La clé de l’abime est un roman éminemment désirable.
Une couverture jolie et mystérieuse à la fois, et le titre qui va avec.
Ceci, servi par Actes Sud, un éditeur qui a largement fait ses preuves en matière de littérature étrangère.
Alors forcément c’est de lui que je me suis d’abord emparé au retour de ma dernière rafle chez le libraire.
La trame :
La clé de l’abime c’est l’histoire de Daniel Kean, employé subalterne dans le grand train, chef d’œuvre technologique d’une société futuriste largement eugénique
Bien que confiné à un emploi qui le place tout en bas de l’échelle sociale Daniel Kean est heureux, simplement parce qu’il connait sa chance de vivre avec sa femme Bijou et Yun l’enfant qu’ils ont adopté.
Ce bonheur simple est rapidement chamboulé par l’arrivée de Klaus, un mystérieux terroriste armé d’une bombe ; prêt à faire sauter le grand train si Daniel refuse d’entendre la révélation qu’il tient à lui faire à l’oreille.
La chose aurait pu en rester là si Daniel n’avait vécu dans une société largement religieuse ou les croyants d’un ou plusieurs chapitres de la bible de l’amour et de l’art sont prêts à tout pour s’emparer de la révélation : le seul indice capable de la révéler le chemin de la clé de l’abime, un secret capable d’ébranler dieu même.
Armé d’une histoire solide est très finement construite le dernier Roman de Jose Carlos Somoza se présente comme un roman « concept » qui ne livre sa véritable clé, qu’à la toute dernière ligne.
Comme souvent, c’est à la fois sa force et sa limite.
L’idée maitresse du livre, celle d’un non-croyant amené à découvrir les uns après les autres les secrets de la bible qui tient lui de colonne vertébrale au monde dans lequel il vit est habile et originale mais limite forcément le propos.
Concentré vers ce seul but, Somoza évite soigneusement toute description détaillée de la société post-apocalyptique dans laquelle se déroule son histoire, et l’on se prend ca et là à ressentir un sentiment d’asepsie qui ne met pas toujours très à l’aise.
Le même constat s’impose en ce qui concerne les personnages nombreux, souvent fascinants et pleins de potentiel mais dont le fond semble quelque peu négligé par l’auteur.
En somme, voila un roman qui va diviser.
Ceux qui admirent la performance y verront un exercice de style littéraire réellement maitrisé.
Ceux qui s’attachent simplement à l’histoire seront peut être déçus pour les raisons évoquées plus haut mais aussi par la fin qui tient un peu de la blague entre initiés.
Quant à moi, je me sens schizophrène sur ce coup, alors je préfère vous laisser sur un extrait du livre :
Le Troisième Chapitre raconte la cérémonie fantasmatique pendant le Temps de l’Hiver, à laquelle participe le protagoniste, en compagnie d’un vieillard masqué aux mains gantées et d’un chœur de spectateurs, dans le village enneigée de ses ancêtres. Depuis des siècles, on sait que ce chapitre célèbre un peu plus que le Solstice. Plusieurs traditions l’ont compris comme le symbole de l’adolescence, et dans certaines cultures les enfants, en arrivant à la puberté, dansent en plein air devant leurs parents, ne portant que des gants et des masques, jusqu’à ce que la chaleur de leurs corps nus troue la neige. De la même façon, on rend visite à la maison familiale, on chante sur des rythmes sauvages, on adore des arbres et des colonnes, on descend dans des souterrains où l’on incinère les morts. Les experts du Troisième Chapitre admettent de nombreuses interprétations, mais ils coïncident pour affirmer que l’Auteur parlait lui aussi de la façon de dire au revoir aux êtres chers.