Billets, coup de gueule

Où des politiques s’émeuvent et accouchent d’un sphynx.

Bien sûr l’indemnité perçue par la société de Bernard Tapie au titre de son préjudice moral suite à la décision du tribunal arbitral a de quoi émouvoir.
Mais ce qui s’est passé Mercredi et que relatait un article du Monde daté d’hier fait bien plus que me mettre en colère.
Cette fois, je suis aussi inquiet.
Lisez donc :

Les députés ont voté, mercredi soir 22 octobre, par 33 voix contre 16, un amendement qui soumet à l’impôt, à partir d’un seuil de 200 000 euros, les indemnités perçues au titre du « préjudice moral » sur décision de justice. L’amendement, appelé « amendement Tapie » et déposé par le centriste Charles de Courson, avait été retenu la veille par la commission des finances.

Ce qui m’inquiète tout d’abord, ce sont les conditions dans lesquelles cet amendement à la loi de Finance a été voté puisque le Monde précise que « Les élus socialistes et communistes ont voté cet amendement centriste. Le groupe UMP s’est divisé, treize de ses membres ayant voté pour et seize contre. »
Cela m’inquiète  parce que cela témoigne de l’ignorance qu’ont nos député de la chose juridique, ou de leur mépris pour celle-ci…
Pourtant le travail de Législateur est l’essence même de la fonction de député.
Car ce qu’il faaut savoir, c’est qu’en France une indemnité ne peut en aucun cas constituer un revenu. 
En effet, une décision de justice ne peut allouer à une victime que l’indemnisation correspondant à la réparation d’un préjudice direct, actuel et certain. 
Cette décision doit selon l’adage réparer tout le préjudice et rien que le préjudice ».   
En d’autres termes il s’agit de rendre à la victime ce qu’elle a perdu sous la forme d’une somme d’argent, de tenter de la remettre dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant que ne survienne l’évenement qui a causé son préjudice : mais en aucun cas de l’enrichir. 
Il s’agit d’un principe général du droit qu’a d’ailleurs tenté de défendre le ministre du budget Eric WOERTH le ministre du budget au nom du gouvernement, vainement.
L’amendement en question dispose plus précisément que : 

« sont également imposées comme des traitements et salaires les indemnités, au-delà de six fois le plafond de la Sécurité sociale [soit 200 000 euros], perçues au titre du préjudice moral sur décision de justice »

S’il devait etre adopté par le Sénat cela ferait littéralement entrer un sphynx dans notre droit puisque :
  • en deçà de 200.000 euros un préjudice moral continuerait à avoir une nature purement indemnitaire et ne serait pas imposable puisque ne représentant pas un enrichissement
  • au delà de 200.000 euros il serait considéré par l’admninistration fiscale comme un « enrichissement »  et à ce titre qualifié de revenu. 
Cette dernière hypothèse est néanmoins appelée à rester un cas d’école.
Je vous rappelais dans le billet évoqué plus haut le fait que les sommes habituellement allouées au titre du préjudice moral par les tribunaux sont très largement inférieures à 200.000 euros.
A titre d’exemple voici celle accordées en moyenne en 2007 par la cour d’appel d’Aix en Provence suite à la mort d’un proche :
                                                                                                                

Voila des sommes bien éloignées des 200.000 euros évoqués plus haut. 


En résumé nos députés viennent de voter une aberration juridique, de surcroit totalement inutile et ce dans le seul but de réagir à une affaire médiatisée. 


Voila encore un exemple, si besoin était, qui illustre le ridicule de ces lois Politiques qu’on nous sert à longueur de législature en réaction à l’actualité.
Billets, coup de gueule, nos droits

Paquet telecom: l’Etat s’en fiche

Korben (qui a récemment lancé un nouveau blog) publie aujourd’hui un billet au sujet du paquet télécom qui commence par les mots suivants « Je ne sais pas pour vous mais moi je n’y comprend plus rien ??? »
Il faut dire qu’il y a de quoi s’étonner.
En effet, Christine Albanel a confirmé hier  que le si décrié projet de loi Création et Internet sera bel et bien examiné la semaine prochaine par le Sénat alors même que le parlement Européen vient de voter un amendement à la directive « Paquet Télécom » qui dispose:

qu »aucune restriction ne peut être imposée à l’encontre des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs finaux, sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur la liberté d’expression et d’information, sauf si la sécurité publique est menacée« . 



Pour ceux qui auraient manqué les épisodes précédents le projet de loi « création et internet » prévoit notamment  « la mise en place d’une haute autorité administrative chargée de dissuader les internautes de télécharger illégalement des œuvres (musique, films, séries), d’abord en leur envoyant des avertissements par mail puis par lettre recommandée, et enfin en suspendant provisoirement leur abonnement à Internet après une phase de transaction. »  [source]
Pour ma part je ne suis pas étonné. En colère oui, mais pas étonné.
Pour comprendre un peu mieux la situation il est important de savoir précisément ce qu’est la directive « Paquet Télécom » dont on parle beaucoup ces derniers temps mais bien souvent sans trop savoir de quoi il s’agit.
En ce qui concerne son contenu, et afin d’éviter une paraphrase inutile, je me permets de vous renvoyer vers un article plutôt bien fait sur le site du parlement Européen intitulé (certes un peu hâtivement) « sur internet la vie privée demeure protégée« 

Mais le tout n’est pas de connaitre le simple contenu de cette directive, encore faut il comprendre sa « force contraignante », c’est à dire connaitre la définition d’une directive communautaire qui est posée par l’article 249 (alinéas 3 et 4) du traité instituant l’union européenne qui dispose : 
« La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.
La décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne. »
En clair, une directive (contrairement à un règlement communautaire)  ne fixe à un état qu’une obligation de résultat mais lui laisse la liberté quant aux moyens. 
En outre elle n’intègre le droit « interne » à cet état qu’après avoir été « transposée » c’est à dire qu’une loi ait été votée par le parlement de cet Etat. 
Afin d’éviter les abus, les directives sont assorties de délais que les Etats se voient imposer.
Or à ce jeu la France est bien connue pour prendre son temps et outrepasser largement les délais.

