moi-même de me heurter à cette difficulté. 
Il a fallu expliquer que la réforme de la carte judiciaire allait faire flamber les coûts pour les justiciables, de même que la suppression des avoués.
Il a fallu répéter que ces évolutions allaient nécessairement avoir un impact négatif sur la qualité des décisions rendues.
Pour quel résultat ? 

2- Dépasser le débat d’expert 
L’Internet et la Justice ont ceci en commun qu’ils sont des sujets « techniques ». 
Pas facile  d’expliquer les effets pervers de la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » à celui qui n’a pas la moindre notion de droit constitutionnel ou de procédure pénale. 
Pas bien plus difficile d’ailleurs que d’expliquer les risques liés à l’identification des internautes par l’Hadopi grâce à l’adresse IP à qui n’a que de vagues connaissances en informatiques. 
Les débats techniques n’intéressent généralement pas l’opinion et se changent rapidement en débats d’expert. 
Ils exigent en outre de longues et complexes démonstrations. 
Convaincre suppose donc une vraie pédagogie, du temps et suffisamment de d’acteurs motivés.

3- Fédérer
C’est probablement ce dernier point qui est le plus accablant.
Changer son avatar sur Twitter et endeuiller la bannière de son site sont des actes symboliques mais relativement vains. 
La quadrature du net, qui organise le Black-out est tout à fait consciente de la difficulté puisqu’elle enjoint tous les volontaires à contacter leur député pour faire pression. 
Il serait intéressant de savoir combien de ceux qui ont noirci leur identité numérique ont franchi le pas. 
Faute de fédérer la communauté de ceux qui font vivre le net restera une accumulation d’égo, impuissante faute de réelle volonté de faire bouger les lignes. 

Là encore, ce constat ne se limite pas à la toile. 
Nombreux étaient les professionnels du droit à manifester contre la réforme de la carte judiciaire. Combien ont eu la volonté de prêcher au delà, de fédérer leurs proches, de convaincre les justiciables ?

Il est courant, et bien souvent justifié de critiquer les actions ponctuelles, corporatistes et un peu vaines des syndicats français. 

Il est tout aussi fréquent de fustiger le comportement égoïste de nos partis politiques.
Mais en réalité leur impuissance n’est que le miroir de notre attitude à tous.

Le miroir du délaissement généralisé d’une certaine façon de penser activement la chose publique. 

Billets, politique

Vaine polémique sur le statut des beaux parents

Il y a dix ans une certaine frange de la société s’inquiétait de l’adoption du PACS.
La partie la plus conservatrice de la droite criait à la désintégration de la famille et pointait l’entrée dans notre droit d’un prétendu mariage homosexuel.
Ce faisant, ils occultaient quelque peu le débat de pure technique juridique, alors même qu’il était nécessaire.
Dix ans plus tard force est de constater qu’ils s’étaient trompés sur toute la ligne.
Le PACS, désormais purgé de ses erreurs techniques par la réforme du 23.06.2006, ne peut plus être confondu avec un prétendu mariage Gay puisqu’il concerne en grande majorité des couples de sexe différents.
En réalité, le PACS n’est pas le moins de monde assimilable à un mariage ; il a une nature contractuelle et des effets essentiellement patrimoniaux là où la fonction principale du mariage est de fonder une famille. 
 
On aurait pu croire que la droite conservatrice aurait retenu la leçon de son erreur. Mais il faut croire que dix ans suffisent pour oublier.
Alors qu’un avant-projet de loi propose de créer un statut légal pour les tiers, à l’intention des familles recomposées, quelle que soit leur composition, les mêmes agitent à nouveau cette question homosexuelle qui semble les obséder.

L’Express résume ainsi la question :

Un avant-projet de loi sur les droits des beaux-parents reconnaît pour la première fois la famille homoparentale, et suscite une vive polémique au sein de la majorité, Christine Boutin s’élevant contre « une façon détournée » de reconnaître l’homoparentalité. [source]

D’autres, à l’image de Laurent Hyafil, sont également opposés à ce texte, mais pour d’autres raisons plus louables.

Selon lui :
Certains actes non importants sont source de conflits importants. Le père ressent toujours mal le beau-père venir voir les professeurs, voire venir à ses côtés, à la place de la mère au Conseil de classe. La mère supporte mal que la belle-mère s’ingère dans la santé de ses enfants.
En laissant les beaux-parents agir au nom du parent pour des actes mineurs mais hautement symboliques, on ne fait qu’attiser certaines haines et certaines vengeances. [source]
Si je ne partage pas son point de vue, l’article de Laurent Hyafil présente une immense qualité : il s’appuie sur le texte de l’avant projet qui se destine à modifier la rédaction de plusieurs articles du code civil.

