à vif, navigation, reverie

La lente lassitude de l’artilleur

Les métiers sont comme les glaciers. De l’extérieur on n’en voit que la couche qui les recouvre sans pouvoir accéder ni à leurs contours réels, ni a la matière dont ils sont faits.

Aussi, je n’avais pas conscience de tout ce qui allait suivre lorsque je me suis engagé sur ce navire.

Chacun de mes premiers jours de moussaillon a été enivrant. J’avais rêvé de la mer, du vent sur mon visage, mais rien n’aurait pu me préparer aux sensations exactes, au goût de sel sur mes lèvres,  à l’odeur de ma peau transformée par la mer.

J’étais très peu payé. Mes journées commençaient souvent avant le soleil et finissaient bien après lui mais cela valait la peine au regard des certitudes que m’offrait le navire. Le pont sous mes pieds, le gouvernail et le ronflement constant du moteur. Il y a du pouvoir dans un navire et cela me rassurait à une époque où j’en avais besoin.

Alors j’ai dit oui à tout. J’ai laissé à peu près toutes mes possession à terre. J’ai accepté de briquer le pont, de tenir la barre et de faire la cuisine. Je prenais plaisir à visiter la salle des machines et à me salir les mains. Aucune tache n’était indigne tant qu’elle servait le navire.

Lorsque j’avais un moment de libre, je le passais dans la salle radio où je parlais avec d’autres navires ou des inconnus restes sur la terre ferme. Je me suis fait des amis par radio et lors de mes rares permissions à terre, les rencontrer a été un plaisir indicible.

Je me souviens sans peine du jour où je suis devenu artilleur. Le capitaine avait l’air heureux et un peu embêté à la fois. Voilà dix ans que l’état major promettait un nouveau canon pour remplacer celui qui prenait la rouille à l’avant du navire. La livraison prochaine de son remplaçant aurait dû être une bonne nouvelle. Seulement personne ne savait se servir de ce modèle plus moderne et de conception très différente de son prédécesseur. Puisque je n’avais jamais refusé la moindre corvée je n’ai pas compris tout d’abord qu’accepter celle-là allait radicalement changer mon rôle a bord.

Continuer la lecture…

Avignon 11 Janvier 2015
à vif, Billets

Jour d’espoir

Durant cinq jours, le massacre des gens de Charlie Hebdo et ses suites m’ont fait l’effet d’une balle tirée dans un bidon de Kérosène.
Une fusillade monstrueuse, deux prises d’otages et tant de morts.

Les oiseaux de mauvaise augure se frottaient les mains.
Dans ce pays où l’on prend encore plus de plaisir à s’engueuler qu’à manger du fromage, on se laisse souvent aller à écouter ceux qui nous prédisent la guerre civile depuis bientôt cinquante ans.
On se lamente tandis qu’on donne invariablement la parole à ceux qui prophétisent le déclin de la France, voire même sa « soumission ».
On se délecte de la voix de ceux qui font commerce des faits divers les plus atroces et l’on assène que « ce pays est foutu ».

Mais aujourd’hui, les marchands de haine n’ont réuni qu’un millier de personnes à Beaucaire alors que des millions de Français manifestaient pour dire leur attachement à l’idéal de notre pays.

Continuer la lecture…

à vif, et moi

Aux amis des jeunes parents

Il y a ceux qui postent des photos de leur bébé quotidiennement sur les réseaux sociaux.
Et ceux qui cessent soudain de répondre au téléphone une fois parents.

On vous dira que ça n’a rien contre vous. Que c’est somme toute normal et que désormais ils préfèrent voir d’autre couples avec enfants.

Même si ce n’est pas bien convainquant.

Quand parfois ils vous invitent à déjeuner ils prennent une mine soulagée lorsqu’enfin leurs enfants quittent la table en courant pour aller jouer un peu plus loin.

Et vous expliquent qu’ils apprécient d’avoir un peu de calme tandis qu’ils préparent le café.

Puis la tasse à la main, ils vous racontent le si beau match de foot du grand ou la gaffe rigolote du dernier.

Vous hochez la tête machinalement, et prenez l’air intéressé.

De toute façon, ils ne savent plus manier d’autre sujet de conversation.

Parfois, vous profitez de l’occasion pour leur proposer d’aller voir un film au cinéma.

Pas ce soir évidemment ; l’imprévu est un luxe que les jeunes parents ne peuvent plus se permettre.

Échaudé, vous proposez donc d’aller voir ce film qui sort dans une quinzaine de jours. Celui dont vous avez parlé une demi-heure plus tôt tandis que le petit refusait de manger ses spaghettis.

Bêtement vous attendez une réponse simple.

Vous seriez même prêt à vous contenter d’une réponse négative comme « je ne suis pas libre ce soir là, mais peut-être un autre soir ».

Mais ça n’arrivera pas.

Continuer la lecture…