Points de jonction

Points de jonction (5)

Nicolas se réveilla le premier et se rendit compte que le jour venait de se lever. L’émotion et la fatigue du voyage mêlées avaient fait durer jusqu’au matin ce qui aurait dû au départ n’être qu’une courte sieste digestive. Nicolas réalisa qu’il venait de passer sa première journée dans ce monde. Une part de lui en voulait à Yolas et Kardoum de l’avoir autant laissé dormir, cependant il ne pouvait nier le bien que ce repos lui avait fait. Nicolas était loin de chez lui depuis plus de vingt quatre heures maintenant, et il se dit que là-bas, des gens s’inquiétaient pour lui.

L’enfant se glissa jusqu’à la porte de la suite et fit en sorte de l’ouvrir sans bruit. Aucune des lampes du couloir n’était encore allumée et les lumières rougeoyantes de l’aube qui filtraient par les nombreuses mais étroites fenêtres du couloir créaient une douce pénombre.

Deux voix douces et des rires guidèrent Nicolas d’un couloir vers un autre, puis enfin jusqu’aux cuisines. Deux des filles qui assuraient le service la veille préparaient doucement le petit déjeuner que les clients ne manqueraient pas de réclamer dès leur réveil. Il s’agissait de Nolwa la petite Assyrye à qui Nicolas avait été présenté la veille ainsi que de Chliié la jeune humaine qui avait fait grande impression sur le petit garçon. Elles se montrèrent toutes deux particulièrement ravies de cette intrusion. Nicolas fit alors un second festin. Les deux jeunes filles rivalisaient pour lui offrir les plus fines gourmandises. Nicolas se fit ainsi servir des tartines grillées coupées dans une sorte de brioche au goût suave et à la couleur rosée. Sur les etiquettes des pots de confiture qui lui furent présentés, l’enfant reconnut nombre des fruits qu’il avait eu l’occasion de goûter depuis son arrivée au Pilon doré. Nolwa éminça ensuite quelque larges feuilles dont le goût s’avéra ressembler à de la menthe, puis les mit sur les tartines. Les feuilles décuplaient encore le goût de la confiture. Les tartines, trempées dans une soupe de Politi, obtenue grâce au mélange de feuilles et de baies locale se révélèrent encore plus délicieuses. Nicolas fut émerveillé de toutes ces découvertes, il se demanda comment il avait pu se contenter si longtemps de boire du chocolat le matin. Entre deux charmantes attentions, les deux jeunes filles ne cessaient pas de poser des questions à l’enfant. Chacune semblait plus curieuse, plus avide que l’autre de tout apprendre sur ce pays lointain d’où venait Nicolas et dont elles n’avaient jamais entendu parler. Lorsque enfin, Chliié prise dans son élan demanda à Nicolas où étaient ses parents, celui-ci se mit à pleurer ; incapable de répondre. Nolwa fit à son amie son regard le plus dur. Elle avait saisi dès le premier instant, la détresse du petit garçon derrière sa joie apparente. Elle en voulut sincèrement à son ami de son manque de perspicacité et de tact.

C’est cet instant que choisit Kardoum pour faire son eentrée dans la pièce. Lorsqu’il vit Nicolas en larmes, il réprimanda durement les deux jeunes filles. Il est vrai que leur travail n’était pas précisément de faire pleurer les clients dès le matin, mais plutôt de s’assurer de leur bien être. Sa réaction fit redoubler les sanglots de l’enfant, qui s’en voulait à présent de causer des problèmes à celles qui venaient de si bien s’occuper de lui et de son estomac. Kardoum, finit par baisser les armes, par baisser la voix, puis par prendre l’enfant par les épaules.

-Je vais faire des courses au marché. Tu veux venir avec moi petit bonhomme ? Je commencerais à te faire un tour de la ville au passage, et avec un peu de chance, tu te rappelleras de quelque chose ou quelqu’un te reconnaîtra !

Nolwa et Chliié et se remirent au travail. Kardoum fit don à Nicolas d’un manteau, passa le sien, puis tous deux se mirent en route.

