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Où j’attends la loi Macron

Ça y est, les débats en séance publique sur la loi « Macron » ont enfin commencé à l’assemblée nationale.
Il était temps. Le sujet a tellement été débattu qu’il est temps d’en finir.

Je suppose que comme moi, le sujet commence à vous lasser…

Si vous me lisez de temps à autre, vous savez probablement que je suis juriste dans un cabinet d’avocat d’une petite ville de province.
Puisque les Avocats sont l’une des professions les plus concernées par le projet Macron, je commence à avoir hâte de savoir à quelle température le législateur entend régler le four qui va nous cuire.
J’ai écrit une première version de cet article à la fin du mois de septembre 2014. (au moment de la journée sans professions libérales)
J’y expliquais le détail des mesures votées ces jours-ci et j’y détaillais pas mal de chiffres supposés vous faire comprendre pourquoi cette loi va fragiliser la plupart des cabinets d’avocats.
Mais, ce projet d’article a fini à la corbeille.
Parce que réflexion faite, tout cela n’est pas très intéressant.

Si j’ai du mal à me sentir concerné lorsque les médecins généralistes demandent une revalorisation du tarif de la consultation, je ne vois pas pourquoi vous vous intéresseriez à la suppression du tarif de la postulation.
Alors je vais plutôt essayer de vous décrire ce qui va changer en pratique au travers de deux mesures phares qui concernent les avocats leurs conséquences probables sur vos rapports avec eux.

  • La première de ces mesures concerne l’extension de ce qu’on appelle la « postulation ».

Puisque je me doute que ce mot n’a peut-être aucun sens pour vous, je commence par vous expliquer ce qu’il faut savoir du sujet.
De même que les tribunaux ont une compétence territoriale, les avocats sont organisés en Barreaux dont le ressort géographique correspond à celui d’un tribunal de grande instance.
Dans les matières où le recours à un avocat est obligatoire, les justiciables ont donc l’obligation de choisir un avocat inscrit au barreau correspondant au Tribunal de Grande Instance (TGI) où l’affaire doit être portée.
On dit que l’avocat « postule » devant ce tribunal.
Il s’en suit qu’un justiciable qui souhaite avoir recours à un avocat extérieur au Barreau compétent est contraint d’avoir recours à deux avocats. (un « plaidant » pour préparer sa défense et un « postulant » pour s’assurer de la régularité de la procédure)
La suppression de ce système a longtemps été évoquée.
Le gouvernement a pour l’heure opté pour une solution intermédiaire qui consiste à étendre le système de la postulation pour qu’il s’exerce à l’échelle de la cour d’appel.
On compte 161 Tribunaux de Grande Instance en France et 36 Cours d’Appels.
A gros trait, on peut donc dire qu’après la réforme chaque avocat de France pourra postuler sur un ressort 4.5 fois plus grand.

Fort logiquement, la réforme devrait créer un regroupement des avocats dans les villes où se trouvent des Cours d’Appel.
De même, on peut se demander si certains clients institutionnels (banque, assurances, etc…) dont dépendent beaucoup d’avocats de province auront intérêt à maintenir un réseau d’avocat à l’échelon du TGI alors qu’ils pourraient simplifier leur gestion en ne conservant que des interlocuteurs au niveau de la Cour d’Appel.

Le premier axe qui devrait émerger à la suite de la loi Macron, c’est donc un regroupement géographique des avocats dans les plus grandes villes.

  • La seconde mesure dont je veux vous parler vise aussi à favoriser les regroupements, pas simplement entre avocats, mais au niveau interprofessionnel :

Le 15 janvier 2015, l’Assemblée nationale a décloisonné, en commission, certains métiers réglementés du droit et du chiffre.
Les avocats, les experts-comptables, les notaires, les huissiers de justice, les mandataires judiciaires, les administrateurs judiciaires, les commissaires-priseurs judiciaires et, indirectement, les commissaires aux comptes exerçant aussi l’expertise comptable, devraient donc pouvoir travailler dans une même société.

Pour l’heure, le gouvernement a exclu que les sociétés regroupant des professionnels du droit puissent lever des fonds directement auprès de groupement financiers. (banques, assurances, fonds d’investissements…)

Mais il parait évident que les professions judiciaires et juridiques se dirigent inéluctablement vers un financiarisation de leur activité.

En effet, la réforme va favoriser la constitution de sociétés « multi-services » avec lesquelles les justiciables pourraient contracter pour le suivi de leur affaire.

Plutôt qu’avoir recours à un avocat, un huissier et notaire, un justiciable pourrait avoir recours à une seule société de conseil.
L’idée a quelque chose de séduisant vue de l’extérieur. On se dit que le système devrait y gagner en simplicité pour le client et peut être en lisibilité s’agissant des tarifs.
Mais c’est aussi la mort du rapport personnel qui peut exister entre un avocat et son client.
Et probablement la fin de l’indépendance de l’avocat, qui n’aura plus la possibilité d’être réellement maitre de la direction de son dossier.

J’écris ces lignes à Tarascon sur Rhône,
Voilà une ville d’environ 13.000 habitants où les plans sociaux ont laissé des stigmates vivaces ces dernières années. Une ville où le front national a fait un peu plus de 47% aux dernières municipales.
J’imagine sans peine l’effet en termes d’emploi – directs ou indirects- et de vie locale que pourrait avoir un regroupement des professions juridiques vers le ressort de la Cour d’Appel (Aix en Provence) ou du plus gros TGI du ressort (Marseille).

On nous a présenté la loi Macron comme une loi sur la croissance, censée toucher au portefeuille de quelques nantis de province.
J’aimerais bien qu’on parle un peu des effets prévisibles en termes d’aménagement du territoire.

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