reverie

Dans le bus avec Hubert

rempart d’Avignon - porte Saint Lazare

Il y a quelque chose de profondément attachant chez ce chauffeur de bus.

Lorsqu’on prend les transports en commun on finit par connaitre de vue la plupart des conducteurs. Certains sont plus ou moins sympathiques,  d’autres disparaissent aussitôt de votre mémoire. Mais Hubert est vraiment différent des autres.

Certes, ils ont tous quelques chose de remarquable. Il y en a un qui déteste les usagers et ne vous parle jamais si ce n’est pour marquer son agacement. Un autre ressemble trait pour trait à George Takei, le Monsieur Sulu de Star Trek. Ça lui donne un air sympathique, qui n’a jamais été démenti par ses actes.

Mais, sans discussion possible, c’est Hubert le plus attachant.

La première chose qu’on remarque chez lui, c’est son sourire. Et rien que ça c’est étonnant. Parce qu’Hubert est vraiment gros. Il doit faire pas loin de 150 kilos. Ce n’est pas rien lorsqu’on doit passer sa journée derrière un volant qui n’est pas fait pour cela. Hubert porte son ventre comme d’autres portent un sac de courses, péniblement et parce qu’il le faut. Et dès qu’il en a l’occasion, il glisse un mot gentil aux passagers avec ce sourire qui est tout à lui.

Le danger cependant lorsqu’on a un pareil estomac, c’est qu’il peut finir par vous définir tout entier aux yeux des autres.

Parfois, Hubert se risque à parler aux passagers de sa passion de la cuisine. Lorsqu’il n’est pas à l’avant d’un bus, Hubert est chez lui derrière les fourneaux. Et son regard dérive lorsqu’il explique sa pâte à pizza de la veille ou l’odeur du gigot.

Lorsqu’Hubert parle de cuisine tandis qu’il conduit son autocar, les regards des passagers dérivent invariablement en direction de son ventre. Hubert fait semblant de s’en moquer. Et il a bien raison.
Au nom de quoi devrait-il se sentir coupable de son poids ?

Ce qu’on remarque ensuite chez Hubert, ce sont ses lunettes. Cette épaisse monture métallique aux formes démodées, c’est comme un curriculum vitae. Lorsqu’il vous regarde à travers, c’est comme s’il criait à la cantonade qu’il est un vieux garçon. Derrière ses lunettes, Hubert a cet air trop gentil qui pousse les enfants à s’en prendre à un camarade, à cet âge où la faiblesse et la solitude font de vous une cible instinctive dans une cour d’école.

Aujourd’hui pourtant, on ne se risque plus à l’ennuyer Hubert. Lorsqu’en grandissant vos mains approchent de  la taille d’une pelle de chantier, les gens deviennent tout de suite plus respectueux.

L’autre jour, il m’a dit qu’il avait rencontré « une petite » comme il dit. Elle est assistante dentaire. Il m’a dit cela comme si cela suffisait à la décrire toute entière. Il était pressé de rentrer et ses phrases se bousculaient  comme s’ils pouvaient l’aider à finir sa journée un peu plus vite.

Il en parlait avec cette impatience qui rend l’instant meilleur, et révisait mentalement les ingrédients des plats imaginés tout au long de la journée.

Sa pause de midi, Hubert l’avait passée à faire des courses, puis à préparer une tarte pour le dessert. Avec des fraises. Plein de fraises et du chocolat.

On s’est quittés là-dessus, tandis que j’approchais de mon arrêt.

Il avait l’air heureux, Hubert.

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