Il doit être 8h30 lorsqu’elle frappe à la porte, trois coups secs. Univoques.
Je chasse les fantômes qui peuplent le rêve qui ne s’est pas encore tout à fait dissipé et je me laisse tomber sur le côté alors que mon pied touche le froid des tommettes. J’entends grogner à ma gauche et les souvenirs reviennent, d’un coup, comme une gorgée qu’on aspire.
Dans l’ordre, la semaine passée au ski, le retour sur une autoroute interminable, les Foo Fighters à tue-tête dans les enceintes et des bagages jusque sur les genoux. Puis le retour en ville, sacs sur le dos et dans une main, une clé dans l’autre qui s’engouffre dans la serrure.
Sur le moment, je ne suis pas fâché de rentrer. En fait, j’éprouve le soulagement caractéristique de celui qui va retrouver le confort de sa routine. Si l’on part en vacance, c’est aussi pour avoir le plaisir de revenir.
Mais cette fois ça ne se passera pas de cette manière.
Le salon semble avoir été grignoté çà et là par des rongeurs mutants échappés d’un mauvais film. L’ombre qui emplit les alvéoles du meuble qui contenait la télévision est teintée par les marques droites et grises qui délimitent ce qui se trouvait là.
Un lecteur DVD et les films qui l’ont nourri, des années de musique et les enceintes qui l’ont jouée se sont évaporés. Quelques tiroirs ont été remués sans conviction. L’argenterie de ma grand-mère s’en est allée elle aussi. C’est une sensation un peu étrange que de l’imaginer partie avec ma Playstation.
Les sacs me tombent des bras.
Sylvain, qui pensait me déposer et filer aussitôt passe un coup de fil à sa copine pour la prévenir qu’il ne la rejoindra pas ce soir. Il va m’accompagner au commissariat le temps que je formalise une plainte et passer la nuit avec moi.
Je dois avoir la tête de quelqu’un qui n’a pas très envie de rester seul.
C’est de cette manière que je me retrouve couché à coté de Sylvain, un lundi matin de Février. J’ai la gorge encore emplie de relents de mauvaise bière tandis qu’un lieutenant de police frappe à ma porte.
A la réflexion, j’aurais mieux fait de rester sur les pistes.
La fliquette qui me fait face porte un blouson de cuir surmonté par de longs cheveux d’un blond presque blanc. Elle n’a pas encore passé la porte qu’elle semble déjà en avoir assez. Mais elle consent à me suivre dans le salon et déballe immédiatement le matériel nécessaire à un relevé d’empreintes papillaires.
Sylvain profite que je suis occupé ailleurs pour glisser la tête dans l’embrasure de la porte. Les mouvements conjugués de ses mains et de ses lèvres m’indiquent qu’il s’éclipse sans un bruit. Je ne vais pas lui en vouloir ; le lieutenant de police est là depuis cinq minutes seulement et moi qui suis pourtant le premier concerné j’ai également envie d’être ailleurs.
Elle me pose distraitement ces questions auxquelles j’ai déjà répondu la veille au soir. Si je réfléchissais un instant, je me dirais qu’elle me sonde, mais dans l’état où je me trouve j’ai seulement l’impression qu’elle n’a rien lu de mon dossier et qu’elle s’en fout pas mal de ma télévision et de mes centaines de CD.
Je vais devoir nettoyer mes meubles rapidement ponctués par les traces blanches de mains fantômes entremêlées. Elle me précise que ça ne donnera probablement rien, puisque les empreintes relevées sont pour l’essentiel inexploitables, et que le surplus a toutes les chances de m’appartenir.
J’ai envie de lui dire tout le bien que je pense de son optimisme.
Mais avant que le premier mot ne sorte de ma bouche elle me fait un clin d’œil et me glisse, d’une voix qui se veut complice, que dans ce genre d’affaire les empreintes ne donnent jamais rien. Elle me dit qu’elle a l’habitude des règlements de compte entre homosexuels. Et que ce n’est pas inhabituel que mon ex ait voulu récupérer ses affaires en mon absence.
Le pourpre me monte aux joues.
Je m’écrie que ce n’est pas ce qu’elle croit, et je lâche le mot avec une facilité qui me sidère à présent :
« Je ne suis pas un pédé ».
Je ne suis pas homophobe. C’est ce que je vous aurais dit cinq minutes plus tôt avec la conviction la plus sincère. Et voilà que, confronté à une méprise sans gravité au sujet de mes amours, les plus bas réflexes acquis dans les plus idiotes des cours d’écoles s’emparent de moi.
Des années de conditionnement qui me font répéter :
« Je ne suis pas un pédé »
Je me précipite vers ma table de nuit et j’en sors l’un de ces magazines dont la couverture affiche des ambitions démesurées au regard de ce qu’elle a réellement à offrir. Un exemplaire de FHM. Ou d’Entrevue peut être.
« Vous voyez bien, je ne suis pas un pédé. »
Mais par contre, je suis un vrai con parfois.
Elle est partie pas convaincue, un sourire satisfait sur les lèvres et mon affaire a été classée sans suite au bout de quelques mois, sur la foi d’un procès-verbal de police qui certifie en filigrane mon homosexualité patentée.
Parfois, une enquête, ça se joue à pas grand-chose.