Billets, politique

Une Europe entre abstention et désir démocratique

J’ai failli ne pas écrire cet article tant je craignais de perdre mon sang froid. 
Il faut dire que j’ai une sorte de gueule de bois depuis les résultats d’hier. 
Car j’ai été voter et depuis je ne décolère pas. 
En fait c’est Lousia qui a raison ont pourrait sans avoir peur de se tromper résumer ces européennes comme une vaste fumisterie.
Une fois calmé, il me semble toutefois que l’on peut en tirer un nombre certain d’enseignements.

Le premier d’entre eux bien sûr il faut le tirer de l’abstention puisque :
Le taux de participation moyen dans l’UE s’élève à 43,55%, soit une abstention record de 56,45%. Six pays enregistrent des taux d’abstention supérieurs à 70% [source]
On aurait tort d’analyser ce chiffre comme un rejet de l’Europe dès lors qu’un sondage publié par Libération à deux jours du scrutin révélait :
 un réel attachement à l’avenir de l’Europe, qui contraste avec le manque d’intérêt pour la campagne électorale qui s’achève actuellement: 59 % des Italiens, 48 % des Espagnols, 46 % des Français souhaitent «plus d’Europe», et «l’émergence d’une Europe fédérale»; 78 % des Italiens, 76 % des Espagnols, 72 % des Français, 57 % des Allemands souhaitent la création d’un poste de «ministre de l’Economie et des finances européen». [source]
Le score piteux des souverainistes dans les urnes confirme très nettement le résultat de ce sondage. 

[au passage, merci à Selenite pour sa réponse]


Puisque l’abstention ne traduit pas un rejet de l’Europe, j’ai tendance à conclure -mais je peux me tromper-  qu’elle illustre essentiellement le fait que la majorité des français ignore tout de l’importance de ce Parlement Européen qui ne cesse pourtant de gagner en pouvoir. 
J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici ; le fonctionnement des instituons européennes est si complexe qu’il devient très compliqué pour la plupart des électeurs de réellement percevoir l’enjeu de leur vote. 

A mon sens, le second enseignement majeur de ce scrutin est que seuls les projets clairs rapportent des voix. 
Qu’elle  se situe dans le camp socialiste ou du coté du Modem la défaite est certes cruelle mais méritée. 
Car convaincre un électeur c’est aussi le convaincre que l’on peu changer sa vie. 

Les Socialistes avaient pour eux un programme cohérent et commun avec le Parti Socialiste Européen. Mais ils se sont bien gardés d’en exposer les lignes claires de peur de dissiper le malentendu socialiste selon lequel ce parti refuse de choisir une ligne politique claire.   
Quant aux Centristes, ils n’ont manifestement rien compris à leur succès de 2007. 
A l’époque François Bayrou avait su mobiliser autour de valeurs humanistes capables de séduire cette part de l’électorat de droite qui n’est pas libérale, tout autant que les sympathisants de gauche qui peinait à voir la différence entre l’Ordre Juste de Ségolène Royal et la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. 
Aujourd’hui, on peine à distinguer ces valeurs dans le discours de celui qui s’est voulu le champion des opposants à Sarkozy. 
Le résultat n’est donc pas surprenant. 
Après avoir troqué son programme de gouvernement contre une tunique de contestataire F. Bayrou fait à peu près le score d’un parti de contestation. 
Voilà à mon sens une belle leçon… 
Quant aux autres chantres de l’anti-sarkozysme il récoltent un émiettement des voix à la hauteur de leur absence de projet. 
L’isolement du NPA, manifestement surévalué par les médias depuis des mois est d’ailleurs l’illustration de ce phénomène. 
Olivier Besancenot avait une chance de faire éclore un authentique parti de gouvernement des cendres de la LCR. Or sa stratégie de l’isolement démontre clairement sa volonté d’aller dans la direction opposée. 
Dont acte.

Les gagnants d’aujourd’hui sont ceux qui ont su exciter les électeurs.
Le terme n’est pas trop fort, depuis que l’on nous répète que cette élection ne nous intéresse pas il fallait en avoir vraiment envie pour se rendre aux urnes hier.

