brèves

Donner trop de droits aux femmes ?

Il y a quelques semaines je me réjouissais au retour du cinéma.
Je venais de voir une charmante comédie sur l’encore récente réforme du droit de la famille au Maroc.

Puis, le 3 Aout dernier j’ai eu l’occasion de lire de nombreux articles au sujet du désormais fameux sondage publié par l’hebdomadaire Marocain TelQuel et interdit à raison d’une question portant sur la popularité du Roi du Maroc. 
Vu de France cette interdiction a été vivement critiquée. 
Pire, elle semblait assez ridicule puisque ce sondage démontrait l’immense popularité du Roi Mohammed VI. 

Ce qu’on a moins dit c’est que ce sondage révélait un rejet massif de certaines réformes initiées par le roi : 

Mais les critiques les plus sévères qu’enregistre le roi portent sur la Moudawana, ce nouveau code de la famille qui, depuis 2004, fait des Marocaines les égales des hommes, sauf en matière d’héritage. Surprise ! Presque un Marocain sur deux estime que le roi est allé trop loin dans sa volonté de libérer les femmes. Que celles-ci n’aient plus besoin d’un tuteur pour se marier ; qu’elles puissent désormais réclamer le divorce (une prérogative jusque-là réservée aux hommes) ; et que la polygamie soit rendue dans les faits impossible, tous ces acquis sont loin de soulever l’enthousiasme. Seuls 16 % des Marocains pensent que les femmes devraient avoir encore plus de droits. 

Le principe de l’égalité des sexes est encore fort peu intégré au Maroc, et cela aussi bien par les femmes que par les hommes. Pour l’heure, le trait dominant des Marocains semble être… le machisme, et celui des Marocaines, la soumission au machisme, et ce quels que soient l’âge, la région et la catégorie socio-économique. [source]
Autant vous dire que mes illusions sur l’heureuse évolution du droit des femmes au Maroc grâce à une impulsion législative en a pris un sacré coup dans les parties. 


Premier ? 
Oui, et c’est la lecture d’une dépêche AFP, reprise ce matin par l’édition papier du Monde qui m’a infligé le second. 
Mais le mieux est encore que je vous laisse lire par vous même :

Depuis que les députés maliens l’ont adopté début août, le nouveau code des personnes et de la famille, accordant plus de droits aux femmes, est rejeté par des dizaines de milliers de Maliens qui enchaînent bronca sur bronca à l’appel du Haut conseil islamique du Mali.
Samedi, au stade du 26 mars à Bamako, ils étaient environ 50.000 personnes à « maudire » le nouveau texte, présenté comme « une insulte au Coran ». « La civilisation occidentale est un péché », « Non à ce code qui divise les Maliens », pouvait-on lire sur les banderoles. [source]

Cette fois la polémique dépasse d’ailleurs la simple question du droit des femmes pour embrasser la notion même de famille :


Parmi les articles qui fâchent, le nouveau code remplace notamment l’expression « puissance paternelle » par « autorité parentale » et fixe l’âge du mariage à 18 ans. L’ancien code ne précisait pas d’âge pour le mariage qui se faisait très souvent suivant la coutume, parfois dès l’âge de 13 ou 14 ans. En application du nouveau texte, seules sont reconnues les unions célébrées devant l’officier d?état civil. (…)

Par ailleurs, le nouveau code reconnaît le droit au divorce en cas de non cohabitation de fait entre le mari et l?épouse pendant trois ans. (…)
Autre point contesté avec véhémence: l’enfant naturel acquiert les même droits et devoirs que l’enfant légitime en matière de succession. [même source]
Il ne s’agit pas pour moi de pointer du doigt des pays étrangers. Qu’il s’agisse des rémunérations ou de la représentation politique nous pourrions parfaitement balayer devant notre porte. 
Il s’agit encore moins d’adresser une critique à des populations musulmanes, tant il me parait vain de vouloir parler de l’Islam au sens large, comme s’il s’agissait d’une religion unifiée dont la même conception serait partagée par tous. 

Il me semble toutefois que ces deux exemples sont riches d’enseignement quant à la vocation de ces lois dont l’ambition est de changer la société. 
L’entrée dans la loi d’un droit longtemps discuté n’est jamais qu’un préalable, au demeurant bien fragile. 
Sans garantie légale rien n’est possible, certes.
Mais s’il suffit de quelques mois pour aboutir à la promulgation d’une loi, elle ne suffit pas -loin s’en faut- à faire évoluer les mentalités.

Voila que je deviens un juriste qui découvre la vie ne croit plus en la force de la loi. 
Misère… 

Billets, politique

Chat perché constitutionnel

Deux fois.
Cela fait deux fois en quelques semaines que le Conseil Constitutionnel censure partiellement des lois dont le Président et son Gouvernement ont fait des symboles politiques.