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Points de jonction

Points de jonction (4)

Un homme, assis à coté de moi me regardait fixement. Il devait être âgé d’environ quatre-vingts ans. La chose la plus immédiatement notable chez cet homme était sa tenue extrêmement apprêtée. Il portait un costume noir, à la coupe désuète mais qui pourtant semblait neuf. Il s’agissait d’un tissu légèrement brillant, et ostensiblement coupé sur mesures. Le menton de l’homme était posé sur sa main droite au dernier doigt de laquelle brillait une chevalière massive et ornée d’un blason aux formes complexes. Le vieil homme avait dès yeux d’un bleu presque transparent. L’intelligence qui affleurait dans son regard couplée à la fixité de celui-ci créait une impression particulièrement dérangeante qui finit par me tirer de mon travail. La puissance de ce regard était manifeste, l’homme avait sans dire un mot réussi à briser ma concentration, et m’avait -volontairement, mais ça aussi, je ne l’ai compris que plus tard- forcé à lui prêter attention.

L’homme attendit quelques secondes après que mon regard eut croisé le sien puis dit ;

-Vous travaillez, là ?

-Oui, enfin je crois…

-C’est bien.

-Merci.

-Je veux dire, c’est bien ces petites machines. Moi, à mon époque, je devais transporter en permanence des piles de dossiers.

-Ah ? Plus par politesse, j’ai demandé : et quel était votre métier ?

-J’étais avocat, me répondit l’homme dans un demi sourire. Et vous ? Vous travaillez sur quoi ? …sans vouloir être indiscret bien sur…

J’étais comme toujours un peu gêné par cette question. Non, en fait c’est plutôt celle qui la suivait invariablement qui me dérangeait. Lorsque j’annonçait que j’étais écrivain, les conversations se terminaient toujours plus ou moins de cette façon gênante. : « Et vous avez écrit quoi ? Ah, non… jamais entendu parler… »

Le vieil homme, ne posa pas cette question lorsque je répondis. Ce faisant, il commenca à paraître sympathique à mes yeux.

-Moi, je suis écrivain, rien à voir avec ce que vous faisiez.

A ma grande surprise, l’homme répondit :

-Si je puis me permettre, je crois que vous vous méprenez jeune homme.

-Que voulez vous dire ?

-Je veux dire qu’un avocat et un écrivain font selon moi plus ou moins le même métier.

-Je ne vous suis pas.

-Voyez vous jeune homme, le droit est une, langue, les lois sont une grammaire. En droit, une voiture est un véhicule terrestre à moteur, un locataire est un preneur à bail, un avion est un aéronef. Dans la langue qu’emploient les juristes droit, les termes de la vie courante prennent d’autres noms, d’autres formes, ils s’emploient, voire se conjuguent différemment.

-Si vous le dites. J’avoue que j’étais un peu décontenancé, et en fait, pas très intéressé par sa démonstration. Il sembla s’en rendre compte, mais poursuivit cependant.

-Mon travail consistait donc à réécrire les histoires des gens, en utilisant cette langue. Je peux donc affirmer qu’à ma manière, j’étais moi aussi un écrivain. …Où plutôt, j’étais un nègre, si vous préférez ; en ce sens que toutes les histoires que j’écrivais étaient en fait celles des autres.

-Mais, puisque votre travail, c’était de raconter une histoire à un juge… vous deviez forcément prendre parti et être extrêmement subjectif.

-Je ne crois pas qu’il existe une manière impartiale de raconter une histoire… et je sais que vous, entre tous, me comprenez. Il n’y a que des bonnes et des mauvaises histoires, que des bonnes et des mauvaises manières de les raconter. Les histoires sont subjectives par essence.

J’ai rapidement pris congé du vieil homme, et j’ai décidé de rentrer. Cette conversation m’avait marqué beaucoup plus que je ne l’aurais cru au premier abord. En chemin, je me suis arrêté afin de faire quelques courses. Je ne cessais de repenser à la démonstration qui venait de m’être faite, je scrutais chacun des gens que je croisais dans les rayons, je devais avoir l’air dément. Ce qui me dérangeait le plus dans le raisonnement du vieil homme, c’était la facilité avec laquelle il pouvait être transposé presque à l’infini. Selon ce raisonnement ; avec plus ou moins de conscience peut être, avec plus ou moins de talent sûrement, chacun était écrivain à sa manière.

Je m’étais jusque là cru exceptionnel, pas forcément meilleur, mais au moins différent, unique. En l’espace d’une conversation, d’une rencontre, le sentiment de ma propre singularité venait d’être sérieusement remis en cause.

