Points de jonction

Points de jonction (23)

Je devais avoir une très sale tète lorsque j’ai rejoint mon employeur le lendemain matin. Mon insomnie m’avait tiré les traits et laissé le teint pale. Je me souviens que je n’étais ni rasé ni coiffé, et il me semble que la chemise que je portais devait être vaguement froissée.

La vue de Maximilien Huet de Francart, cet homme à la tenue si impeccable dans le bar où j’avais mes habitudes ne lassait pas de m’amuser. Ce jour là cependant, le décalage entre lui et moi était plus grand encore. Lorsque je pense à cette époque, je me dis que nous devions former un couple étrange. La vue de ce vieil homme assis à coté de moi, en train de me regarder écrire devant mon écran durant des journées entières devait être un spectacle peu commun. L’ancien avocat restait tout ce temps silencieux. L’Une de mes plus grandes craintes lorsque j’avais accepté son offre, avait été que celui-ci se mêle de mon écriture et tente de commenter, voire de corriger mon travail. A mon grand soulagement, il n’en fit jamais rien. Mon employeur me payait pour assister en spectateur à la création de mon histoire, mais jamais jusqu’à ce jour, il n’était sorti de ce cadre.

Lorsque j’arrivai, il me posa une question qui montrait à quel point il avait appris au cours des quelques semaines que nous venions de passer ensemble. Mieux, il avait, sans que j’aie eu besoin de lui donner toutes les clés de mon histoire perçu les subtilités de sa construction, au point d’en anticiper les développements futurs.

-On approche de la fin… je suis curieux de voir comment vous allez vous en sortir.

-A vrai dire moi aussi.

-Vous vous être mis dans une drôle de situation. Votre histoire ne pouvait s’expliquer que de la manière que vus avez choisit, par un rêve du petit garçon.

-Et maintenant que je suis arrivé à ce stade, la fin que j’avais imaginé ne me satisfait plus.

-Je l’avais senti…

– A vrai dire, je ne suis plus sûr de rien. L’origine, Nicolas devait rentrer chez lui… Mais ça ne me convient plus. J’ai pensé à le laisser dans le monde qu’il s’est crée, mais ça soulève trop de questions… Le monde que Nicolas s’est crée est une sorte de fuite. Et je ne veux pas que l’histoire de ce petit garçon se termine ainsi. Ça ne serait pas bien.

– Je vois. Un conte doit avoir un sens…

– Et je ne suis plus certain du sens que je veux lui donner. L’histoire de Nicolas semblait parfaite avant que je ne l’écrive, mais ça y est, elle a prit suffisamment de vie pour commencer à échapper à mon contrôle.

-Or ce contrôle, vous devez le reprendre si vous voulez achever ce que vous avez commencé.

-Je crois que notre travail va être un peu compliqué aujourd’hui.

-Rassurez vous. Je n’ai jamais pensé que ce serait facile. L’inspiration n’est pas une chose acquise… C’est connu.

-Vous savez… Je ne suis pas sûr de croire en l’inspiration. Je pense qu’écrire une histoire c’est avant tout beaucoup de travail à la fois avant et pendant l’écriture. Si une histoire n’a pas été assez bien conçue, vous n’arriverez pas à l’écrire voila tout. Je fais toujours mûrir autant que possible mes histoires avant de passer à l’écriture. Celle-ci, je l’avais dans un coin de ma tête depuis plusieurs mois déjà… Je pensais que ça suffirait.

– Je crois bien que votre grande théorie sur la non existence de l’inspiration vient d’en prendre un sacré coup…

-Ne vous moquez pas… C’est pas drôle…

-Peut-être. Mais ça n’est pas grave non plus. Si vous n’arrivez pas à finir cette histoire, c’est peut être que ça n’est pas encore le moment voila tout.

-Il reste cependant un problème, j’ai besoin de continuer à travailler pour vous. Je ne peux pas me permettre d’arrêter.

– Je n’ai jamais pensé à arrêter. Rappelez-vous, je vous ai engagé pour assister à la création d’un roman. Que ce soit celui-là ou autre, en ce qui me concerne, ça n’a pas d’importance.

Ça n’est pas si évident. Je ne peux pas du jour au lendemain écrire une histoire sur commande. Je ne serai pas en état de travailler pour vous avant des semaines, des mois peut-être ?

-On verra ça plus tard. Considérez que je vous donne un jour de congé… Je vous offre à boire. Qu’est-ce que vous prendrez ?

-Je vous remercie. Ce sera un Martini blanc pour moi. Et vous ?

