Billets, coup de gueule

En finir avec le racisme anti-blanc

Depuis quelques jours, un étonnant bruit de fond se fait entendre dans l’actualité.
La justice aurait découvert le « Racisme anti-blanc ».

Les principaux médias s’étonnent, visiblement captivés par l’événement, à l’exemple de La Dépèche qui s’interroge aujourd’hui :

« Racisme «anti-Blanc» : un homme bientôt condamné ? »

LCI préfère insister sur le caractère supposé exceptionnel d’un tel procès et amorce son article de la manière suivante :

« Un procès peu ordinaire doit se tenir ce vendredi à Paris. Le tribunal correctionnel va examiner une affaire présumée de violences accompagnées d’injures racistes contre les Blancs. »

Avant que de résumer brièvement les faits à l’origine des poursuites ;

« En septembre 2010, un homme a été roué de coups dans une station du métro parisien par trois agresseurs qui lui auraient crié « Sale Blanc, sale Français »

Nous avons tous envie de vivre l’Histoire et d’assister à l’inédit, c’est humain… Mais en tant que juriste, j’ai appris à me méfier des journaux qui croient déceler dans une affaire particulière un événement exceptionnel. Et je vous invite à partager une telle attitude.

Je vais mettre de coté le temps de cet article les coups qui ont été portés, qui sont au sens pénal du terme des « blessures volontaires » plus ou moins sanctionnées selon leur gravité (ou plus précisément en fonction de la longueur de l’interruption temporaire de travail qu’elles sont susceptibles d’avoir entraîné).

Cet élément écarté, restent les propos « Sale Blanc, sale Français », dans lequels semble résider le cœur du supposé « racisme anti-blanc ».
Le Racisme anti-blanc est une notion totalement étrangère à notre droit, pour la bonne et simple raison que, comme moi,  la loi se fiche parfaitement la couleur de votre peau.

De tels propos sont néanmoins susceptibles d’être poursuivis, le plus souvent sur le fondement de l’article R624-4 du code pénal qui dispose :

« L’injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. Est punie de la même peine l’injure non publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. »

L’idée généralement partagée par les articles qui évoquent cette information est que
« si l’accusé est bien condamné [dans cette] ]affaire, il pourrait s’agir d’une première en la matière. »

Je suis désolé de ruiner un scoop, mais c’est tout sauf une première.

 

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Quand il lit que le fait de poursuivre des injures proférées « contre un blanc » ne serait jamais arrivé en France, le juriste que je suis saute de sa chaise.
Ne serait-ce que parce que je croise des condamnations pour injures à caractère « racial » (et ce quelque soit le destinataire) régulièrement dans ma vie professionnelle.
(ce qui selon la presse française de ce matin fait de moi un être exceptionnel. Merci, je ne cessais de le répéter à mes proches ; incrédules…)

Je n’ai pas la prétention d’apprendre à des journalistes à faire leur travail, mais j’ai envie de leur donner un petit conseil.

Avant d’écrire sottement qu’une affaire judiciaire est exceptionnelle parce que tous vos confrères qui n’y connaissent rien le font en même temps ; essayez de faire un brève recherche de jurisprudence pour vérifier que vous n’écrivez pas une bêtise.

Il n’y a pas énormément de jurisprudence publiée par les cours d’appel et la cour de cassation s’agissant des injures non publiques.

La plupart de ces affaires s’achève en effet en première instance.
Il s’agit d’une contravention de la quatrième classe, de sorte qu’en opportunité très peu de justiciables voient à intérêt à dépenser plusieurs milliers d’euros pour prolonger ce type d’affaires durant des années devant les Cours d’Appels ou la Cour de cassation.

En dépit de cette relative rareté, il ne m’a pas fallu plus de trois minutes pour trouver l’arrêt N° 09/00801 rendu le 24.03.2010 par la Cour d’Appel de Rouen(lien – payant)

Dans cette affaire, un homme a été déclaré coupable non pas d’injures, mais du chef d’outrages pour avoir notamment :

outragé par paroles de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction de :

  • M. M., sapeur pompier, personne chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, en l’espèce fils de pute, enculé de negro, t es un vendu, t’es pas un vrai black, t’as pas de niveau, on se retrouvera dehors’, et en lui crachant dessus,
  • M. C., sapeur pompier, personne chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, en l’espèce fils de pute, batards, vous êtes que des merdes, sale blanc, sale français’, en menaçant sa famille et en lui crachant dessus,

Vous noterez au passage la cohérence du prévenu, dont le racisme s’exerçait dans cette affaire tout autant contre les blancs que contre les noirs…

Vous remarquerez aussi une bonne nouvelle : la justice fait son travail même lorsque les journaux conservent un relatif silence sur son action.

