Les mouvements sociaux sont par nature protéiformes. Celui qui occupe les esprits, les rues, les quais de gare et les colonnes de la presse aujourd’hui ne fait pas exception à la règle.
Pourtant, à bien regarder cet évènement est d’une nature assez singulière.
La « une » qu’affiche aujourd’hui le site de la CGT est d’ailleurs une illustration vibrante de ce phénomène :
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Les déclarations de son leader, Bernard Thibaut, ce matin sont plus ou moins dans le même ton :
Les grèves et manifestations de jeudi visent notamment à amener le gouvernement et les entreprises à « réévaluer » la part consacrée aux revenus du travail par rapport à ceux du capital, a affirmé jeudi sur RTL le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault.« Si l’on veut « refonder le capitalisme » -ce n’est pas une formule de la CGT, c’est une formule du chef de l’Etat- il faut aussi accepter progressivement de ne plus raisonner avec les mêmes paramètres », a-t-il déclaré. [source]
Il ne s’agit pas à proprement parler de revendications au sens classique du terme. Les manifestants ne réclament pas de nouveaux droits, ou un mesure précise comme par exemple une hausse de deux points du SMIC.
Il ne s’agit pas non plus vraiment d’une opposition politique à une mesure comme pouvait l’être le mouvement d’opposition au CPE.
Non, il me semble cette fois que le mouvement social est d ‘une nature bien plus symbolique et irrationnelle.
je ne suis pas le seul à le penser d’ailleurs, Dans un entretien accordé au journal le Monde le sociologue Denis Muzet analyse le phénomène d’une manière qui me semble pertinente et affirme que :
Les syndicats remplissent bien leur fonction de catharsis, d’exaltation du sentiment de révolte. [source]
J’avais déjà parlé de Catharsis au sujet d’un précédent mouvement social, je crois cette fois qu’il s’agit du cœur de celui-ci.
Les grévistes demandent confusément à vivre mieux, à refonder le capitalisme, à bénéficier d’un meilleur pouvoir d’achat, des revendications quelque peu irrationnelles auquel l’État pourra difficilement répondre faute de baguette magique.
Pourtant, c’est probablement cette nature irrationnelle qui explique le succès du mouvement d’aujourd’hui.
Les 69% de francais qui se déclaraient hier favorables à la grève sont l’illustration de cette spécificité de même que le million de manifestants qui se trouverait dans la rue alors que j’écris ces lignes.
Les 69% de francais qui se déclaraient hier favorables à la grève sont l’illustration de cette spécificité de même que le million de manifestants qui se trouverait dans la rue alors que j’écris ces lignes.
Ce mouvement n’a rien d’une revendication corporatiste, il dépasse le clivage entre public et privé, il fédère sur le sentiment du « mal-vivre » très largement partagé.
Or ce sentiment sera bien difficile de le calmer.
Le chef de l’État et le gouvernement l’ont d’ailleurs bien compris comme en témoigne leur attitude des derniers jours ;
ll faut s’arrêter quelques instants sur les confidences distillées par Nicolas Sarkozy depuis que la crise s’est abattue sur le pays. Le président de la République affirme qu’il veut poursuivre les réformes, mais il confesse aussi que « la France n’est pas le pays le plus simple à gouverner du monde ». Il rappelle que « les Français ont guillotiné le roi », qu’« au nom d’une mesure symbolique, ils peuvent renverser le pays ». Il parle de la France comme d’un « pays régicide ». [source]
Il est décidément déjà loin, ce jour de juillet 2008 où Niciolas Sarkozy déclarait « quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit » et quelque six mois plus tard, c’est l’attitude inverse qui prévaut.
Prudent, le gouvernement a choisi de calmer le jeu. La grève et le principe de la manifestation ne sont plus mis en cause. « On n’insulte pas le crocodile avant de traverser la rivière », explique Brice Hortefeux. [source]
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Je crois que ce type d’attitude est de loin le plus sage.
Car, n’en déplaise à Jacques Marseille qui appelait dans le Point il y a quelques jours à cesser de comparer la crise actuelle à celle de 1929 il n’est pas à exclure qu’un phénomène analogue à celui qui l’a suivie se fasse jour dans les mois à venir.
Le schéma d’alors était celui d’une crise financière, à l’origine d’une crise économique, débouchant sur une crise sociale, elle même suivie de crises politiques de triste mémoire.
Or force est de constater que la crise politique est à ce jour la seule de la liste à n’avoir pas encore tout à fait éclaté.
Alors que partout en Europe, de la Lettonie à la Grèce des manifestations de grande ampleur se font jour, il serait quelque peu léger de sous estimer cette hypothèse catastrophe :
L’exemple de l’Islande est révélateur des tensions en Europe à la suite de la crise économique. Le premier ministre islandais Geir Haarde a été obligé de démissionner, lundi 26 janvier. La chute de son gouvernement a en effet été précipitée par des semaines de manifestations à Reykjavík et des portraits à l’effigie du Premier ministre ont même été brulés devant le Parlement.[source]
Le comportement de notre exécutif dans les tous prochains jours risque donc d’être déterminant.
De son choix de jouer l’apaisement ou de continuer les réformes selon la méthode brutale qui a été la sienne jusqu’à présent peut dépendre le sort des prochaines années.
Et pourtant, dans ce contexte de crise globalisée la situation lui échappe déjà quelque peu.
De son choix de jouer l’apaisement ou de continuer les réformes selon la méthode brutale qui a été la sienne jusqu’à présent peut dépendre le sort des prochaines années.
Et pourtant, dans ce contexte de crise globalisée la situation lui échappe déjà quelque peu.