Si le texte était voté en l’état (ce qui n’est pas certain) l’article 371-4 du code civil serait désormais rédigé comme suit :
Article 371-4
L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants ainsi qu’avec le tiers avec lequel il a résidé avec lui et un de ses parents et avec lequel il a noué des liens affectifs étroits. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit.
Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et toute autre personne, parent ou non. [les modifications sont en bleu]

Quant à l’article 372-2 il se présenterait de la sorte :
Article 372-2
A l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale ou qu’il autorise un tiers à effectuer un tel acte.
L’accord des deux parents est requis pour effectuer les actes importants de l’autorité parentale. Sont réputés tels les actes qui engagent l’avenir de l’enfant, notamment quant à sa santé ou à son éducation, ou qui touchent à ses droits fondamentaux.
[photo]

Autant vous le dire dès à présent, je regarde cette initiative gouvernementale avec une inhabituelle bienveillance.
Pas simplement parce que j’ai la chance de connaitre un nombre certain d’homosexuels.
Pas simplement parce que certains me donnent la joie de me considérer comme leur ami.
Pas même parce qu’ils ont réussi à me convaincre qu’ils n’étaient pas beaucoup plus mal armés que moi pour devenir un jour parents.
Non. Ce qui motive surtout ma pensée c’est l’intime conviction qui est la mienne de ce que cette loi ne fait en réalité que prendre acte d’une réalité déjà vivace, celle d’une société au sein de laquelle la notion de famille n’est plus définie par la stricte notion de mariage.

Cette réforme dépasse très largement la simple question homosexuelle.
Il s’agit de donner une reconnaissance véritable aux liens étroits d’affection qui fondent désormais l’idée de famille bien plus que la question du mariage.

Bien sûr, comme toute réforme, elle constitue un risque, mais je crois également aussi une chance.
Celle, par exemple de permettre plus aisément le placement d’un orphelin chez un proche plutôt que dans un foyer.
Voila un texte que j’aimerais fort voir adopter.

Ciné, la classe, politique

Un aller simple pour maore [coup de coeur]

Les mouvements sociaux qui agitent la Guadeloupe ont récemment attiré mon attention sur le passé colonial de l’ile. Un passé dont je connaissais l’existence sans en avoir jamais vraiment pris conscience.
Du point de vue de l’enfant que j’étais, la Guadeloupe a toujours été une évidence, apprise en cours de géographie en même temps que la Corse et la Bretagne.

Imperceptiblement pourtant je n’avais pas le même sentiment au sujet de Mayotte, que j’aurais été bien incapable de situer sur une carte.
Jusqu’à hier soir et le film « un aller simple pour Maore » le nom de Mayote m’évoquait principalement les derniers articles de la plupart des décrets, cux qui précisent que le texte s’y appliquerait ou pas.
Or de ce point de vue, le documentaire d’Agnès Fouilleux est déjà une réussite, hier soir j’ai fait moi aussi « Un aller simple pour Maore ».

La réalisatrice était dans la salle, elle a longuement expliqué les difficultés qu’elle a rencontré pour faire le film, sans le moindre financement, son sujet n’ayant pas été jugé suffisamment consensuel par les chaine de télévision

Documentaire sans concession, « Un aller simple pour Maore » analyse la situation de l’ile de Mayotte « Maore » instrumentalisée pour servir les interets français.
On y apprend comment le référendum de 1974 à l’occasion duquel les habitants des Comores ont été appelés à choisir ou non l’indépendance à été manipulé par le gouvernement Français à coup de magouilles et de pressions physiques sur la population.
On y apprend également dans quel contexte la France a pu conserver ce territoire sous sa souveraineté, malgré de nombreux rappels à l’ordre de l’ONU, à des fins stratégiques.
Chronique de ravages de la Francafrique, le documentaire s’intéresse avant tout au rapports entre les trois iles des Comores désormais indépendantes avec l’ile de Maoré.

Agnès Fouilleux met en valeur l’absurdité du processus politique mis en place qui a séparé frères et sœurs, cousins et cousines par une frontière née du jour au lendemain.
On y suit notamment le parcours des Kwassat Kwassat (ça secoue, ça secoue) prêts à traverser la mer en canot pour atteindre l’ile de Maore et des conditions de vies meilleures.


« Un aller simple pour Maoré » n’est pas exempt de défauts, pour l’essentiel dùs à son budget presque inexistant.
C’est néanmoins un film réussi et nécessaire.
D’autant plus nécessaire qu’un référundum doit avoir lieu dans quelques jours à Mayotte qui décidera ou non d’en faire un département Français sans que les médias de métropole n’aient daigné lui offrir une quelconque couverture.


Voilà un film rare qui ne restera pas longtemps à l’affiche ; une authentique raison de vous déplacer que vous aimiez ou non le cinéma.

Foncez-y si un cinéma près de chez vous le diffuse :
Pour en savoir plus :
Un extrait du film pour vous donner une idée :