Le projet de l’UMP n’est pas le mien, mais il avait de mérite d’être clair et résumable en deux mots : Nicolas Sarkozy. 
Pas l’homme Nicolas Sarkozy, mais le fantasme du Président Sarkozy, celui d’une Europe des États  où quelques chefs de gouvernement sous la tutelle d’un président pourraient presque à eux seuls faire avancer les choses. 
Que ce soit dans les urnes ou par cette abstention généralisée qui entame  sérieusement la légitimité démocratique du parlement Européen cette conception a été légitimée au moins deux fois hier. 

Quant au score d’Europe Écologie, indépendamment de toute analyse politicienne (je n’ai pas voté pour eux) j’ai envie de l’analyser avec optimisme. 
Voilà une liste qui n’a pas ménagé ses efforts pour expliquer un projet cohérent
et parfaitement adaptée à l’échelon européen. 
S’il est un domaine dans lequel l’Europe a une compétence évidente c’est bien en matière écologique. 

En somme, ces français que l’on a accusés de ne pas s’intéresser à l’Europe ont porté vers la victoire les deux projets qui leur semblaient les plus clairs et  aisément applicables à court terme. 
De là à se demander si la qualité des projets soumis par nos politiques lors du récent scrutin n’est pas l’un des principaux moteurs de l’abstention il n’y a qu’un pas.
Hier n’était peut être pas un grand jour pour l’Europe, mais en fin de compte il n’y a pas nécessairement de quoi désespérer de la démocratie.
Billets, coup de gueule

Mercredi on va bien rire à l’assemblée

Je me suis probablement un peu emporté sur le titre. En fait mercredi 27 mai ce sont nos députés qui vont rire ; nous c’est moins sùr.

Telles que les choses sont prévues les parlementaires auront en effet à se prononcer ce jour là au sujet de deux authentiques grandes idées.

La première nous vient de Michèle Alliot Marie.
Le ministre de l’intérieur a une excuse ; elle peine à exister ces derniers temps, cernée qu’elle est au sein de cette UMP où chacun ne cesse d’y aller de son couplet sécuritaire. 
Quitte à se faire remarquer elle a donc choisi de  une valeur sûre : la lutte contre les chauffards, face auxquels décidément ; on ne fait jamais assez.
 
Le retour de la fille de la vengeance de la lutte contre les chauffards
Indéniablement il faut reconnaitre que la droite a beaucoup d’imagination en la matière…et aussi pas mal d’audace. 
Car il doit en falloir de l’audace pour ne pas hésiter à affirmer qu’il y aurait des « manques et des oublis à combler » dans les textes qui visent à réprimer la délinquance routière alors que les membres de la majorité actuelle n’ont cessé d’en voter depuis 2003 ! 

Il vrai toutefois que la cible est facile, le chauffard est un individu indéfendable n’est-ce pas ?
Le -toujours neutre- Figaro se fait donc un plaisir de lister dans son édition d’aujourd’hui les mesures destinées à réprimer un peu plus encore la délinquance routière. 
Florilège : [l’article complet est ici
  • En cas de conduite sans permis ou en cas d’excès de vitesse supérieur à 50 km/h « Le nouveau texte rend «obligatoire» la confiscation du véhicule, une sanction jusqu’alors laissée à l’appréciation du juge. Ce dernier gardera toutefois une marge de manœuvre. S’il ne prononce pas la confiscation, le magistrat devra motiver sa décision. »
  • En cas de conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, le véhicule pourra être confisqué. Une mesure qui pourra donc s’ajouter aux autres peines telles que des peines d’amende, de prison et pertes de points. Autre nouveauté : en cas de récidive, la confiscation sera là encore rendue «obligatoire». Autre cas de figure, le véhicule pourra être saisi si l’automobiliste refuse de se soumettre aux tests d’alcoolémie et de drogue.
Vous l’aurez noté, le principal objet du texte n’est pas de créer une nouvelle peine de confiscation mais bien de rendre obligatoire dans certains cas celle qui existe déjà à l’article  131-6 4° du code pénal.