-Vous ne pouvez pas boire ça. Je vais voir ce qu’ils ont…

Un signe du vieil homme et Serge est arrivé. Notre présence quotidienne avait été particulièrement bénéfique pour ses finances, et il traitait mon employeur avec une déférence dont je ne l’aurait pas cru capable jusque là. Il ne devait pas être beaucoup plus de dix heures du matin, et c’est semble t’il avec une émotion particulière que Serge a débouché une bouteille de hautes côtes de nuit, qui devait je crois être la perle noire de sa cave.

J’ai réalisé à cet instant que je ne savais presque rien de l’homme avec lequel j’avais pourtant passé l’essentiel de mes journées depuis un peu plus de quatre semaines. Le contexte semblait idéal pour avoir une conversation plus personnelle. L’alcool aidant, j’ai donc pris l’initiative.

Arrêtez-moi si je deviens indiscret… Je me demandais si vous aviez une famille, des enfants ?

-Non. Pas vraiment… Disons que j’ai eu une vie très agitée, et que mon travail ne m’a pas laissé énormément de temps.

-Votre travail devait être très prenant. Ça ne vous manque jamais ?

-Au début oui. J’ai essayé d’arrêter progressivement. De ne prendre que quelques dossiers qui me semblaient plus intéressants, mais j’ai rapidement arrêté. Ce que je faisais, on ne peut pas le faire en dilettante, ça ne marche pas. Le niveau d’exigence et bien trop haut pour permettre que l’on ne donne pas son maximum.

-Je comprends.

-Je sais…

Je fus touché par cette dernière attention. Je partageais pleinement son opinion. Mon travail ne peut être réellement bon sans un réel investissement. Par ce geste, l’ancien avocat avait fait en sorte de me rappeler qu’il avait compris les sentiments exacts que j’éprouvais au moment où il m’avait engagé. Ce n’était pas de la simple flatterie. Mon employeur me signifiait son soutien malgré mon incapacité à lui fournir le service auquel je m’étais engagé. C’était une chose élégante, et j’appréciai réellement.

-Je suis certain que vous devez avoir un grand nombre d’histoires à raconter.

-Ne fantasmez pas trop. Je doute fort que l’histoire de l’un de mes anciens clients puisse servir utilement de base à l’écriture d’un roman.

Ca si vous permettez ; c’est à moi d’en juger.

-Je vous rappelle que déontologiquement, il est un certain nombre de choses que je ne peux révéler.

-J’en conviens. Mais je n’ai de toute manière pas particulièrement envie de me lancer dans la biographie de l’un de vos anciens clients. Je suis très attaché à la forme du roman. A mon sens, elle permet de dire plus de chose que d’autres formes de littérature. Le roman procure à son auteur une liberté absolument unique…

-j’ai quand même une idée. Avez-vous déjà entendu parler de Giacomo Sarpetti?

-A vrai dire non, ça ne me dit rien.

-C’est normal. Vous êtes bien trop jeune pour vous rappeler de cette histoire… Mais à l’époque ; les journaux en avaient pas mal parlé…

L’histoire de Giacomo Sarpetti était réellement captivante, et l’émotion que l’ancien avocat mettait dans son récit y était pour beaucoup. Je pensai alors qu’il avait dû réellement exceller dans son métier tant la verve de son récit était associée à la précision de son argumentation. Je compris alors qu’à sa manière, cet homme avait, comme il me l’avait affirmé, réellement été un écrivain. Je restai ainsi à l’écouter des heures durant. A vrai dire l’essentiel de la journée… Il y avait dans son récit de nombreux blancs, des zones d’ombres qui couvraient parfois plusieurs années. J’en sais aujourd’hui beaucoup sur l’histoire de cet homme, mais je vais tenter de raconter ici l’histoire de Giacomo Sarpetti telle que je l’ai entendue ce jour là, parce que ce sont ces carences apparentes qui m’ont je crois donné envie de envie de jeter une nouvelle lumière sur cette histoire qui m’a tant fasciné dès ce moment. Sur le moment, j’ai simplement pensé que Maximilien Huet de Francart ignorait simplement un certains nombre des épisodes qui avaient formé la vie de son ancien client. Cela semblait somme toute normal, on ne raconte en principe à son avocat que les éléments qui semblent utiles au succès de l’affaire qu’on lui a confié. Je sais aujourd’hui la vérité, Maximilien Huet de Francart a soigneusement ménagé chacune des carences de son récit, parce qu’à ce moment, il avait intérêt à ce que j’ignore certaines choses sur Giacomo Sarpetti. Je ne lui en veux pas, c’était la condition nécessaire à la réussite de son projet.