C’est lorsque j’arrivai à la caisse que le vieil homme se manifesta à nouveau. M’apercevant à travers la vitre du magasin, il détourna son chemin pour venir me rejoindre. J’avoue qu’à cet instant, j’éprouvais une certaine appréhension à l’idée de le revoir. Lorsqu’il arriva à ma hauteur, je me rendis compte qu’il souriait et qu’il tenait un objet à la main. Un deuxième regard m’appris que cet objet était en fait le chargeur de mon ordinateur portable. J’avais du l’oublier dans la précipitation et la gène de mon départ.

-Pardonnez-moi de vous déranger à nouveau, me dit-il de sa voix douce et mélodieuse. V ous avez laissé ça en partant. Dans un premier temps, j’ai pensé le garder pour vous le rendre à l’occasion au bar, mais lorsque je vous ai vu…

Je l’ai remercié chaudement. Il est vrai que la perte de cet objet coûteux m’aurait probablement empêché d’écrire durant plusieurs jours. Plusieurs expérience malheureuses m’avaient appris à quel point une pause forcée dans l’écriture pouvait abîmer un roman qui semblait pourtant jusque là bien engagé. L’homme devait avoir vu à quel point son discours m’avait troublé puisqu’il se confondit ensuite en excuses, disant qu’il avait réalisé après mon départ que son opinion avait pu me sembler méprisante à l’égard de mon travail. Je’ lui dit qu’il n’en était rien, ce qui n’était pas un mensonge. Je me gardai cependant de lui révéler mes sentiments exacts.

Je m’apprêtais à partir lorsque il m’arrêta d’un regard et me tendit sa main en disant. « Je m’appelle Maximilien Huet de Francart, et vous jeune homme ? »

Je discutai encore avec lui quelques minutes, nous conversâmes cette fois de banalités, l’homme se gardant bien cette fois de risquer une conversation plus engagée et par la même plus dangereuse. C’était pour moi une forme de politesse mêlée de reconnaissance. Je repris ensuite tant ma route que le cours de mon histoire.

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Points de jonction

Points de jonction (3)

Yolas décida qu’il était plus sage de trouver dès maintenant une chambre pour la nuit. Les recherches dans une ville aussi grande qu’Utopia risquaient fort de se révéler particulièrement longues, et il convenait de trouver un lieu d’où ils pourraient manger convenablement tout d’abord – c’était selon ses critères le plus important – et réfléchir ensuite.

En remontant la grande artère, (que l’on appelait familièrement le « Mélangeoir » car toute la population et toutes les espèces de la ville s’y retrouvaient) le draco choisit sans hésitation de s’arrêter à l’auberge du Pilon Doré. Nicolas fit de son mieux pour ne pas le montrer, mais il était un peu déçu par ce choix. La vieille enseigne oxydée et tordue du Pilon Doré contrastait tristement avec les enluminures colorées qui ornaient les devantures des autres établissements qui s’étalaient tout au long du Mélangeoir. La porte, quant à elle était faite d’un bois sombre et épais mais pourtant fendu en de nombreux endroits. Nicolas dut pousser de toutes ses forces pour arriver enfin à l’ouvrir, la porte manqua cependant de céder lorsqu’elle consentit enfin à plier sous les efforts du petit garçon.

Obstinément sceptique quant au choix de cette auberge, Nicolas se retourna et fronça durement les sourcils en regardant le draco. Yolas lui sourit et fit mine de ne pas y prêter plus d’attention. Il était près de midi à présent, et la salle était absolument remplie de clients attablés. Des individus au visage simiesque et au corps démesurément grand, accoudés au comptoir, fumaient des pipes aux formes compliquées et à l’odeur puissante. Ils parlaient une langue gutturale et étrange que l’enfant aurait juré, en dépit de la fiabilité plus que réduite de sa mémoire, ne jamais avoir entendue. Un petit individu sauta à pieds joints sur le bar, il fumait également, mais sa pipe était plus belle et plus richement orné. Il portait sur la tête un tricorne d’où émergeait une plume violette et crachait une marée d’ordres et d’insultes à un personnel nombreux et exclusivement féminin. Nicolas se demanda comment un être si petit et si ridicule pouvait dégager une telle autorité. Les membres du personnel du Pilon Doré étaient toutes à la fois jeunes et belles. Chacune était d’une espèce différente, et semblait ici en représenter le plus beau spécimen. Parmi elles, Nicolas fut surpris de noter la présence d’une jeune humaine. Elle ne devait pas avoir plus de seize ans et la finesse de ses traits, les reflets qui parcouraient ses longs cheveux noirs, lesquels tombaient doucement le long de son cou, de sa peau mat. Son uniforme lascif et échancré, la lourdeur de ses sein , chacun de ses mouvements même, la rendaient séduisante entre toutes.

