Billets, coup de gueule

Tapie : renonciations petites et grandes

Je lisais à l’instant un billet de Vincent Beaufils le directeur de la rédaction du magazine Challenges écrit il y a une quinzaine de jours dons lequel il se déclare révolté que l’État se porte une nouvelle fois au secours de Bernard Tapie.
A vrai dire je partage son sentiment.  Peu m’importe l’homme d’affaires Tapie, ce qui me révulse c’est l’attitude complaisante de l’État à son égard et plus particulièrement la manière dont la justice -celle qui est rendue « au nom du peuple Français- a été écartée afin d’obtenir un résultat autrement impossible à obtenir.
Non je n’exagère pas, j’énonce des faits, ceux qui étaient notamment relatés par le JDD le 11.07 dernier :

« Le Tribunal arbitral a estimé que deux fautes avaient été commises par les filiales du Lyonnais: « d’une part, un manquement à l’obligation de loyauté incombant au mandataire, en n’informant pas suffisamment le mandant, d’autre part, une violation de l’interdiction, pour la banque mandataire, de se porter contrepartie en achetant, directement ou indirectement, le bien qu’elle est chargée de vendre ». Et a donc fixé à 240 millions d’euros le manque à gagner pour le groupe Bernard Tapie, et à 45 millions d’euros le préjudice moral. »

Arrêtons nous là un instant… 
Le tribunal arbitral a estimé le préjudice moral 45 Millions du groupe Bernard Tapie à 45 millions d’euros. 
Question ; comment un juge évalue t’il un préjudice moral ?
On dit que cette question relève de « l’interprétation souveraine du juge du fond », ce qui signifie que le juge est libre d’adapter la somme qu’il accorde au circonstances de fait. 
En pratique, s’il n’y a pas de barème, les magistrats ont des habitudes de sorte que la très sérieuse Gazette du Palais édite chaque année un document intitulé « éléments de détermination de l’indemnisation des préjudices corporels et moraux » pour chaque Cour d’Appel (puisque leurs habitudes varient sensiblement). 
Le plus récent en ma possession, qui concerne la Cour d’Appel d’Aix en Provence, généralement considérée comme l’une des plus « généreuses » précise par exemple que le préjudice moral subi par l’un des partents consécutivement au décès d’un enfant qui vivait au foyer est généralement indemnisé par une somme allant de 16.100 à 24.500 euros. (Pour un autre exemple d’indemnisation voir par exemple : Cour d’Appel d’Orléans, civ. 1° 31.03.2008)
Je résume. 
Devant un tribunal le préjudice moral résultant de la mort d’un enfant vaut environ 20.000 euros. 
Devant un tribunal arbitral le préjudice moral d’une société spoliée d’une somme d’argent vaut 45.000.000 d’euros. 
Avouez que dans ces conditions le recours à l’arbitrage revêt un aspect assez interpelant…
Deux évènements dans l’actualité de ces dernières vingt quatre heures pourraient cependant modifier quelque peu le paysage de cette affaire. 

« Tandis que la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, a «assumé» mardi, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, le recours à l’arbitrage dans l’affaire Adidas, la somme finale pouvant revenir à l’homme d’affaires se précise. Dans une lettre adressée au Consortium de réalisation (CDR), dont le Figaro a pris connaissance , Bernard Tapie et les liquidateurs de son groupe ont en effet révisé à la baisse leurs prétentions.
La date de ce courrier ne doit rien au hasard. Il a été envoyé le 28 juillet dernier, quelques heures seulement avant que Christine Lagarde annonce qu’elle ne formulerait pas de recours face à la sentence arbitrale. »

Avouez que cela a de quoi laisser rêveur…

Second évènement, qui celui-là pourrait avoir des conséquences autrement plus importantes ;

« Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, a annoncé ce matin  que les députés PS allaient déposer dans la journée « un recours devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir » à l’encontre de la ministre de l’Economie Christine Lagarde dans l’affaire Tapie contre Crédit Lyonnais. (source Nouvel Obs)« 
Une fois n’est pas coutume, l’article de Wikipédia sur le recours en excès de pouvoir est plutôt bien fait d’un point de vue juridique. Si vous n’avez pas le temps de le lire, comprenez que l’enjeu de cette nouvelle procédure n’est pas de tenter d’obtenir l’annulation de la sentence arbitrale (ce qui n’est plus possible à ce jour) mais d’obtenir l’annulation de l’acte administratif émanant du Ministre de l’économie qui a autorisé le recours à un tribunal arbitral. 

Affaire à suivre donc. Mais pas tout de suite.
La justice Administrative n’est guère connue pour sa célérité.

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