Nicolas et Kardoum marchaient lentement à travers les rues chargées de monde. Kardoum avait décidé de prendre un raccourci qui devait les mener plus rapidement à la place des pastels, la place principale d’Utopia, qui s’étendait en plein cœur de la ville tout en haut du mélangeoir. Nicolas se risqua à demander si cela ne leur permettrait pas de se rapprocher de la tour. Le petit être (qui s’avéra, après qu’on lui eut posé la question être un représentant du peuple des Kkobbels) lui répondit que certes, ils s’approcheraient de la tour, mais qu’il n’était pas encore question d’espérer y entrer. La tour était gardée nuit et jour, et personne ne pouvait y accéder sans une autorisation expresse. Comme pour le consoler de cette nouvelle déception, Kardoum parla à l’enfant du marché auquel ils se rendaient. Les différents quartiers d’Utopia organisaient chaque jour un marché différent, mais d’entre tous, le marché de la place des pastels était le plus beau. Il n’avait lieu qu’une fois par mois, et réunissait les meilleurs artisans, les plus doués des représentants de chaque quartier de la ville. Par chance, il avait lieu en ce jour, et Nicolas pourrait y assister.
Après quelques minutes de marche, la place des pastels et ses trésors innombrables se révélèrent aux yeux du petit garçon. Des étalages innombrables s’étendaient et semblaient complètement recouvrir cette place aux proportions pourtant démesurées. Partout, des marchands haranguaient les passants et leur vantaient les mérites de leurs produits. En cela, ce marché ne différait pas vraiment de ceux auxquels Nicolas avait pu se rendre. Cependant, le marché de la place des Pastels était réellement singulier. Kardoum n’avait pas menti, il s’agissait d’un endroit exceptionnel. Tout d’abord par sa taille, le marché de la place des pastels se distinguait. Il semblait que l’on put y rester plusieurs jours sans pour autant se rendre compte de la totalité des choses incroyables dont il recelait. Mais au delà de toutes ces merveilles, un détail retint entre tous l’attention de Nicolas.
Chaque marchand avait disposé un petit panier dans lequel les clients versaient directement le prix de leurs achats, sans jamais avoir recours à une caisse telle que l’enfant la connaissait. Les diverses transactions avaient lieu ici dans la confiance la plus totale, sans aucun contrôle du marchand.
Nicolas s’en étonna au point qu’il interrogea Kardoum à ce sujet, lui disant en riant que ce marché devait être un vrai paradis pour les voleurs. Le Kkobbel s’en trouva très vexé, voire blessé. La seule idée qu’un vol ou un délit quelconque puisse être commis à Utopia lui semblait aussi impossible qu’insultante.
Nicolas était désolé d’avoir vexé son compagnon. Il commençait à réellement trouver très sympathique cette ville au sein de laquelle toutes les espèces semblaient cohabiter en harmonie, et dans laquelle les crimes semblaient inimaginables.
Kardoum semblait connaître tous les marchands, Nicolas se souvint qu’il avait jusqu’à récemment été le fournisseur officiel de la tour. Il avait dû en ce temps être un personnage important, et particulièrement apprécié des marchands de la place des pastels.
Le Kkobbel venait juste d’acquérir deux énormes fruits dont la forme évoquait vaguement des pastèques lorsque Yolas surgit sur la place, immédiatement suivi de Nolwa et Chliié. Le draco faisait de grands gestes et semblait passablement énervé. Il s’était en fait beaucoup inquiété à son réveil de ne pas trouver le petit garçon et s’était précipité à sa recherche lorsqu’il avait appris son départ avec le patron du Pilon Doré.
Lorsque Nolwa arriva à la hauteur de Nicolas, une main se posa fermement sur son épaule. Un individu à la musculature importante se dressait derrière elle.
-Dis moi beauté, j’arrive à peine en ville tu pourrais m’indiquer un endroit où l’on pourrait passer du temps tous les deux ?
La jeune fille n’avait pas l’habitude de ce genre de comportements de la part des clients du Pilon Doré, l’homme était visiblement un étranger. Jamais un Habitant d’Utopia ne se serait comporté de la sorte.
Yolas fut vif comme seule sa constitution de Draco permettait de l’être. Il bondit sur l’étranger et le plaqua au sol dans une sorte de rugissement terrifiant qui fit cesser d’un coup presque tous les bruits sur la place. Kardoum et les deux jeunes filles semblaient eux aussi terrifiés. Nicolas s’en étonna, après tout, la victoire de Yolas ne souffrait aucun doute. Un comparse de l’étranger surgit soudain de la foule. Il tenait dans sa main une arme dotée d’une lame à la fois courte, fine et recourbée. Nicolas eut un frisson à l’idée de ce poignard en train de se planter dans le corps de son ami. Mais avec une vivacité prodigieuse, Yolas fit littéralement sauter l’arme de la main de l’assaillant, avant de le maintenir lui aussi à terre aux cotés de son camarade.
La foule formait désormais un cercle autour du petit groupe. Kardoum et les deux employées du Pilon Doré semblait un peu plus terrifiées à chaque nouveau geste de Yolas. Ils semblaient craindre un péril à la fois imminent et inéluctable.
Il ne se fit pas attendre très longtemps et se matérialisa en les personnes d’une vingtaine de gardes de la tour, lourdement armés. L’un d’entre eux portait un casque plus richement orné que celui des autres et semblait être leur chef. Il notifia immédiatement aux cinq compagnons leur mise aux arrêts. Nicolas fit mine de protester, mais Nolwa, qui semblait avoir une grande influence sur lui, l’arrêta d’un regard. Yolas quant à lui semblait prêt à bondir sur les gardes d’un instant à l’autre, comme il venait de le faire avec les deux étrangers, mais il se dit qu’il en avait déjà assez fait. De plus, le combat semblait par trop déséquilibré.
Les cinq amis se laissèrent ainsi mettre en état d’arrestation, immédiatement suivis par les deux étrangers. Les sept prisonniers se mirent donc en route sous la direction des gardes de la tour. En chemin, Nicolas demanda à l’un des gardes qui semblait l’avoir pris en pitié :
-Vous savez ce qu’on va faire de nous ?
Le garde avait pour instruction de ne pas communiquer avec les prisonniers si cela n’était pas nécessaire. Aussi, il prit soin de ne pas se faire voir lorsqu’il répondit :
-nous vous emmenons voir le Krontir pour y être jugés.
-Le quoi ?
-Apprends que le Krontir gouverne Utopia. Tout ici lui appartient.
-Tout ? Même la tour ?
-Mais enfin le Krontir réside au sommet de la tour ! C’est de là qu’il gouverne sa cité !
Nicolas se sentit mieux à cette idée. Leur mésaventure leur permettrait de pénétrer jusqu’au sommet de la tour. Contre toute attente, leur arrestation leur permettrait d’atteindre leur but. A cette idée, toutes les craintes de l’enfant disparurent, les jugements du roi d’une cité dans laquelle les méfaits sont inconnus ne pouvaient pas être bien méchants. Et après tout, ils n’avaient rien fait de mal.