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Polarisation des créateurs et internautes

Il y a quelques jours Le Monde publiait des extraits d’une lettre ouverte adressée par différents artistes à Martine Aubry au sujet du projet de loi relatif à la protection de la création sur internet, désormais fameuse sous le sobriquet « Hadopi ». 
Ils considèrent qu’en s’« opposant à ce que des règles s’imposent aux opérateurs télécommunications (comme vous les aviez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu’ils cessent de piller la création », le PS vient « de tourner le dos de manière fracassante » à ce qu’ils appellent leur « histoire commune », qu’ils caractérisent par « le refus d’un ordre purement marchand », « la protection du faible contre le fort. En particulier pour la culture. »
Je ne commenterais pas le détail de ces propos, puisque l’amie Lousia a dégotté chez Hervé Resse une exégèse sagace  qui mérite le détour

Pour tout dire, j’ai failli laisser un commentaire chez l’un ou l’autre, mais je crois utile d’apporter ma pierre à l’édifice car il me semble apercevoir dans cet épiphénomène le symptôme d’une tendance à la polarisation du débat qui mérite qu’on s’y arrête.

Oui. S’il est un domaine dans lequel nos gouvernants excellent c‘est la polarisation du débat
Fumeurs contre non fumeurs.
Public contre privé.
Grévistes contre usagers…


L’intérêt n’est pas tant de diviser mais de rendre toute contestation inaudible par l’illusion d’un consensus objectif.
Prenez ce projet de loi récent qui veut faire entrer l’inceste dans le code pénal,  il est incontestablement inutile et va compliquer sans raison le code pénal. 
Or  vous ne trouverez pas un seul député pour s’y opposer publiquement.
Dans l’état actuel du débat politique pas un député  ne prendra le risque de se voir objecter, qu’en s’opposant à se texte il se range du coté des délinquants sexuels, ce qui serait pourtant idiot dès lors que l’inceste n’a pas besoin de ce texte pour être pénalement sanctionné.

Le leitmotiv du gouvernement depuis son arrivée au pouvoir à été « La réforme ». et tous ceux qui s’y sont opposés se sont vus traiter tour à tour de corporatistes et de réactionnaires.   
Dans les faits, la plupart d’entre eux ne contestaient pas le principe de la réforme, mais bien ses modalités.
Mais peu importe, le temps d’un discours, puisque de Réforme il n’y en a qu’une possible…

A mon sens, la lettre de ces artistes est une illustration manifeste de cette polarisation. 

Pourtant contester la loi « pour la protection de la création sur internet » ce n’est pas nécessairement vouloir encourager le piratage.

Le problème est plus complexe et mérite qu’on l’aborde d’une manière plus intelligente.  

En se posant de vraies questions. 
  • Cette loi est elle adaptée au problème ?
De nombreux intervenants ont tenté de répondre à cette question, et la majorité d’entre eux s’accorde pour répondre par la négative. Les amoureux de la création tout autant que les partisans de la liberté.
  • Est elle suffisamment équilibrée ?
La réponse à cette question ressort des termes mêmes  de l’exposé des motifs de la loi :
C’est donc la persistance d’un piratage massif qui demeure aujourd’hui le principal obstacle à l’essor de la distribution légale de films, de programmes de télévision ou de musique en ligne et à la juste rémunération des créateurs et des industries culturelles.
Ça c’est la postulat de départ.
Je m’abstiens volontairement de glauser sur l’absence de démonstration d’un lien de causalité entre la baisse des ventes et le piratage ou sur la question de l’intérêt et la qualité des œuvres proposées ; cela a déja été fait en d’autre lieux.

D’autant que le plus croustillant arrive :

Pourtant, les sanctions de ce comportement existent, sur le fondement du délit de contrefaçon : jusqu’à 300 000 € d’amende et jusqu’à trois ans de prison.
On ne saurait donc prétendre, comme le fait la lettre publiée dans le Monde que les détracteurs du projet de loi « Hadopi »…
s’« opposent à ce que des règles s’imposent aux opérateurs télécommunications (comme vous les aviez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu’ils cessent de piller la création » [source]
… puisque précisément  ces règles existent.  
Seulement, d’après l’exposé des motifs  de la loi :
 elles apparaissent inadaptées, de même que la procédure judiciaire, au cas du piratage ordinaire. Celui-ci est commis sur une très grande échelle par plusieurs millions d’internautes, souvent inconscients du caractère répréhensible de leurs actes. Les ayants droit hésitent ainsi à emprunter la voie de droit qui leur est ouverte, qui pour cette raison n’est utilisée que très ponctuellement.
Je récapitule.
Le piratage est d’ores et déjà interdit. 
Un dispositif répressif existe. 
Mais il serait si compliqué que les victimes hésitent à l’employer


Je m’arrête un instant. 
Imaginons que je me fasse agresser dans la rue. 
Compte tenu de mes piètres talents dans le noble art de la bagarre il y a fort à parier que je me fasse rapidement dépouiller et réduire à l’état d’osselets. 
Pour moi la procédure ne sera pas trop compliquée. Il me parait d’ailleurs peu probable que j’hésite à l’utiliser…  
Mais je triche, je suis un professionnel du droit. 
Admettons donc qu’il y ait des catégories de victimes qui pourraient légitimement « hésiter » à employer les voies de droit qui sont ouvertes à chacun…
D’autant que la suite de l’exposé des motifs n’est pas moins savoureuse : 
Il n’en demeure pas moins que l’internaute pirate peut aujourd’hui se trouver traduit devant le tribunal correctionnel. Et de telles procédures auraient vocation à se multiplier si les créateurs et les entreprises qui les soutiennent devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l’enjeu et plus efficace – car praticable sur une grande échelle.

Une solution alternative à la fois mieux proportionnée à l’enjeu et plus efficace car praticable sur une grande échelle.

Amis créateurs tout est dit. 
La seule vocation de ce projet de loi est d’instaurer un système répressif d’exception qui échappe aux tribunaux classiques de manière à rendre toute contestation impossible. 
Erreur me direz vous. Le projet de loi permet un recours devant le tribunal administratif… 
Peut être, mais ce que les auteurs du projet ont oublié de vous dire c’est que : 
  • ce recours n’est pas suspensif 
  • il faut plusieurs années (deux à trois ans en moyenne à Marseille) pour obtenir une décision au fond devant le Tribunal Administratif.
J’ai donc exagéré. Le projet de loi permet la contestation, mais la rend simplement vaine
Sans rire, vous vous risqueriez à payer un avocat plusieurs milliers d’euros pour obtenir une décision qui constate votre bon droit après que vous ayez purgé la peine ? 
Amis créateurs, vous êtes artistes vous avez de l’audace.  
Admettez que l’on puisse s’opposer à une loi nuisible sans pour autant souhaiter tout à la fois votre ruine et l’insouciance aux pirates. 

C’est aussi cela votre travail d’artiste ; voir la richesse et la subtilité du monde. 
Laissez les idéologies dichotomiques aux politiques.
Vous dites être restés de gauche.
C’est bien… 
Quant à moi j’essaie de rester un peu artiste.

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