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La chambre criminelle violente le code civil

En dépit de l’avalanche de nouveaux textes qui s’abat sur lui chaque année, une vie de juriste est faite de rares certitudes. 
Il sait par exemple que la responsabilité civile peut être contractuelle (c’est à dire qu’elle n’ait  de la mauvaise exécution d’un contrat) au quasi délictuelle (c’est à dire tout le reste du spectre du possible). 
Comme le voyageur sait situer le nord sur une carte, le juriste sait aussi distinguer entre 
  • les cas de responsabilité civile quasi délictuelle « pour faute » prévus par l’article 1382 du code civil selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » 
  • et les cas de responsabilité « objective » – c’est à dire indépendants de toute notion de faute – qui sont limitativement prévus par la loi. 

Le plus « connu » des textes prévoyant un mode de responsabilité « objective » est l’article 1384 al. 1 du code civil selon lequel :
 » on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Cet article prévoit une longue liste de cas dans lequel il a vocation à s’appliquer. 
Il dispose notamment en son alinéa 4 que : 
« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. »
Vous qui n’avez jamais fait de droit, dites vous que ce texte est une sorte de phare dans la nuit pour les gens comme moi. 

Enfin, c’était le cas jusqu’au 6.11.2012, date à laquelle la chambre criminelle de la Cour de Cassation a rendu un arrêt (Pourvoi N° 11-86857 pour ceux que ça intéresse) au sein duquel elle juge , au visa de l’article 1384 du code civil que
 » la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée ne peut, sans faute de sa part, être engagée ».  [source] [l’arret]
En clair, ce que  dit la chambre criminelle c’est que ; 
  • le parent chez qui l’enfant a sa résidence principale est responsable de plein droit des dommages causés par son enfant sans qu’une faute ait besoin d’être prouvée (art. 1384 du code civil)
  • l’autre parent n’est responsable qu’en cas de faute prouvée (au sens de l’art. 1382 du code civil)
Et lorsque je lis cela je ne vous cache pas que les bras m’en tombent. 
Tout d’abord parce que la Chambre criminelle (qui n’est théoriquement pas spécialiste de la matière) fait dire une fois de plus à un article du code civil autre chose de ce qu’il dit.
Mais aussi parce que l’on vient compliquer un principe simple qui fonctionne pas si mal. 
Pire, 
Si le principe posé par cet arrêt devait être confirmé par d’autre décisions allant dans le même sens on aboutirait à un système où le parent chez qui la résidence principale de l’enfant serait « plus responsable » de lui. 
Outre que cette idée va à l’encontre de la notion même d’autorité parentale conjointe telle que prévue par la loi, elle me parait socialement insupportable. 
Est-il vraiment souhaitable de déresponsabiliser le parent qui ne vit pas majoritairement avec son enfant au prétexte qu’il le voit moins ? 

Je ne crois pas.


Quant aux incidences « en droit » je n’ose y penser. 

Que fera-ton de ce principe lorsqu’on enfant causera par maladresse un dommage durant le temps où il se trouve avec le parent chez qui il n’a pas sa résidence principale ? 
Pour l’ensemble de ces raisons je souhaite vivement que la Cour de Cassation mettra rapidement de l’ordre dans sa jurisprudence.


Au passage, voici encore un exemple de ce que le droit finit toujours par s’adapter à la société qui le produit. 
Dans une société où le divorce devient un fait social majeur, il n’est pas étonnant de voir des juges s’interroger sur l’éventualité de faire évoluer le droit pour s’y adapter. 
 
Cela n’a certes rien à voir, 
Mais la nécessaire évolution du droit à la société est à mon sens un élément à garder en tête au moment où le législateur s’empare de la question du « mariage pour tous » et des questions de filiation qui s’ensuivent.
Contrairement à ce que certains opposants au projet prétendent, les homosexuels ne « réclament » pas des enfants.
Les couples de même sexe ont des enfants, voila tout. Des enfants qui sont au moins plusieurs dizaines de milliers
A ceux qui prétendent s’opposer à la réforme pour défendre « l’intérêt de l’enfant » au sens large du terme, j’ai envie de répondre que l’intérêt de ces enfants en particulier est d’avoir la possibilité d’avoir leur filiation établie à l’égard des deux parents « de fait » qui les élèvent au quotidien. 
Je vous avais prévenu, ça n’a rien à voir 😉


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