Points de jonction

Points de jonction (32)

Le récit que m’avait fait Maximilien Huet de Francart me suffisait pour connaître et donc construire la trame générale du livre. J’ai choisi de consulter le fruit de mes recherches biographiques par ordre chronologique, en fonction des nécessités de l’avancement de l’histoire ; et ceci afin de ne pas briser mon enthousiasme en conservant une part constante mais contrôlée d’inconnu.
Les deux premières semaines furent peut être les plus riches en émotion de ma vie d’écrivain. J’étais partagé entre une passion soudaine pour cette histoire qui se formait peu à peu sous mes doigts et la crainte de retomber dans mes difficultés financières passées. Je sentais monter en moi la peur de voir mes problèmes et mes doutes ressurgir, mais je faisais en sorte de ne pas y penser. Seul mon roman devait compter, et je fis en sorte de ne penser qu’à lui.
Je composai mon livre comme une mélodie. Loin de diviser mon histoire en chapitres véritables je faisais en sorte d’imposer un rythme à même de faire vivre à mon lecteur les émotions successives de la vie de Giacomo, un rythme dans lequel chaque fin de page était un silence, chaque paragraphe était un souffle. La force de cette technique, était de briser la mécanique froide des faits pour tenter de comprendre non seulement les successions de causes qui avaient fait sa vie, mais également la vérité de l’homme qu’il avait été.
Mon récit avançait vite et bien. Je travaillais près de dix heures par jour, et je ne m’en cachait pas. La disparition de Mawximilien Huet de Francart m’avait mis face à mes responsabilités, à tel point que j’ai fini par tout avouer à Sophie. Je lui ai parlé des rendez-vous quotidiens, de l’histoire de Nicolas, de mes mensonges, mais également de l’histoire de Giacomo. Ce fut un moment extrêmement difficile. L’ampleur du mensonge était telle que j’ai sincèrement cru la perdre. Cependant, je lui devais la vérité. Sophie m’a écouté. Elle m’a pardonné.
C’est près d’un mois après la disparition de mon employeur que le premier chèque est arrivé. C’était un chèque émis par une banque d’un paradis fiscal situé à l’autre bout du monde, la « cayman trust LTD » et dont le montant correspondait parfaitement au salaire mensuel promis par Maximilien Huet de Francart. Pour une raison qu’à ce moment je ne me figurais pas encore totalement, le vieil homme avait tenu parole ; mon incapacité à finir l’histoire de Nicolas ne remettait pas en cause nos engagements. Ce n’est que quelques jours plus tard que la vérité, enfin, m’est apparue clairement.
Points de jonction

Points de jonction (31)

Dès le troisième matin qui a suivi ma dernière rencontre avec Maximilien Huet de Francart, je me suis rendu aux archives de différentes bibliothèques, et j’ai commencé à rassembler différentes informations, principalement des coupures de presse, sur la vie de Giacomo Sarpetti. Comme je l’avais affirmé à l’ancien avocat, j’ai toujours considéré le roman comme la forme la plus aboutie de littérature. C’est donc à la manière d’un roman que j’ai construit ma narration. Le plan était en fait assez simple. Sur un ton poétique, j’ai mis au point un récit qui mêle soigneusement une biographie de Giacomo, ainsi qu’une vision romancée de certains passages des derniers mois de ma vie. Le narrateur est fortement inspiré de Maximilien Huet de Francart, mais se distingue cependant. Pour être honnête, je voulais apporter ma vision et mes émotions personnelles à la narration, et j’ai donc choisi de faire raconter l’histoire par un personnage à mi-chemin entre moi et mon ancien employeur. Ce procédé me permettait de montrer d’une manière élégante comment cette histoire avait fait irruption dans ma vie, dans mon histoire.
J’ai appelé ce roman Giacomo, simplement, et je dois avouer que c’est certainement ce que j’ai écrit de mieux.

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Poitns de jonction (30)

Je n’ai jamais revu Maximilien Huet de Francart.
Le lendemain, lorsque je me suis assis à ma table habituelle, j’ai allumé mon ordinateur et tenté de remettre de l’ordre dans mes idées. Il fallait que je sorte l’histoire de Nicolas de l’impasse dans laquelle je l’avais entraînée. J’avais besoin du salaire que me versait Maximilien Huet de Francart, et je tenais à le mériter. Mais plus que tout, J’avais terriblement besoin d’arriver à achever ce livre, pour encore un peu me sentir écrivain à part entière, plus important encore ; pour me sentir pleinement moi à nouveau.
Je suis resté à attendre la journée entière, mais personne n’est venu me rejoindre. Une part de mon contrat consistait à ne pas écrire une ligne sans mon employeur. J’ai donc passé la journée à rêver, à boire, et à laisser mon roman errer d’impasse en impasse.
J’ai passé deux jours ainsi à ne rien faire, puis je me suis remis au travail. Je n’avais qu’une option réellement sérieuse, une option si évidente que plus ou moins consciemment j’avais tout fait pour ne pas penser à elle.