Je m’arrête un instant. 
Le droit pénal repose notamment sur un principe d‘individualisation de la peine. [pour la bible en la matière c’est ici] L’idée centrale de ce principe c’est que la loi ne peut pas connaitre les individus  à priori de sorte qu’une sanction ne peut être adaptée et efficace que si elle tient compte de la personnalité du condamné. 

Ce principe va totalement à l’encontre d’un système de peines « automatiques » tel que l’on veut progressivement nous l’imposer par le biais des peines plancher » ou de la suspension de l’accès à internet… 
Voilà pour le grand écart juridique.
Vous savez à présent que la systématisation des confiscations de véhicules ne poursuit pas qu’un but comptable.


Je passe rapidement sur la question du trafic de points
Le figaro n’hésite pas à affirmer :

qu’ « Aucune peine n’existe pour sanctionner cette pratique consistant à acheter des points à un automobiliste ». [source]

Voilà donc une nouvelle mesure « sirocco » ;  juste bonne à brasser du vent.
Était-il réellement besoin d’un texte spécifique pour réprimer un « trafic de points » qui n’est rien d’autre qu’un usage de faux en écriture publique ?

Mais il y a mieux : 
« À la suite d’un accident mortel, l’automobiliste soupçonné d’avoir commis un excès de vitesse ou d’avoir à tort doublé une personne (…) pourra voir son permis suspendu durant 72 heures. Une mesure administrative suivie d’une suspension préfectorale allant jusqu’à un an. Aujourd’hui, la rétention et la suspension de six mois ne concernent que les dossiers d’alcoolémie, de stupéfiants et de grands excès de vitesse. «Il s’agit de combler un vide. Aujourd’hui, l’auteur d’un homicide involontaire pouvait conduire dès le lendemain dans l’attente de son jugement. Le préfet pourra donc lui interdire la route durant un an», précise-t-on. » [même source]
« soupçonné« , vous avez bien lu. 

Je m’arrête une seconde fois. 
Selon l’article 221-6 du code pénal
« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende. » [source]
Plus précisément l’article 121-3 du même code dispose :

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.
Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. [source]
Pas besoin d’être juriste pour comprendre que ces textes sont à la fois très complexes et très restrictifs. En droit il   ne suffit pas d’avoir tué quelqu’un involontairement pour que l’homicide involontaire soit constitué. 

La mesure proposée par le ministre de l’intérieur qui vise à permettre au préfet du suspendre le permis de conduire d’un individu : 
  • qui a des chances sérieuses d’être relaxé lors de son procès
  • sans qu’un magistrat ait à se prononcer sur le sujet
a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête… 

Exténués par l’examen de ces mesures les députés auront encore l’occasion de rire un peu grâce à l’idée de l’ineffable Frédéric Lefevbre.

Il faut Libérer les Français du droit du travail
Protocole oblige, je  ne passerai pas tant de temps sur Frédéric Lefebvre que sur le ministre de l’intérieur. 

Et puis vous savez nécessairement déjà quel sort Frédéric Lefevbre propose de réserver aux salariés en arrêt maladie : 
Le député UMP Frédéric Lefebvre annonce qu’il entend déposer un nouvel amendement visant à permettre aux salariés de recourir au télétravail pendant leur congé maladie. [source]
Frédéric Lefebvre aussi a de l’audace, il en faut là encore pour oser affirmer que le code du travail serait une entrave aux droits des salariés. 

Pourtant cette affirmation délirante n’est pas un si mauvais coup politique, comme beaucoup des interventions fracassantes de F. Lefebvre.

Ce député c’est un peu le « mauvais flic » que l’on rencontre dans les polars celui qui n’est là que pour mettre le suspect en condition. 
Son travail est d’incarner à plein temps les valeurs de la droite la plus décomplexée pour rassurer le socle de l’électorat Sarkozyste. 
C’est aussi de proposer les mesures les plus dures pour que le chef de l’État n’ait plus qu’à apparaitre dans une posture de médiateur. 


