Billets, justice

Ou l’on parle des diplomes de Rachida Dati et d’un Batonnier Malheureux

Il fait décidément un sale temps pour les avocats. 

Le 15.05.2008, dans le cadre d’une plaidoirie au cours de laquelle il assurait la défense d’un individu poursuivi pour avoir produit une fausse déclaration à une caisse d’allocations familiales le Bâtonnier Georges-André Hoarau a évoqué le désormais celèbre MBA que Madame Dati avait prétendu posséder lors de sa candidature à l’Ecole nationale de la Magistrature. 
(si vous ne vous souvenez plus des détails de l’affaire lisez donc cet article synthétique du Nouvel Obs avant de revenir lire la suite)

 Le procureur de la république se serait alors levé et aurait demandé « que Maître Hoarau cesse ses dénigrements contre Madame la Garde des Sceaux, en plaine audience publique, que la présomption d’innocence existe contre son client, contre tous, et à plus forte raison, à l’encontre de Madame la Garde des Sceaux » (Source)

L’affaire aurait pu en rester là si le parquet n’avait décidé d’y donner suite. 

C’est dans ces conditions que Maitre Georges-André Hoarau, avocat et bâtonnier en exercice du barreau de Saint Pierre de la Réunion, est cité le 25.09 prochain devant le tribunal correctionnel de ladite ville.

Il est prévenu pour avoir tenu : « des propos de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de la personne de la ministre de la justice », faits prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 et la loi du 2.07.1982.

Outre les peines prévues par ces textes, une condamnation pénale (par sa nature considérée comme une « atteinte à l’honneur ») empêcherait définitivement Maitre Hoarau d’exercer la profession d’avocat.
L’affaire est d’autant plus grave qu’elle constitue une véritable remise en cause
de l’immunité de parole dont dispose par principe un avocat lorsqu’il s’exprime devant un tribunal pour assurer la défense de son client. (pour en savoir plus à ce sujet)

Pour mémoire lorsque la presse avait révélé l’affaire il y a de cela quelques mois Madame Dati n’avait pas déposé plainte pour diffamation

Décidément, je trouve que certains parquetiers sont pour le moins « tendus » ces derniers temps  dès qu’il s’agit de ceux qui s’expriment sur nos gouvernants.

Sign of the times…

Billets, info, justice

Vers une grande profession du droit ?

Il n’aura échappé à personne que depuis quelques mois la France est atteinte de commissionnite aiguë. 
Or, s’il est un domaine qui fait décidément réfléchir c’est bien la justice. 
Alors même que les blessures suscitées par la réforme de la carte judiciaire ne se sont toujours pas vraiment refermées, la chancellerie a déjà mis  en branle un nouveau chantier qui  risque fort d’être durant de nombreux mois la cause de nombreuses polémiques. 
Ce chantier, c’est celui de la réflexion sur la création d’une « grande profession du droit » qui a été confiée voici un peu plus d’un mois à la commission Darrois
J’ai attendu quelques semaines avant de vous en parler pour au moins deux raisons. 
La première c’est que je n’aime pas les réactions « à chaud » de sorte qu’il m’a semblé plus raisonnable de laisser un peu de temps à ma réflexion pour se contruire et à la commission pour s’installer. 
La seconde est moins louable, vous serez nécessairement plus nombreux à lire ce billet au moment où j’écris ces lignes qu’au cœur de ce mois d’aout qui me parait déjà bien loin

Plus que de vous décrire par le menu tout le mal ce que je pense de cette initiative il me semble plus honnête de vous livrer « en l’état » la lettre de mission adressée par Maitre Jean Michel DARROIS.

                                                                                                                
Comme souvent malheureusement la première des polémiques que suscite la commission Darrois ne concerne pas le fond du problème mais sa composition. 

En effet, alors même que celle-ci est chargée dé finir les nouveaux contours possibles de la profession d’avocat il semble que ceux-ci aient été pour le moins oubliés lors du processus de nomination. 
La réflexion est d’ailleurs valable en ce qui concerne les autres profession judiciaires. 
Lisez plutôt.