En somme la directive communautaire n’empêche  pas la loi « Création et Internet » d’être examinée. 
Si cette dernière est adoptée elle pourra s’appliquer en toute légalité jusqu’à l’expiration du délai de transposition. Or il y a fort à parier qu’une fois de plus nos gouvernants prendront leur temps… 

Et après ?
Après, probablement rien. Du moins tant que nos gouvernants se ficheront ouvertement de la loi.
Je pense vraiment cette dernière phrase.
Il n’y a pas si longtemps, un ministre de la justice décidait à des fins politiques  d’indemniser des victimes en toute illégalité et au mépris de toutes les règles qui régissent le prescription.
Vous trouvez probablement ce geste louable. Mais moi ce type d’affaire me met en colère. Allez expliquer à une victime pourquoi la prescription est écartée pour certains dont l’affaire a fait la une des journaux et pas pour elle et vous comprendre peut être mon sentiment.
 

Maj le 28.10.2008 à 10h48 (suite à un Twitt‘ d’Antonin
 Qu’est ce que je vous disais :
Le groupe socialiste reconnaît, pourtant, que l’amendement Bono voté par le Parlement européen pourrait faire obstacle à l’adoption de la loi Création et Internet. Cet amendement, adopté avec une très large majorité de 88 % des parlementaires (573 voix pour, 74 contre) fait obligation de veiller à ce « qu’aucune restriction aux droits fondamentaux et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne soit prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire ». Concrètement, il contraint les Etats-membres à passer par un tribunal de l’ordre judiciaire avant de condamner à la suspension de l’abonnement Internet. Mais selon la note du groupe Socialiste, qui reprend le point de vue exprimé par la ministre Christine Albanel, « rien ne permet d’affirmer que, juridiquement, l’accès à Internet constitue un droit fondamental du citoyen« .
Alors-même que le gouvernement prévoit un millier de décisions prises par jour, ce qui enlève toute possibilité d’étude personnalisée des dossiers, la note du groupe socialiste estime même que « la formation particulière que revêt l’autorité administrative infligeant la sanction« , composée de trois magistrats, « prend une forme quasi juridictionnelle » qui pourrait la rendre compatible avec l’amendement Bono. [source]
Une forme quasi juridictionnelle (rire jaune). En voila une belle leçon d’hypocrisie et de cynisme…
à vif, reverie

Fanée

Il y a bien sûr cette odeur de merguez en train de cuire qui n’aide pas. 

Les cris des enfants aussi et tout ce monde. Je déteste le monde. 
Mais la somme de ces éléments n’est que peu de chose face à l’impression qui émane de cette femme. 
Fanée. C’est le premier mot qui me vient lorsqu’elle  s’arrête à coté de moi, violent et évident, définitif. 
L’un des gamins passe à ma hauteur et s’empêtre dans mon soulier décidément trop long. je l’attrape par l’épaule pour éviter qu’il ne chute.
Puis elle ouvre la bouche et soudain c’est mon impression qui prend corps et tombe comme un jugement.
Elle me dit qu’elle n’a pas eu d’enfant, qu’elle n’en a jamais voulu.
Moi je me demande quelle sorte de femme peut dire une telle chose à un inconnu avant même de s’être présentée.
Puis elle enchaine sans prendre garde à mes sourcils qui se froncent.
En quelques instants je sais déjà l’essentiel de sa vie alors que le son de ma voix lui est encore à peu près inconnu.
Près de dix ans de chômage, qu’elle a occupé entre danse et « Pilates », qu’elle a perdu dans les files d’attente des ASSEDIC et de l’ANPE.
Un corps quadragénaire sculpté, figé dans un jeunesse inutile, un regard si loin bien incapable de plonger dans le mien et cette faille évidente qui transparait jusque dans sa voix.
Elle a un entretien d’embauche demain, pour un poste de secrétaire. Mais elle m’assure qu’elle refusera, qu’elle vaut mieux que ca.
Je pense un instant à ma secrétaire, vivante, souriante, avant d’esquisser un sourire gêné. 
Je me sens désarmé, inutile, étranger. Elle et moi sommes d’une espèce différente et chaque chose que je pourrais lui-dire ne fera que ricocher comme une pierre lancée contre la porte d’un coffre fort. 
Mais cela n’a pas d’importance. Déjà je sais les heures et le contenu de ses séances de stretching, l’adresse de son HLM, le vide qui est son quotidien.

Dulcinée fend la foule et arrive à ma hauteur. Elle prend ma main et me fait signe qu’elle est enfin prête à partir
Je tourne la tête pour la saluer mais l’inconnue s’est déjà avancée jusqu’à la file du Barbecue.
Je pense à lui lancer un au revoir à la volée.
Mais non, même cela n’aurait pas grand sens.