 
Qu’il s’agisse d’Hadopi ou de sa récente décision relative à la « Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires » [non je n’ai pas oublié de virgule] on pourrait croire que le Conseil Constitutionnel nourrit une certaine acrimonie à l’égard du gouvernement.

A moins que ce ne soit le le législateur qui joue avec le feu.  
  


Selon l’article 5 de la Constitution de la V° République, « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.

Bien sûr dans les faits ce n’est pas aussi simple, la Constitution est parfois si contraignante…
Il n’est donc pas rare qu’éclatent des polémiques violentes lorsque l’exécutif  ou le parlement cherchent à faire entrer dans l’ordre juridique des normes contraires à la constitution. 

Celle qui avait éclaté en 2004 relativement à la loi « portant adaptation de la justice à la criminalité » dite Perben II en est un vibrant exemple. 
Puisque le problème persiste, c’est qu’en réalité il ne provient pas simplement des hommes qui exercent le pouvoir, même si bien sûr le caractère d’un Nicolas Sarkozy n’arrange rien…

Non, le véritable problème vient du fait qu’il est constitutionnellement parfaitement possible de faire entrer dans l’ordre juridique français des normes contraires à la constitution. 
Non, pas la peine de retourner ce tiroir à la recherche d’un doliprane© c’est en réalité très simple. 

A ce jour, le contrôle de conformité à la constitution des lois ordinaires (par opposition aux lois organiques) est absolument facultatif. 
En effet, l’article 61 alinéa 1 de la constitution dispose que : 
« les lois peuvent être déférées au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. »
Si une véritable mobilisation ne s’était pas faite jour, il y a d’ailleurs fort à parier que la loi Création et Internet – « Hadopi », passée inaperçue au sénat serait entrée en vigueur sans heurt et sans que le conseil constitutionnel ait la moindre voix au chapitre.  

Or, à ce jour, le seul recours contre une loi inconstitutionnelle entrée en vigueur c’est l’abrogation par le parlement. 
En effet, les tribunaux ordinaires n’ont pas la moindre compétence pour con troller la constitutionnalité des lois.
Des lois contraires à la constitution sont donc appliquées, bon gré mal gré par les tribunaux chaque jour, c’est moche, mais c’est ainsi.
Toutefois, parce les choses ne sont jamais totalement noires ou blanches les choses devraient évoluer très bientôt. 

Le nouvel article 61-1 de  la constitution issu de la réforme constitutionnelle du 23.07.2008 a prévu une avancée majeure en la matière.
Il prévoit en effet que : 
Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. 
Loin  d’être un simple gadget cette disposition, qui crée un recours à postériori contre une disposition légale inconstitutionnelle est une petite révolution capable de mettre chacun plus à l’abri des excès du législateur.
 

Oui mais…
Cette disposition, votée il y a plus d’un an entrera
« en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application » [cf. art. 61-1]
un jour… lorsqu’on pensera à s’en occuper…

Dans l’intervalle, il va bien falloir faire sans…
Alors que des textes tels que la LOPPSI potentiellement truffés de dispositions inconstitutionnels sont sur le point d’être examinés , cela risque de ne pas être triste.
Billets, nos droits

Il parait que le divorce c’est simple (enfin parfois)

Le Figaro publie aujourd’hui un article intitulé « Divorce à l’amiable ; une loi adaptée à son époque« .dans sa rubrique « science », ce qui m’honore au plus haut point. (rires)

Ce qui me réjouit moins, c’est que cet article fasse suite à l’étude récemment révélée par la chancellerie et largement relayée dans la presse selon laquelle :

Le divorce par consentement mutuel a le vent en poupe. Plus nombreux, plus rapide, ce type de séparation représente en 2007 plus de la moitié des divorces avec un taux de 55 %, contre 41 % en 1996,

Je n’ai pas à avoir d’avis sur ce fait, ce qui m’inquiète un peu ce sont les conclusions que pense pouvoir en tirer le ministère de la justice :
«Depuis le 1er janvier 2005, date de l’entrée en vigueur de la réforme du divorce du 26 mai 2004, la procédure est plus simple et plus rapide, explique-t-on à la Chancellerie. Le divorce par consentement mutuel est désormais prononcé par un juge aux affaires familiales lors d’une audience unique, contre deux auparavant qui se tenaient dans un délai compris entre trois et neuf mois.»
La nouvelle loi a surtout contribué à augmenter le rythme des procédures. À partir de 2005, le raccourcissement de la procédure de divorce par consentement mutuel permet à 40 % des requêtes en divorce de se terminer dans l’année de la demande, contre 25 % entre 1996 et 2004. [source]
C’est précisément à ce stade que je dis halte !
Il ne s’agit pas d’une opposition idéologique de ma part ,mais d’un cri de rage mêlée d’effroi à l’idée de ces futurs clients qui ne vont pas tarder à se presser dans la salle d’attente du cabinet d’avocats où je travaille et me harceler un peu plus encore de questions au sujet de leur divorce 
« qui est décidément bien long, alors que ca devrait aller vite avec la nouvelle procédure dont on a parlé à la télé »
Non je n’exagère pas…  Pas du tout même.