Read this document on Scribd: Lettre de mission commission Darrois
  • deux professeurs de droit : Laurent Aynes et Christophe Jamin
  • deux parlementaires : François Zochetto (sénateur UDF et avocat) et Sébastien Huyghe (député UMP et notaire)
  • l’ancien ministre socialiste Henri Nallet
  • un conseiller d’Etat Olivier Fouquet
  • Christophe Ingrain (magistrat et adjoint de Patrick Ouart, conseiller justice de Nicolas Sarkozy)
  • Henri Potocki (magistrat)
  • le syndicaliste Jean Kaspar
  • Hans Peter Frick, le secrétaire général du groupe Nestlé pour les grandes entreprises
  • Françoise Holder, patronne de Ladurée pour les PME
Entendons nous bien. Je ne me risquerais pas à critiquer la qualité des membres de la commission Darrois. 
Je en peux m’empêcher cependant de supposer que ceux-ci ont été précisément nommés pour leur sympathie (sentiment qu’il ne m’appartient d’ailleurs pas de critiquer) à l’égard d’un résultat truqué et prévu par avance. (mon petit doigt et mon moteur de recherche me soufflent que je ne suis le seul blogueur à penser que les choses sont réglées par avance)

Le résultat attendu, est bien sûr le fond du problème.
Il s’agit de tenter une fusion entre différentes professions judiciaires. (avocats, notaires conseillers en propriété intellectuelle …) 

A l’instant, vous qui ne fréquentez pas nécessairement ces honorables professions tous les jours vous posez probablement au moins deux questions tout à fait raisonnables : 
  • mais pourquoi ils feraient une chose pareille ?
  • est-ce que ce ne serait pas mieux ? 

C’est bien sûr à ce stade que démarre la seconde polémique.

Mais parce que mon ambition n’est pas de rentrer dans une vaine querelle d’Opinion. je vais plutôt essayer de reformuler le problème.
La question du système judiciaire est indissociable de celle du modèle de société. 
Sans qu’il soit dans l’absolu meilleur ou moins bon, chaque pays  choisit de se doter d’un système qui reflète à la fois ses valeurs et son histoire. 
C’est particulièrement le cas en France. 
Comme d’ailleurs clairement évoqué dans  la « lettre de mission » reproduite ci-dessus fusionner les profession judiciaires reviendrait à accentuer les modes de règlements « alternatifs » des litige mais aussi à imposer aux parties de régler les problèmes bien plus en amont (dans le cabinet de l’avocat) de manière à réduire à l’extrême la sphère d’influence du juge. 
D’un point de vue comptable la solution parait certes séduisante. 
La déjudiciarisation de nombre de litiges (qui est déjà depuis longtemps entamée) mêlée à une réduction parallèle du rôle du juge aurait pour mérite de rendre la justice plus rapide et moins couteuse pour le contribuable.

Seulement l’histoire récente a rappelé  que la transparence (qui est une composante essentielle de ce que doit être la justice) était tout sauf l’apanage cette « simplification » supposée.   

Je reformule donc une fois pour toutes la question.
De quelle justice voulons nous ?

Billets, info, justice, nos droits

Résurrecton inattendue de l’offense au président

Depuis hier, un fait divers remet sur le devant de la scène le désormais célèbre « casse toi pauv’ con » du Président de la République. 
Je n’ai en ce qui me concerne appris l’information que ce matin via un twitt’ de mon confrère blogueur Korben et son lien vers un article de Rue 89.
Le site d’information publiait le témoignage de Monsieur Hervé Eon, qui  a connu une fâcheuse mésaventure alors qu’il se rendait à une manifestation organisée par des opposants au président de la République à l’occasion du déplacement de celui-ci à Laval le 28.08 dernier. 
Mais, plus que de longues explications, le plus simple est encore que je vous laisse lire un extrait de l’article :

Nicolas Sarkozy s’est déplacé à Laval (Mayenne), le 28 août, notamment pour y annoncer la généralisation du RSA, le revenu de solidarité active. Un riverain mayennais, Hervé Eon, a voulu se rendre à la manifestation organisée contre le chef de l’Etat pour l’occasion. Une semaine après les faits, il a envoyé ce témoignage à Rue89.