Points de jonction

Points de jonction (22)

Il devait être deux heures du matin. Sophie était dans mes bras lorsque c’est arrivé. Ca faisait maintenant pas loin d’un mois qu’elle m’avait annoncé que nous allions avoir un enfant. Pourtant, étrangement, aucun de nous d’eux n’avait encore commencé à aborder le sujet du choix d’un prénom.

Si à cet instant Sophie avait eu connaissance de l’histoire que j’écrivais, cet événement n’aurait eu que peu d’importance, cependant ce n’était pas le cas. Ce qui s’est produit ce soir là est étonnant, prophétique même… Et je ne peux m’empêcher de penser que cela a forcément eu une influence sur la suite.

-Mon cœur, m’a t’elle dit de la voix rauque qu’elle a toujours après l’amour, on va l’appeler comment ?

-Si c’est une fille j’aime bien Chloé. Toi ?

-Je préfère Sarah… mais on s’en fiche. Ce sera un garçon.

-Comment tu peux déjà savoir ça?

-C’est moi qui le porte. Je le sais. J’en suis sûre.

-Ben voyons…Toi, tu as déjà une idée précise du nom que tu veux lui donner à ce petit garçon !

-En fait oui. Tu penses quoi de Nicolas ?

Je n’ai pas réussi à dormir cette nuit là. J’étais absolument stupéfait. L’idée, que ma femme et moi avions tous deux, rêvé d’un petit garçon appelé Nicolas me remplissait d’une émotion à la fois particulière et intense.


Points de jonction

Poitns de jonction (21)

Lorsque Kardoum et Nolwa débouchèrent devant le Pilon Doré, il furent surpris de constater que Yolas ne les avait pas précédés. Le Draco et ses passagers arrivèrent quelques instants après eux. Les nombreuses circonvolutions qu’ils avaient effectuées au travers des rues d’Utopia les avaient grandement retardés. Les compagnons pénétrèrent tous ensemble à l’intérieur de l’auberge.

Comme Kardoum l’avait redouté, le Pilon Doré était plein d’hommes de femmes et d’enfants en armes. Le caractère du patron du Pilon Doré était bien connu au sein de la population d’Utopia, et nombreux étaient ceux qui avaient prévu Sa tentative d’évasion. Les compagnons furent rapidement encerclés. ? Nolwa tenta une nouvelle attaque, mais seule une partie des assaillants furent touchés. Les autres se jetèrent sur le petit groupe qui, en dépit des coups de griffes et de crocs répétés de Yolas se retrouva rapidement noyé sous les assauts adverses.

Tout semblait perdu…

Flou…

Le décor s’estompa….

Nicolas se réveilla à nouveau au cœur de la clairière. Ses quatre compagnons l’accompagnaient. Toutes leurs blessures avaient miraculeusement guéri. Aucune trace de leur affrontement ne subsistait.

Elle surgit alors d’un bord de la clairière. Il sembla à Nicolas que c’était précisément le bord d’où Yolas lui avait cueilli son premier repas au cœur de la grande forêt, mais il n’en était pas très sûr. De toute manière, ça n’avait pas une grande importance. Elle devait avoir près de quarante ans, elle portait une longue robe blanche, et elle était d’une beauté limpide. Elle s’avança vers le petit groupe. Nicolas prit la parole le premier.

-Bonjour madame. Excusez-moi, sauriez vous comment nous sommes arrivés jusqu’ici ?

-Bonjour mon grand. Je suis désolé, mais je ne peux pas répondre à ta question, toi seul le peut.

-Je ne suis pas sûr0 de comprendre.

-Tu es ici parce que tu l’as voulu, voilà tout.

-C’est la seconde fois que je me retrouve à cet endroit sans comprendre comment.

-Peut être que tu ne te poses pas les bonnes questions…

-Quelles questions ?

-Plutôt que de savoir comment tu es arrivé ici, je crois que tu devrais te demander pourquoi tu es ici… Et où se trouve cet ici.

-Je ne comprends pas.

-Tu es ici parce que tu l’as voulu mon grand. Ici c’est chez toi. Nous existons tous parce que tu l’as voulu. Tu as crée ce monde.

-Alors, on est tous dans ma tête ?

-Oui. C’est d’ailleurs la raison des pertes de mémoire dont tu souffres. Tu as toi même choisi d’oublier, parce que tes souvenirs et ce monde ne peuvent coexister.

-Comment vous savez pour ma mémoire ?

-Ca ; je viens de te l’expliquer. Mais réfléchis un peu… tu aurais pu comprendre où tu te trouvais bien plus tôt si tu t’en étais donné la peine. D’ailleurs, si tu avais fait attention ; la ressemblance entre le nom de Yolas et le tien aurait pu te mettre la puce à l’oreille.

Nicolas marcha quelques instants, puis s’assit au cœur de la clairière, et s’endormit.