Il est mince et porte un turban élégamment noué autour de la tète.
Il porte une barbe courte, précisément taillée qui de ce fait ne dissimule presque rien des traits arides, sculptés par le temps, de celui qui me regarde à peine comme figé dans une noblesse à moi inaccessible.
C’est vers son fils que je me tourne lui qui m’a déjà, dans un regard que j’ai depuis longtemps appris à identifier, signifié la nécessite de s’adresser directement à lui.
D’après les indications portées sur mon carnet de rendez-vous il s’appelle…
Non, c’est vrai, ça je n’ai pas le droit de vous l’écrire.
Alors je vais l’appeler H ne serait-ce que parce que ce procédé est plus simple dès lors que je vous écris quelques mots à son sujet.
L’histoire de H, a commencé au moment même où finissait celle de la guerre d’Algérie, par un événement brutal qui a conditionné tout le reste jusqu’au moment présent.
H était alors un soldat, un soldat français, c’est à dire pas vraiment dans le camp des gagnants.
Lors de la retraite des troupes française il est monté dans un camion avec les autres, comme on suit un ordre.
Sauf que son lieutenant lui en avait reçu d’autres des ordres, dont celui de faire en sorte qu’H et les autres algériens d’origine n’arrivent pas jusqu’au port.
Alors H a obéi une fois de plus lorsqu’on l’a fait descendre du camion avant de le laisser sur un bord de route.
Son fils m’a décrit ce qui lui est arrivé ensuite, mais je ne suis pas tout à fait certain de vouloir vous retranscrire ce récit où il était question de coups, de jambes amputées, de condamnation et de travaux forcés.
J’ai sous les yeux l’extrait des services qu’H a récemment pu obtenir du ministère francais de la défense outre une « carte du combattant ».
Il mentionne sobrement que celui-ci a été « libéré et renvoyé dans ses foyers en permission » puis « rayé des contrôles » le lendemain.
Elle est étrange cette syntaxe militaire qui confond, cynique, abandon et libération.
H n’est rentré en France qu’en 2006, ou ses enfants l’attendaient déjà.
Il souhaite à présent récupérer son dû et obtenir la réintégration dans la nationalité française.
Il s’agit d’une procédure spécifique qui permet à un étranger qui a possédé la nationalité française de la retrouver pour l’avenir.
Seulement la loi prévoit deux modes de réintégration dans la nationalité francaise :
- la reintégration par déclaration (de la comptétence du tribunal d’instance)
- la reintégration par decret (demande à déposer en préfecture)
Lorsque l’interressé remplit les conditions légales, la réintégration par déclaration est de droit.
L’administration n’a pas de pouvoir discrétionnaire.
A l’inverse, même si les conditions légales sont remplies l’administration peut refuser discrétionnairement de faire droit à la demande.
C’est ce dernier type de demande qu’H doit à présent déposer.
Lors d’un passage en préfecture le fonctionnaire de l’accueil a refusé de lui donner un formulaire de demande de réintégration sous le prétexte que sa demande était vouée à l’échec puisqu’il ne parle pas français, puisqu’il n’est pas suffisamment « intégré ».
Il s’agit pourtant d’un document accessible à tous que vous pouvez par exemple vous procurer via ce lien.
J’ai expliqué au fils comment déposer lui-même une demande ; ce qu’il a fait aujourd’hui même. .
Mon intervention ne sert à rien encore à ce stade.
Il m’a promis cependant de me tenir informé en cas d’échec ou de succès.
J’ai peur hélas que sa demande finisse aux oubliettes en ces temps où l’intégration à la communauté nationale est un thème si en vogue pour ceux qui nous gouvernent.
Je suis ému à présent, d’une manière bien difficile à exprimer.
Et j’ai la chance de savoir avec une infinie certitude que l’on peut être Francias dans son cœur. parler arabe, porter un turban et avoir vécu l’essentiel de sa vie hors de France.
Si H m’a convaincu sans peine, j’espère qu’il en fera autant face à chacun de ces hommes et de ces femmes qu’il ne manquera pas de rencontrer sur sa route.