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Ces expulsions qui cristallisent la crise

J’aime répéter à mes proches que j’ai la chance d’être –à l’instant- relativement protégé des effets de la crise. 
26 ans, un emploi stable, des revenus certes moyens, mais des charges raisonnables et pas le moindre crédit en cours.
Pas eu le temps et les moyens d’investir que ce soit dans l’immobilier où en bourse.
Voilà autant de raisons pour lesquelles je n’ai pas directement perdu un centime depuis l’aube de la crise. 

Pourtant, je ressens quotidiennement les effets de la crise dans ma vie professionnelle. 
Ne vous affolez pas. La réputation du cabinet d’avocats au sein duquel je travaille comme son profil de clientèle l’ont à ce jour tenu à l’écart des ennuis. 
En réalité face à la crise le volume de mon travail n’a pas réduit : il a muté. 
Alors que les clients « particuliers » se font plus rares, plus pressés, plus exigeants aussi les dossiers de saisie immobilière nous arrivent dans des proportions inédites.
Il y a de tout dans ces dossiers complexes, chrono-phages et jamais neutres d’un point de vue humain.

J’y découvre des escrocs démasqués, des spéculateurs malheureux, des gens de bonne foi pris à la gorge aussi.  
Mais le trait commun à la plupart d’entre-eux est qu’ils n’arrivent plus à régler le crédit de l’immeuble qu’ils ont acquis.

A présent que la trêve hivernale vient de s’achever, je ne peux m’empêcher de penser que la situation va encore monter d’un cran. 
Je ne suis pas le seul d’ailleurs à en juger par les réactions contradictoires que suscite la récente annonce de la ministre du logement Christine Boutin. 
La mesure semblait pourtant consensuelle et légitime :

«Un préfet ne mettra plus à exécution un jugement d’expulsion sans proposer un relogement ou un hébergement pour les locataires dans l’impossibilité de payer leur loyer», précise la ministre. Elle s’apprête à le clamer haut et fort aux préfets ce jeudi, lors d’un déplacement à Châlons-en-Champagne. Selon le ministère, la mesure vaut aussi bien pour les locataires dits de «bonne foi» que de «mauvaise foi», ceux qui ont les moyens de payer leur logement mais ne le font pas. [source]

Libérer les locaux pas le biais d’une expulsion lorsque les loyers ne sont pas réglés : bien sûr. Mais rien ne peut justifier de mettre en connaissance de cause un individu à la rue. C’est tout simplement inacceptable humainement. A l’heure du droit au logement opposable (et bien que cette mesure soit très insatisfaisante) il n’est pas illégitime d’en tirer les conséquences et de prévenir les contentieux en amont en imposant une obligation de reloger le locataire. 



Mais s’il est un domaine au sein duquel se cristallisent les effets de la crise c’est bien le logement. De sorte que déjà les critiques fusent.
D’un coté ceux qu’on attendait ; ces associations à qui on ne la fait plus, qui rencontrent chaque jour des locataires dont la situation était déjà précaire avant la crise et qui n’arrivent plus à garder la tête hors de l’eau.
Ceux-là sont résolument convaincus que les moyens n’y seront pas, et particulièrement agacés par ce nouvel effet d’annonce.
De l’autre des propriétaires qui ont acheté au plus haut, emprunté  en conséquence et peinent à recouvrer les loyers qui leurs sont nécessaires pour ne pas sombrer eux-même sous le poids de leur dette. 
C’est avec une véritable fureur qu’ils accueillent cette mesure qui leur apparait  à la fois comme un déni de leurs problèmes et une prime aux tricheurs.

Ils sont nombreux, si l’on se fie aux commentaires suscités par l’annonce de Christine Boutin dans l’article du Figaro qui y fait référence. 

Morceaux choisis et non « retouchés » : 

  • Bravo, plus d’expulsion pour ceux qui ne payent pas les loyers et ensuite plus de propriétaires qui mettent leur bien en location, s’ils n’ont pas de quoi reloger. Vous aurez bonne mine Mme. De plus vous encourgez les locataires à ne pas payer leur loyer. (jean)
  • Enfin une EXCELLENTE mesure, je sais maintenant que si je paie plus mon loyer je ne pourrais plus être expulsé, alors ça s’arrose je vais au Shopi du coin pour acheter de la gnôle et arroser ça, mon proprio se fera indemniser par l’assistante sociale du quartier. (Victor) 
  • comment peut elle dire une chose pareille, Nous sommes propriétaire privé d’un logement que nous louons depuis 2005 à des gens sans scrupule. Tous les mois, nous devions allez les voir pour se faire régler le loyer mais depuis +d’ 1 an, ils ne payent plus rien. comprenez  » ils sont malades !!! » nous dit-elle. Tout le monde sait que qd on est malade on n’a plus besoin de payer son loyer !!!! Bref Que devons nous faire face à des gens aussi mal honnetes, qui manipule les autres. Même les politiques les défendent. le loyer est de 470 euros. Devons nous tous faire du social !! (chris)


Notez que leur grogne n’est pas raisonnablement défendable. L’idée de Christine Boutin n’étant pas à terme d’empêcher les expulsions mais de bien de reloger tout le monde.

Mais un sentiment n’a pas à être raisonnable.

Pour consternants que soient ces commentaires ils traduisent une détresse réelle.
Celle d’ex-classes moyennes qui se sentent pousser peu à peu dans les rangs des précaires et désignent de supposés fainéants qui seraient la cause principale de leurs maux. 
Car une fois de plus lorsque les choses vont mal, le bouc émissaire est plus qu’un principe d’explication : il est une cause patente…

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