à vif, reverie

Autour d’un verre de plus [Fiction]

Lorsqu’Elle est entrée dans le bar, j’égrainais les mots de cette voix douce et calme qui seule parvient à convaincre Lucie de m’écouter. 
Et, je le sais bien, Elle ne se serait pas assise comme ça à coté de moi si je ne lui plaisait pas au moins un peu.
 
Je l’aime bien Lucie, avec tendresse et douceur. 
Cela doit faire un peu plus de dix ans qu’elle se prostitue à deux rues d’ici. 
Je ne lui ai jamais demandé par qui ces dents cassées et ces brûlures qui lui creusent le visage lui étaient arrivées de peur que soudain elle renonce à ce petit sourire qu’elle m’offre lorsqu’elle me voit passer.
Moi, en échange, je lui remplis à l’occasion ces formulaires auxquels elle refuse de comprendre quoi que ce soit. 

J’étais en train de lui rédiger une aride déclaration de changement de situation à destination de la sécurité sociale lorsqu’Elle est montée sur le tabouret voisin dans un sourire. 
 
Je devais avoir l’air d’un type bien à ce moment là.
à vif, reverie

A grands coups de balai dans le mur

La lueur rosée qui recoure l’horizon derrière la voie ferrée face à ma fenêtre n’étaient pas apparues encore lorsque je me suis levée.
Cela doit signifier qu’il était moins de six heures. 
Peu importe, cela fait dix longs mois à présent que je ne dors plus. 
J’ai enfilé mon peignoir, le gris qui m’est un peu ample, sans passer par la salle de bains. 
Le miroir au dessus du lavabo me fait horreur, j’ai tant vieilli depuis deux ans…
Alors je suis allée jusqu’au fauteuil, le doigt fermement posé sur la télécommande de la télévision. 
L’écran a mis du temps à s’éclairer, j’ai bien pur qu’il ne soit près de la fin lui aussi, j’ai profité de ces instants pour chercher du bout des doigts le cas de brioches au sucre, celui que je laisse sous le pied gauche du fauteuil pour ne pas avoir à trop me lever. 
Le temps s’est écoulé, de William Leymergie à Jean-Pierre Pernaud, puis de Juiien Lepers à David Pujadas. 
J’aime bien Davd Pujadas. Cet homme a l’air si sage, si rassurant. Lorsqu’il murmure les nouvelles le monde à l’air un peu moins laid. 
 
à vif

Au bout de la rue

Un plumeau de moustache lui donne à présent les airs de ces portraits romantiques de révolutionnaire sud-américain. Il titube un instant, comme blessé, avant de s’adosser enfin  contre ce reliquat d’affiche crasseux  qui salit un mur trop vieux. 
Pour un peu je ne l’aurais pas reconnu avec ses airs de clochard ; mais l’odeur de bière qui exhale de chacun de ses gestes m’est encore familière quoique plus âpre et vivace que dans mon souvenir. 
Je prends ma voix la plus ferme lorsque j’arrive à sa hauteur. 
Lui, lève la tête à l’énoncé de son nom pour découvrir un nez ensanglanté entre des joues creusées. 
Il ne m’a jamais été facile de détourner le regard d’un malheureux dans la rue, mais à l’instant j’aimerais partir, très loin. 
Son visage renait un instant lorsqu’il me reconnait. J’ai envie de  pleurer durant ce bref moment au cours duquel j’ai dix ans de moins.