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Résurrecton inattendue de l’offense au président

Depuis hier, un fait divers remet sur le devant de la scène le désormais célèbre « casse toi pauv’ con » du Président de la République. 
Je n’ai en ce qui me concerne appris l’information que ce matin via un twitt’ de mon confrère blogueur Korben et son lien vers un article de Rue 89.
Le site d’information publiait le témoignage de Monsieur Hervé Eon, qui  a connu une fâcheuse mésaventure alors qu’il se rendait à une manifestation organisée par des opposants au président de la République à l’occasion du déplacement de celui-ci à Laval le 28.08 dernier. 
Mais, plus que de longues explications, le plus simple est encore que je vous laisse lire un extrait de l’article :

Nicolas Sarkozy s’est déplacé à Laval (Mayenne), le 28 août, notamment pour y annoncer la généralisation du RSA, le revenu de solidarité active. Un riverain mayennais, Hervé Eon, a voulu se rendre à la manifestation organisée contre le chef de l’Etat pour l’occasion. Une semaine après les faits, il a envoyé ce témoignage à Rue89.

Jeudi 28 août 2008, vers onze heures, je me rendais à vélo, à la manif contre la politique de Sarko, prévue à midi place de la mairie à Laval. J’avais prévu un carton (format 21 X 29,7 cm) sur lequel était inscrit « Casse-toi pov’con ». J’avais mis celui-ci en protection ventrale pour ne pas l’abimer.
Sur le trajet que j’ai emprunté, boulevard Félix Grat, j’ai entendu les sirènes des motards. Il devait s’agir du convoi présidentiel. Les motards enjoignaient les automobilistes de rouler vite pour libérer le passage. De nature prudent, je me suis rangé sur le côté du boulevard en restant juché sur mon vélo, sans même avoir le temps de me retourner, pour profiter du spectacle.
C’est alors, que deux personnages en civil, genre pitbulls (j’ai compris rapidement qu’ils s’agissait de deux flics), se sont rués sur moi, laissant mon vélo par terre et m’emmenant sur le trottoir, chacun d’eux me tenant un bras pour m’immobiliser et empêcher tout mouvement de ma part. Mais j’ai entendu que la voiture de Sarko passait. J’ai pu sortir mon carton, qui portait la mention « Casse toi pov’con » ce qui m’a valu d’être emmené au poste de police pour audition, étant accusé d’avoir offensé le président de la République.

L’individu en question a été cité en qualité de prévenu devant le tribunal correctionnel où il devrait etre jugé le 23.10.2008 :

  •  pour avoir à Laval, le 28 août 2008, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, offensé par parole, écrit, image ou moyen de communication -en l’espèce un écriteau avec les inscriptions « Casse-toi pov’con »- le président de la République française.
Il s’agit d’un délit prévu et réprimé par l’article 26 de la loi du 29.07.1881 qui dispose que :

« L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 est punie d’une amende de 45 000 euros.
Les peines prévues à l’alinéa précédent sont applicables à l’offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du Président de la République. » (source)

Les moyens énoncés à l’article 23 susmentionné sont les suivants (vous allez voir, c’est exhaustif) : 

 des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique,

Je dois vous avouer que j’ai dù chercher un peu pour retrouver ces textes.
Il faut dire que dans les milieux judiciaires on parle de ce délit comme d’un cas d’école dont l’application relève d’un autre temps.
Si vous voulez vous en convaincre, essayez comme moi d’aller sur légifrance chercher des décisions de justice relatives rendues à l’occasion de poursuites pénales pour « offense au président de la République ».
 Vous devriez tomber là-dessus :


Comme vous pouvez le constater, j’ai eu beau chercher, j’ai été incapable de trouver une jurisprudence relative à l’offense au président de la République plus récente que… 1967. 
Selon la cour de cassation ; 

« Constitue le délit de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, lorsque l’intention d’offenser est établie, tout fait commis par l’un des moyens énoncés dans les articles 23 et 28 de la loi, comportant une expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire de matière à atteindre le Président de la République dans son honneur ou dans sa dignité. La critique historique ou qui se prétend telle n’échappe pas plus à ces règles que la controverse politique. » (Chambre criminelle 12.04.1967)

Elle considère en outre que : 

« La liberté de discussion des actes politiques du Président de la République existe dans la Constitution du 4 octobre 1958. Mais son libre exercice s’arrête là où commence l’offense au Chef de l’Etat. Celle-ci, même adressée à l’occasion de la critique des actes politiques, atteint nécessairement la personne. Constitue le délit de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, lorsque l’intention d’offenser est établie, tout fait commis par l’un des moyens énoncés dans les articles 23 et 28 de la loi, comportant une expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire, de nature à atteindre le Président de la République dans son honneur ou dans sa dignité. »  (chambre criminelle 23.02.1967)

Une fois ces éléments « en main », une question se pose : Monsieur Eonj riisue t’il d’être condamné ?

Il est trop tôt pour le dire bien sùr, d’autant que seule une lecture du procès-verbal d’enquête permettrait de donner une réponse précise. 
Si la version contenue chez Rue 89 est exacte, il semble bien que les faits correspondent à la définition du délit.

Plus sérieusement il me semble que la décision de citer cet homme devant le tribunal correctionnel ne constitue qu’un excès de zèle commis par un procureur maladroit.
Dans ces conditions, si le tribunal correctionnel devait considérer le délit comme constitué il aurait la possibilité de prononcer une déclaration de culpabilité avant de renvoyer le prévenu « sans peine ni dépens » (i.e. le déclarer coupable sans le condamner)


A l’inverse, une improbable condamnation sévère dans cette affaire pourrait en effet signifier la fin d’une tolérance à la critique qui fait honneur à notre démocratie depuis des décennies. 
Elle pourrait en outre forcer certains à modifier irrévocablement leur  grille des programmes et d’autres à revoir leur ligne éditoriale.
Ce serait bien dommage.

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