Le même article ajoute enfin que : 
«L’un des objectifs de la réforme était de pacifier les divorces en privilégiant les séparations consensuelles, afin de préserver l’équilibre familial, notamment à l’égard des enfants, dit-on dans l’entourage de la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. On peut considérer que l’objectif est atteint.»
Moi je veux bien qu’on m’explique que désormais le divorce est un long fleuve tranquille, une fête même, mais dans la réalité cela ne se passe pas toujours aussi bien, loin s’en faut… 
D’ailleurs, si un mariage devait bien finir… il ne finirait pas.  

Si les chiffres avancés par le ministère donnent à se réjouir que les divorces amiables se développent, il ne faudrait pas oublier que 45 % des gens choisissent les autres types de divorce bien plus longs et conflictuels. 

Pour essayer de comprendre exactement ces chiffres, il me semble que le mieux est de présenter successivement (et aussi succinctement que possible) les quatre types de divorce qui existent actuellement en droit Français.


Le divorce par consentement mutuel
Celui-là même dont la chancellerie se félicite. 
Il s’agit d’un divorce « sur requête conjointe » ce qui signifie que les parties sollicitent le divorce par le même acte d’Avocat déposé au greffe du Juge aux Affaires Familiales. 
A cette requête, doit être jointe une convention signée par les deux époux, « portant règlement des effets du divorce« .
C’est elle qui explique la relative rapidité du divorce par consentement mutuel ; dans ce type de procédure, tous les problèmes potentiels ont été aplanis en amont de sorte que le rôle du juge se confine à contrôler la réalité de l’accord des parties et la légalité de l’accord qui lui est soumis. 
Au contraire des autres cas de divorce, celui-ci permet surtout d’éviter de longs mois d’attente devant le juge de la mise en état
Mais pour choisir un tel fondement, encore faut il être d’accord sur tout… 

Le divorce par acceptation du principe de la rupture du mariage 
Il s’agit d’un divorce « demandé par l’un et accepté par l’autre« , « sans énonciation des griefs »
Ainsi que le précise le dernier alinéa de l’article 233 du code civil « cette acceptation n’est pas susceptible de rétractation« .

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal
Celui-ci a été crée par la loi de 2004.
Il permet à un époux, lorsque son conjoint refuse le principe de la rupture sur le fondement précédent, de passer outre ce refus dès lors que « le lien conjugual est définitivement altéré »
Selon l’article 238 du code civil :
L’altération définitive du lien conjugal résulte de la cessation de la communauté de vie entre les époux, lorsqu’ils vivent séparés depuis deux ans lors de l’assignation en divorce.
Autant dire que cet article se présent comme un vaste fourre-tout…

Le divorce pour faute
C’est lui probablement la grande victime de la loi de 2004. 
Ce cas de divorce, prévu par l’article 242 du code civil ne peut plus utilement être demandé que dans des cas extrêmement graves (violences conjugales, abandon de famille…)
faute de démontrer qu’ils rentrent dans un tel cas les plaideurs seront invités à « mieux se pourvoir », c’est à dire à choisir un divorce plus consensuel. 

En somme se réjouir comme le fait la chancellerie de l’augmentation du nombre de divorces par consentement mutuel c’est un peu s’extasier qu’un nouveau jour se lève. 
En effet la loi de 2004 fonctionne à peu près comme un entonnoir des lors qu’il rend le divorce pour faute exceptionnel. 

Il s’en évince qu’en cas de désaccord grave et persistant les parties choisiront  bon gré mal gré  un divorce « pour altération définitive du lien conjugal » ou un divorce « demandé par l’un et accepté par l’autre ».
Dans cette hypothèse, des divorce théoriquement consensuels virent bien souvent au conflit ouvert sans que cela apparaisse dans la procédure elle-même.
Par contrecoup les avantages du divorce par consentement mutuel n’en apparaissent que plus flagrants, plus rapide, bien moins couteux (un avocat pour deux) ce qui incite d’autant les plaideurs à le choisir.
Pour autant, il est fréquent de voir éclater des conflits (au sujet des droits de visite et d’hébergement souvent) peu de temps après le divorce.
Ce que les statistiques n’indiquent pas c’est combien de frais divorcés reviennent devant le juge après un divorce par consentement mutuel…

Alors oui, lorsque la chancellerie se congratule au sujet des avantages sociétaux d’une situation qui n’est en réalité qu’une pirouette procédurale…
Oui, ca m’agace.