Le jugement avait été si rapide qu’aucun des compagnons n’avait eu réellement le temps de réaliser ce qui venait de se passer. Nicolas avait cru entendre prononcer l’expression « jour de la justice renaissante », mais n’avait pas bien saisi quel pouvait en être le sens.
Les gardes les avaient ensuite ramenés à leur cellule. Dès lors les trois habitants d’Utopia s’étaient jetés à terre sans un mot, comme sous le coup d’une douleur invincible. Saisi de fureur, Yolas frappait sans relâche contre les grilles et les murs comme pour tenter de les briser. En dépit de la violence de ses assauts, la résistance des parois de la cellule -solidement conçues pour retenir les plus fortes des créatures- restait invincible.
Quelques minutes passèrent puis Nicolas se risqua à demander.
-Je ne suis pas sûr d’avoir compris… Qu’est-ce qui va nous arriver ?
Alors, Kardoum se remit sur ses jambes, doucement, et lui expliqua. Il lui expliqua tout, car tout devait être expliqué. Seul un habitant d’Utopia, seul une personne qui connaissait réellement l’histoire et les mœurs de cette ville pouvait pleinement réaliser la portée de ce qui venait de leur arriver. Nicolas apprit ainsi que plusieurs centaines de cyclis plus tôt, le grand père du grand père du grand père du Krontir actuel (ou quelque chose qui devait plus ou moins ressembler à ça ; Nicolas n’était pas très sur d’avoir bien suivi.) avait décidé de fonder une ville idéale, dans laquelle les méfaits et les violences du monde ne pourraient avoir cours. Ce grand monarque fut à la fois le fondateur d’Utopia et le premier à gouverner la cité. Malheureusement, le premier Krontir dut rapidement se rendre compte de la difficulté de son projet. Il avait invité tous les gens qui en avaient manifesté le désir à devenir les premiers colons. Nombre d’habitants de la grande forêt avaient manifesté un vif enthousiasme et s’étaient donc rendus sur les lieux où la ville devait être édifiée. Des conflits avaient alors éclaté. Ceux qui étaient arrivés les premiers avaient jeté leur dévolu sur les plus belles parcelles et comptaient dès lors les accaparer. Des vols se produisaient la nuit, dès bagarres éclataient souvent pour des raisons futiles. Le krontir n’eut d’autre choix que d’y mettre bon ordre. Il engagea des soldats et menaça toute personne qui causerait de nouveaux troubles d’une exclusion définitive de la cité. En dépit des menaces du Krontir, de nouveaux incidents eurent lieu. Le monarque dut se rendre à l’évidence, le mal se trouvait chez tous les êtres pensants. Certains arrivaient certes à le contrôler, mais tôt ou tard, il risquait de faire à nouveau surface. Dans un premier temps, le krontir fut prit d’un intense désespoir, son rêve d’une cité au sein de laquelle chacun pourrait vivre heureux et en paix semblait irrémédiablement compromis. Pourtant, le krontir était si attaché à son rêve que même devant l’impossibilité, apparente de mener son projet à terme, il ne renonça pas. Le monarque mit donc au point un système afin de tenter, sinon de détruire le mal, au moins d’en limiter les effets, et pourquoi pas de retourner ses effets à l’avantage de sa cité ? C’est ainsi que le Krontir instaura le jour de la justice renaissante. Chaque année, durant une journée, il organiserait l’exercice des pulsions violentes de ses sujets. L’idée était simple, toute personne qui dans l’enceinte de la ville serait prise en train de commettre un méfait quelconque serait punie à l’occasion du jour du renouveau de la justice. En ce jour, tous les habitants se verraient conférer le droit d’administrer les pires sanctions à celui qui leur serait ainsi livré. D’une manière systématique, le jour s’achevait par la mort du condamné. La sanction était certes terrible, mais elle avait le double avantage d’inspirer une crainte véritable à tous ceux qui pourraient être tentés de commettre un méfait, et d’offrir un bouc émissaire aux vertus cathartiques certaines à l’ensemble de la population. Le jour de la renaissance de la justice était célébré depuis des siècles, et selon les habitants d’Utopia, la paix de la ville valait bien un jour de barbarie.
L’enfant eut un mouvement de recul, il resta un instant figé, puis trouva la force de dire ;
-Alors c’est ça ? Ce gros plein de graisse veut nous livrer la foule pour qu’on nous tue ? Et c’est sensé être quand l e jour de la justice machin ?
Kardoum baissa les yeux tristement, et répondit :
-La date change tous les ans, suivants les occasions. Cette année, le Krontir a décidé qu’elle aurait lieu demain, ils n’ont pas très envie de nous garder en cellule…