Giacomo poursuivit son activité de détrousseur jusqu’à l’age de quinze ans. Arrivé à cet age, son physique ressemblait désormais parfaitement à celui d’un jeune homme d’un vingtaine d’année. A cette époque, Giacomo était très lié avec un jeune garçon qui s’appelait René, mais dont je n’ai jamais pu apprendre le nom. René devait avoir deux ou trois ans de plus que Giacomo, et travaillait comme mécanicien dans un garage. C’est lui qui apprit la mécanique à son ami. Giacomo ne voulait bien sûr pas devenir mécanicien. Les conseils de René lui apprirent tous les moyens pour ouvrir, puis faire démarrer une voiture. C’était un moyen de se faire plus d’argent plus rapidement, un moyen que Giacomo n’avait pu utiliser jusqu’alors tant son apparence juvénile risquait d’attirer l’attention.
Les voitures de l’époque ne disposaient pas des mécanismes sophistiqués que ne suffisent toujours pas à empêcher les voleurs d’agir. C’est vous dire que la tache était aisée. Le talent de Giacomo, celui qui le fit entre tous se faire estimer, c’était le doigté avec lequel il opérait. Ce dernier terme n’est pas exagéré, tant le jeune homme faisait en sorte de causer un minimum de dégâts aux véhicules qu’il « libérait » de leurs propriétaires. Son talent permettait à Giacomo de revendre les voitures sans difficultés, et à un prix relativement élevé. L’employeur du jeune René semble avoir été le principal client de Giacomo. Il connaissait l’origine des véhicules mais ne semble pas avoir éprouvé de problème de conscience particulier.
Sa réussite, et la sécurité de sa mère semblent avoir été de véritables obsessions pour Giacomo. Cette tendance n’a cessé de s’accentuer, mais c’est avec le décès de M. Sallinger que cette tendance a pu donner toute sa mesure. A ce moment, Giacomo avait à peine vingt ans, je n’ai je pense nul besoin de vous décrire combien le vieil homme avait été pour lui un second père, et à quel point sa tristesse fut grande. Le départ de M.Sallinger semble cependant lui avoir permit de s’affranchir un peu plus, je crois fermement que ce décès marque véritablement la mort de l’enfant Giacomo, et la naissance de l’homme Sarpetti.
Le jour des obsèques, le jeune homme portait un costume Italien noir, acheté pour l’occasion, et qui ne fut que le premier d’une longue série. Il fit recouvrir la tombe de fleurs, et nombre de gens durent se demander qui pouvait être riche au point de dépenser autant pour ce vieil homme sans famille. Giacomo n’était pas riche… pas au sens vrai du terme du moins. Mais ses revenus lui avaient cependant permit d’acquérir une maison au nom de sa mère, ainsi qu’un petit appartement dans lequel il recevait ses conquêtes. Vous devez vous en douter, elles étaient nombreuses. Cet homme au regard fier et noir semble d’ailleurs avoir exercé une véritable attraction sur tous ceux qui l’ont approché, et ceci tout au long de sa vie.
C’est à partir de ce moment que les évènements semblent s’être précipités dans la vie de Giacomo Sarpetti, ou plus précisément, c’est à partir de ce moment que sa vie semble avoir atteint le rythme qui lui convenait véritablement. De simple voleur de voiture, c’est tout naturellement que Giacomo semble avoir eu envie d’ouvrir son propre Garage. Ce fut tout d’abord un seul garage ( de véhicules d’occasion, naturellement) puis un second, (de véhicules neufs et à l’origine certaine cette fois) puis enfin un troisième, spécialisé dans les voitures de grands luxe. Giacomo tenait absolument à afficher une progression visible dans chacun de ses gestes. Il fut ensuite patron de restaurant, puis d’une boite de nuit, puis enfin se retrouva simultanément à la tête de divers établissements ; mais dans la mesure du possible, il ne vendit jamais une seule de ses sociétés.
les éléments assemblés qui formaient ce que l’on pouvait appeler son empire sans craindre d’exagérer étaient un amalgame étrange d’acquisitions honnêtes et de marchés douteux. Giacomo tachait de conserver un certain équilibre entre ces différents éléments, mais par dessus tout, il semblait se ficher éperdument de toutes les règles qu’il ne s’était pas lui même imposées.
Selon Maximilien Huet de Francart ; Giacomo Sarpetti devait avoir près de quarante ans lorsqu’il vint le voir pour la première fois. Il s’agissait d’une affaire de supposée fraude fiscale à laquelle, je vous l’avoue, je n’ai pas compris grand chose. L’administration fiscale semblait particulièrement intéressée par la rapidité avec laquelle Giacomo Sarpetti avait accumulé une véritable fortune. Elle lui reprochait différents montages par lesquels il arrivait à réduire au minimum la masse d’impôts susceptibles de tomber sous la coupe de l’état. Maximilien Huet de Francart m’a affirmé avoir remporté cette affaire avec brio. Il a tenté de m’expliquer par quel moyen, mais les détails me sont d’une totale obscurité. A peine ai-je retenu qu’il existe une différence entre des sociétés, dites opaques et d’autres transparentes, mais j’aurais beaucoup de difficulté à vous expliquer exactement de quoi il retourne, et en quoi cette notion a pu aider l’avocat et son client à se sortir de ce mauvais pas.
C’est quelques mois plus tard que Giacomo rencontra finalement celle qui fit basculer sa vie une deuxième fois.