Yolas s’approcha du bar et fit tonner sa voix. Le petit homme sauta à terre et se précipita vers lui.

-Yolas ! Ça fait longtemps que tu n’es pas venu me voir !

-Kardoum, mon vieil ami…

La voix de Yolas résonnait à travers le Pilon doré sans qu’il ait à faire le moindre effort. Kardoum devait quant à lui crier pour se faire entendre. Il semblait cependant y prendre un plaisir certain.

-C’est qui le petit bonhomme que tu me ramènes ?

-Petit bonhomme, petit chef… J’ai un nom vous savez, Je m’appelle Nicolas… Nicolas vous avez compris !?

-Dis, moi Yolas, il me plait ton petit bonhomme, il crie presque aussi fort que moi !

-Le petit est perdu. Il essaie de rentrer chez lui mais il a perdu la mémoire.

-Ah, je vois. Pauvre petit bonhomme.

-Je m’appelle pas petit bonhomme. Grommela l’enfant d’une manière presque inintelligible.

-il me dit qu’il voyait le grande tour de la fenêtre de sa, chambre, alors je me suis dit que si on montait en haut de la tour, il reconnaîtrait peut être peut être sa maison.

-Je vois, dit le petit être. …et tu comptes sur moi pour vous faire entrer dans la tour…

-Je suis bien obligé de dire que oui. Alors, dit, tu veux ?

-Je voudrais bien moi… mais le problème, c’est que je ne suis plus le fournisseur de la cour. Je n’ai plus accès aux cuisines de la tour.

Yolas fut profondément déçu par cette nouvelle, mais aussi profondément attristé. Il comptait sur son vieil ami pour résoudre rapidement le problème de Nicolas et cet espoir venait de s’envoler. De plus, il savait qu’être le fournisseur officiel, de boissons de la cour était un titre de fierté auquel Kardoum était extrêmement attaché et qui constituait également l’une de ses principales sources de revenus.

Il allait falloir réfléchir à un autre moyen de trouver la maison de Nicolas. Les recherches risquaient de se révéler extrêmement longues et fastidieuses compte tenu de la taille et de la population d’Utopia.

Kardoum fit signe à l’une de ses employées. La jeune fille avait la peau bleue et un visage oblong, qui seuls la distinguaient d’une humaine, et appartenait à l’espèce des Assyrys. Elle répondait au nom de Nolwa. Lorsqu’elle vit l’expression de surprise sur le visage de Nicolas qui la dévisageait, elle sembla vexée. Après que Kardoum lui eut expliqué que l’enfant était originaire d’un pays lointain et qu’il n’avait certainement jamais vu une fille de son peuple, elle s’approcha de l’enfant et se présenta. Nicolas rougit, ce qui fit rire la jeune Assyrye.

Les présentations terminées, elle conduisit les deux voyageurs jusqu’à une suite que Kardoum mit gracieusement à leur disposition. Le petit être semblait devoir un grand service au Draco, qui discrètement le lui rappelait et obtenait ainsi toutes sortes de services.


Dans la suite ample et confortable qui fut mise à leur disposition au premier étage du Pilon Doré, Yolas et Nicolas eurent droit à un festin copieux, au cours duquel les deux amis dégustèrent chacun un assortiment de mets sublimes. Yolas fut ravi de découvrir l’assortiment de branches de baies, de feuilles et de fruits savoureux et colorés qui avaient été sélectionnés pour lui. Nicolas se régala d’un assortiment de fruits colorés variés et inconnus de lui puis s’attaqua avec ravissement à un plat de pâtisseries qui, pour beaucoup, l’avaient fait rêver durant sa traversée du Mélangeoir.

Kardoum prit ensuite congé et retourna s’occuper de la direction de la salle principale.

Nicolas et Yolas décidèrent tous deux de s’accorder une sieste digestive, Le draco s’endormit dans le hamac qui avait été installé dans une chambre à son intention. Le garçon s’enfouit quant à lui dans la couche qui avait été posée au sol dans la seconde chambre.

La suite…