Giacomo Sarpetti est né à la fin des années 1920, (je sais aujourd’hui que la date exacte est le 23 avril 1927) à Paris dans le neuvième arrondissement d’un père Italien et d’une mère bretonne. Son père est décédé dans un accident de voiture alors qu’il n’avait que onze ans. Ce décès a eu un impact considérable à le fois sur l’enfance, mais également sur la vie entière du petit garçon. Plus encore peut-être que la perte d’un père, les événements qui ont directement suivi semblent avoir affecté le caractère du petit Giacomo au point de devenir l’une des pièces maîtresses de la construction de sa personnalité. Madame Marcelle Sarpetti était semble t’il une femme extrêmement fière. La perte de son époux la jetait elle et son fils dans des difficultés financières énormes mais jamais elle n’aurait accepté de demander de l’aide à qui que ce soit.
Je sais… à l’instant, cette histoire semble tristement classique, c’est en tout cas ce que j’ai pensé tout d’abord. Mais la suite est autrement plus captivante.
Le petit Giacomo, malgré son jeune age, avait rapidement pris conscience de la situation terrible dans laquelle lui et sa mère se trouvaient. L’argent manqua tout d‘abord pour le loyer, ce qui jeta la pauvre madame Sarpetti dans une angoisse permanente que lui et son fils se retrouvent jetés à la rue. Les repas commencèrent ensuite à se restreindre. Au début, seules les assiettes de Marcelle Sarpetti semblèrent atteintes par ce rationnement forcé, puis ce fut e tour de celles du petit garçon. Giacomo avait été élevé dans l’idée couramment répandue que c’est à l’homme que revient le rôle de chef de famille. Il se sentait donc investi de ce titre nouveau, mais aussi des nombreuses responsabilités qui y étaient attachées.
Le petit garçon décida donc de trouver un travail après l’école. Sa mère lui répondit que c’était une douce illusion, jamais personne ne voudrait engager un petit garçon. Ses recherches durèrent un peu moins d’une semaine. Au terme de ce laps de temps d’une brièveté incroyable, un vieux libraire, nommé M. Sallinger accepta de le prendre à l’essai.
M. Sallinger était âgé de près de quatre vingt ans, et son dos ne lassait pas de le faire souffrir. Son travail ne lui laissait cependant que peu de répit, et il était en permanence obligé de se courber, ou de porter de lourdes caisses de livres. Il fut donc convenu qu’il reviendrait au jeune Giacomo la charge primordiale de réapprovisionner et de maintenir l’ordre impeccable des rayonnages du magasin. Le travail à la librairie plaisait beaucoup à l’enfant, et lui laissait surtout le temps et l’occasion de se plonger dans les nombreux romans qui emplissaient les rayonnages de la librairie. C’est de cette manière que Giacomo Sarpetti découvrit la littérature classique. Bientôt, Hugo Racine mais également Baudelaire ou Cervantès emplirent ses soirées. Le vieux libraire eut quant à lui à subir les critiques et les quolibets de nombre de ses clients. Il est vrai qu’à ce moment, embaucher un fils d’immigré Italien était plus que mal vu. Le brave monsieur Sallinger s’en moquait parfaitement. La compagnie du petit garçon lui procurait une joie intense et le tirait de l’ennui que la solitude et les années avaient fini par insuffler en lui.
Rapidement cependant, l’argent que l’enfant gagnait à la boutique se révéla insuffisant pour subvenir aux besoins de Nicolas et sa maman. Les réclamations du propriétaire de leur appartement se fondirent en menaces. Les différentes factures s’accumulaient et les privations devinrent de plus en plus nombreuses et de plus en plus difficiles à supporter. L’impuissance réduisait le petit Giacomo à un état de colère et de frustration permanente. C’est au cours de cette période que l’événement qui selon moi a déterminé toute la construction de Giacomo Sarpetti est arrivé…
Il devait être un peu plus de vingt et une heure lorsque Giacomo rentra ce soir là. C’était plus ou moins l’heure à laquelle il rentrait tous les soirs après son travail à la librairie. La première chose qu’il remarqua lorsqu’il arriva à la hauteur de chez lui, c’était le rai de ténèbres qui affleurait par la porte entrouverte. Intrigué il entra, légèrement sur ses gardes. Les étagères avaient été renversées, la vaisselle était éparpillée en d’innombrables brisures de porcelaine, le linge avait été tiré des armoires et jeté au sol, mais Giacomo prit à peine conscience de ces détails. Marcelle Sarpetti était à genoux, dans un coin de la pièce. Elle avait la lèvre gonflée et rougie, un hématome au dessus de l’œil gauche, le haut de sa robe était déchiré et plus que tout, elle pleurait en silence. Maximilien Huet de Francart a beaucoup insisté sur ce fait lorsqu’il m’a raconté la scène.
La vision de l’horreur, vécue d’une manière aussi intime à un age aussi jeune ne pouvait que modifier le caractère du petit Giacomo.
C’est évidement ce qui s’est produit. Pour reprendre la formule employée par mon narrateur; « l’enfant avait essayé de jouer la vie dans les règles et il avait perdu, beaucoup trop et beaucoup trop tôt.»
De ce jour, Giacomo se rendit de moins en moins à l’école. Il faisait tout son possible pour que ce fait reste ignoré de sa mère. Ce ne fut bien sûr pas le cas très longtemps, et Mme Sarpetti eut beaucoup de peine lorsqu’elle le découvrit. Giacomo s’en voulait de décevoir sa mère, mais ses absences avaient un but, et ce but, il ne pouvait y renoncer. L’éducation de l’enfant ne souffrit pas de son manque de travail scolaire. M. Sallinger faisait en sorte de lui apprendre tout ce qu’il savait ; or le vieux libraire était un homme à la fois extrêmement instruit et intelligent. Ce dernier se disait volontiers fasciné par les qualités du petit garçon, et considérait sa réussite comme une chose à laquelle il se devait de contribuer.
Vous vous en doutez, l’enfant occupait ses journées à essayer de trouver de l’argent rapidement. Accomplir ce genre de projet n’est cependant pas facile… du moins avec des moyens honnêtes. L’enfant l’avait bien compris. C’est ainsi qu’à force de travail, il devint le plus habile des pickpockets. Selon les informations que j’ai pu rassembler, je crois d’ailleurs que jamais il ne se fit arrêter. Mme Sarpetti ne pouvait qu’être étonnée par ces soudaines rentrées d’argent. L’enfant lui affirma tout d’abord que M. Sallinger lui avait consenti une augmentation, mais le montant des sommes et l’irrégularité avec laquelle Giacomo entrait en leur possession rendit rapidement le mensonge intenable. L’honnête Marcelle journées, cependant, l’enfant tint bon. La force qui émanait Sarpetti voulut forcer son fils à lui confesser ce qu’il faisait de ses de son regard lorsqu’il lui dit « Nous avons besoin de cet argent, je le gagne, ne cherche pas en savoir plus.» était telle qu’elle eut raison la colère de sa mère. Io est vrai qu’en cet instant, l’enfant devait ressembler à son père de manière frappante. Peu habituée à contredire son homme, Marcelle Sarpetti, ne s’avisa plus dès cet instant de contredire celui qui faisait désormais tout pour le remplacer.