Jeudi 28 août 2008, vers onze heures, je me rendais à vélo, à la manif contre la politique de Sarko, prévue à midi place de la mairie à Laval. J’avais prévu un carton (format 21 X 29,7 cm) sur lequel était inscrit « Casse-toi pov’con ». J’avais mis celui-ci en protection ventrale pour ne pas l’abimer.
Sur le trajet que j’ai emprunté, boulevard Félix Grat, j’ai entendu les sirènes des motards. Il devait s’agir du convoi présidentiel. Les motards enjoignaient les automobilistes de rouler vite pour libérer le passage. De nature prudent, je me suis rangé sur le côté du boulevard en restant juché sur mon vélo, sans même avoir le temps de me retourner, pour profiter du spectacle.
C’est alors, que deux personnages en civil, genre pitbulls (j’ai compris rapidement qu’ils s’agissait de deux flics), se sont rués sur moi, laissant mon vélo par terre et m’emmenant sur le trottoir, chacun d’eux me tenant un bras pour m’immobiliser et empêcher tout mouvement de ma part. Mais j’ai entendu que la voiture de Sarko passait. J’ai pu sortir mon carton, qui portait la mention « Casse toi pov’con » ce qui m’a valu d’être emmené au poste de police pour audition, étant accusé d’avoir offensé le président de la République.

L’individu en question a été cité en qualité de prévenu devant le tribunal correctionnel où il devrait etre jugé le 23.10.2008 :

  •  pour avoir à Laval, le 28 août 2008, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, offensé par parole, écrit, image ou moyen de communication -en l’espèce un écriteau avec les inscriptions « Casse-toi pov’con »- le président de la République française.
Il s’agit d’un délit prévu et réprimé par l’article 26 de la loi du 29.07.1881 qui dispose que :

« L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 est punie d’une amende de 45 000 euros.
Les peines prévues à l’alinéa précédent sont applicables à l’offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du Président de la République. » (source)

Les moyens énoncés à l’article 23 susmentionné sont les suivants (vous allez voir, c’est exhaustif) : 

 des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique,

Je dois vous avouer que j’ai dù chercher un peu pour retrouver ces textes.
Il faut dire que dans les milieux judiciaires on parle de ce délit comme d’un cas d’école dont l’application relève d’un autre temps.
Si vous voulez vous en convaincre, essayez comme moi d’aller sur légifrance chercher des décisions de justice relatives rendues à l’occasion de poursuites pénales pour « offense au président de la République ».
 Vous devriez tomber là-dessus :


Comme vous pouvez le constater, j’ai eu beau chercher, j’ai été incapable de trouver une jurisprudence relative à l’offense au président de la République plus récente que… 1967. 
Selon la cour de cassation ; 

« Constitue le délit de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, lorsque l’intention d’offenser est établie, tout fait commis par l’un des moyens énoncés dans les articles 23 et 28 de la loi, comportant une expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire de matière à atteindre le Président de la République dans son honneur ou dans sa dignité. La critique historique ou qui se prétend telle n’échappe pas plus à ces règles que la controverse politique. » (Chambre criminelle 12.04.1967)

Elle considère en outre que : 

« La liberté de discussion des actes politiques du Président de la République existe dans la Constitution du 4 octobre 1958. Mais son libre exercice s’arrête là où commence l’offense au Chef de l’Etat. Celle-ci, même adressée à l’occasion de la critique des actes politiques, atteint nécessairement la personne. Constitue le délit de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, lorsque l’intention d’offenser est établie, tout fait commis par l’un des moyens énoncés dans les articles 23 et 28 de la loi, comportant une expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire, de nature à atteindre le Président de la République dans son honneur ou dans sa dignité. »  (chambre criminelle 23.02.1967)

Une fois ces éléments « en main », une question se pose : Monsieur Eonj riisue t’il d’être condamné ?

Il est trop tôt pour le dire bien sùr, d’autant que seule une lecture du procès-verbal d’enquête permettrait de donner une réponse précise. 
Si la version contenue chez Rue 89 est exacte, il semble bien que les faits correspondent à la définition du délit.

Plus sérieusement il me semble que la décision de citer cet homme devant le tribunal correctionnel ne constitue qu’un excès de zèle commis par un procureur maladroit.
Dans ces conditions, si le tribunal correctionnel devait considérer le délit comme constitué il aurait la possibilité de prononcer une déclaration de culpabilité avant de renvoyer le prévenu « sans peine ni dépens » (i.e. le déclarer coupable sans le condamner)


A l’inverse, une improbable condamnation sévère dans cette affaire pourrait en effet signifier la fin d’une tolérance à la critique qui fait honneur à notre démocratie depuis des décennies. 
Elle pourrait en outre forcer certains à modifier irrévocablement leur  grille des programmes et d’autres à revoir leur ligne éditoriale.
Ce serait bien dommage.