Qu’on se le dise, dans la machine UMP le rôle de Frédéric Lefevbre est d’apparaitre comme le molosse qui fait peur de sorte que demain lorsque sa mesure sortira, votée mais amendée, on puisse se dire qu’on est passé très près de la catastrophe sans prendre le temps de comprendre ce qui vient  réellement de se jouer. 

A demain donc. 
On va bien s’amuser. 
Billets, justice, societé

Où l’on parle comptables et jurés motivés

Dire que le monde judiciaire a acceuilli la « commission Leger » avec frilosité tient juste de l’euphémisme.
Comment d’ailleurs aurait-il pu acceuillir autrement cette formalité concue sur mesure pour légitimer le voeur présidentiel de supprimer le juge d’intrcution ?
La récente « fuite » au sujet de ses probables conclusions en a donc surpris plus d’un. 

Il y a tout d’abord cette probable introduction d’une possibilité de « plaider coupable » devant la Cour d’assise afin d’obtenir l’assurance d’une peine plus basse va en effet à contre-courant des principes de la procédure pénale Francaise.

L’idée de condamner plus légèrement un individu parce qu’on est certain de sa culpabilité semble un peu absurde au premier abord. 
Mais en réalité ce n’est pas de la justice qu’il s’agit de rechercher l’interet de cette proposition de réforme mais bien d’un point de vue comptable. 

Ce n’est pas (seulement) moi qui le dit : 
L’objectif clairement affiché par les membres du comité est de « désengorger » la justice, en accélérant la phase d’instruction et le déroulement des audiences. Dominique Coujard, président de la cour d’assises de Paris et membre du Syndicat de la magistrature, y voit les signes d’une « réforme au rabais », dans laquelle « une logique gestionnaire l’emporte sur une logique de qualité ». [source]
Voilà donc la proposition qui est faite à l’accusé : « laisser nous faire des économies sur votre procès, vous aussi vous prendrez moins cher ». 

C’est étrange tout de meme comme à chaque fois qu’il s’agit de faire des économies c’est du coté des droits de la défense que l’on cherche à les trouver… 

Toutefois, il serait trop sévère de condamner en bloc les probables conclusions de la commission Leger.
A en croire l’auteur de la fuite, le rapport à venir contiendrait au moins une authentique avancée pour la justice Francaise : 
Le comité Léger recommande que les décisions des cours d’assises soient motivées. Ses membres ont beaucoup débattu sur ce point central de la procédure française. Les partisans du oui s’appuient notamment sur le fait qu’une motivation serait utile en cas d’appel – afin que le deuxième juge sache pourquoi le premier a ou n’a pas condamné. En début d’année, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs condamné la Belgique «pour défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’assises». Certains, comme l’avocat Gilles-Jean Portejoie, souhaitent également battre en brèche, par le biais de la motivation, le principe même de l’«intime conviction».  [source]
Des arguments pratiques sérieux s’opposent à la motivation des arrets d’assises. 
A ce sujet je vous renvoie à « la motivation des décisions de la Cour d’Assises« , l’excellent article de Monsieur Huyette, magistrat de profession qui explicite parfaitement la difficulté.

Mais en dépit de ces arguments la motivation des décisions de Cour d’Assises me semble nécéssaire. 
Du procès « Outreau » au procès « Colonna » on a pu récemment constater à quel point l’intime conviction sur le fondement de laquelle sont rendues les décisions en matière pénale va de paire avec le doute qui est un toujours un poison en la matière. 

En dépit des contraintes techniques qui teinnent à la présence d’un jury en matière criminelle il parait d’autant plus intenable de refuser que les arrets de Cour d’Assises soient motivés alors que la loi l’impose lorsqu’il s'(agit des décisions du Tribunal Correctionne. 
En effet : l’article 485 du code de Procédure Pénale dispose  :
« Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif.
Les motifs constituent la base de la décision.
Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles. (…) » 
Juger les infractions les plus graves avec autant de rigueur et de transparence qu’on le fait pour les délits voilà ce que propose la commission Leger. 
Sur ce point, j’espère vraiment que ce rapport ne partira pas aux oubliettes.