Au delà de l’absence de caractère vraiment exceptionnel de l’affaire dont est actuellement saisi le Tribunal Correctionnel de Paris, il faut bien comprendre qu’une condamnation n’aurait que peu d’intérêt à l’égard de la notion de racisme « anti-blanc » puisque je le répète : elle est étrangère à notre droit.

S’il n’y a pas d’intérêt juridique à priori évident dans cette affaire, le coup de projecteur dont elle bénéfice ne peut s’expliquer que par le caractère éminemment politique de la notion de racisme anti-blanc.

Le sujet est un terrain miné.
Il est en fait  tellement sensible que des tensions concernant l’existence d’un supposé racisme anti-blanc existent jusqu’au sein des associations anti racistes elles-mêmes
Les 31 mars et 1er avril 2012, le congrès du MRAP adoptait un rapport d’orientation contenant pour la première fois des propos concernant l’existence du « racisme anti-blanc ».
S’en est suivi un débat extrêmement agité à la fois au sein de l’association et entre les associations anti racistes qu’on ne peut comprendre qu’en effectuant un rappel de ce qu’est le « racisme ».

Si l’on se fie au Larousse, le racisme peut être

  • une idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie.
  • une attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes

Incontestablement les faits divers évoqués plus haut correspondent à la première définition du racisme en ce qu’ils illustrent des « attitudes d’hostilité à l’égard d’une catégorie déterminée  de personnes ».

Ces faits divers  ne nous disent rien en revanche sur un éventuel caractère systématiquement raciste à l’égard des blancs des prévenus concernés. Mais admettons : des exemples jugés à Paris à Rouen et un peu partout illustrent des comportements isolés à caractère raciste dirigés contre des « blancs ».

Si tel est le cas, alors la réponse judiciaire suffit. Lorsqu’un acte de ce type est commis, il faut que les tribunaux continuent à poursuivre.

Si par contre existe une idéologie organisée correspondant à la première définition, il faut des moyens tout aussi organisés de nature à la combattre.

Or c’est précisément là que la notion de « racisme anti-blanc » tourne court.

Existe t’il un racisme « anti-blanc » en tant que  système cohérent et conceptualisé de domination, d’incitation à la haine, comparable à ces systèmes que sont par exemple l’antisémitisme ou l’islamophobie ?

Non. Bien sûr que non. Il n’existe rien de tel en France.

Est-il courant d’écarter  le CV d’un individu qui postule à un emploi parce qu’il est blanc ?

Est il habituel de refuser l’accès à un blanc en boite de nuit à raison de la couleur de sa peau ?

Refuse t’on de louer un logement à des personnes au prétexte qu’elles sont blanches ?

Non. Non et non.

 Faute de correspondre à  ce qu’est le racisme en tant que système de domination, l’expression racisme anti-blanc est donc inappropriée parce qu’elle est déceptive.

Pire,  cette expression nuit précisément au combat anti-raciste auquel elle prétend se rattacher en ce qu’elle porte la reconnaissance intrinsèque de la notion de race.

S’il est souvent difficile de retracer l’origine d’une expression, il n’est pas anodin de noter que le racisme « anti-blanc » fait partie du champ lexical classique de l’extrême droite raciste.

Déjà en 1985, Jean-Marie Le PEN déclarait :

«Je condamne tous les racismes, y compris le racisme anti-Français. C’est celui-là qui, dans ce pays, sévit le plus gravement.»

De fait, cette expression correspond à une volonté  de retirer toute valeur au combat antiraciste en martelant l’idée que la race serait une notion objective grâce à l’idée que les représentants des supposées « autres races »  seraient comme on l’entend parfois « aussi racistes que nous ».

Et ce alors même que – on ne le dira jamais assez- l’existence même des races est contestable et contestée d’un point de vue scientifique.

Accepter l’idée du racisme anti-blanc, c’est accepter l’idée de « racialiser »  la société française. C’est tracer une ligne dans le sable entre « eux, les autres » et « nous » et de ce fait créer les conditions qui servent de ferment au racisme.

Je suis le premier à reconnaître qu’il faut combattre le racisme anti-blanc.
Mais j’estime qu’il mérite d’être combattu tout autant lorsqu’il se manifeste par des actes, que dans la bouche de ceux qui ont le dessein de banaliser cette expression.

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