reverie

3 secondes et puis le gris

Ils sont côte à côte dans l’escalator et déjà on ne voit qu’eux.

Il y a une file bien rangée, immobile et toute à sa place. La ligne correctement tracée que forment tous ces habitués alors qu’ils descendent, résignés. Docilement rangés bien à droite. Parce que c’est ainsi, parce que l’usage le dicte.

Et il y a ces deux jeunes hommes que le fait de n’être pas conforme indiffère.

Je suis en montée et ils sont en descente. Le plus proche de moi porte un chapeau et c’est ce qui attire mon regard. Parce qu’un chapeau me coiffe également. J’aime les chapeaux.

Mais ce chapeau-là n’a rien à voir avec le mien. Son cuir est fatigué. C’est un chapeau qui a connu la rue.

Le visage de l’homme au chapeau est un mélange de jeunesse et d’usure. Sa morphologie est celle d’un jeune homme. Pas plus de trente ans. Mais les marques d’érosion qui labourent ses joues donnent à penser qu’il a vécu par avance. Comme à crédit.

Celui qui se trouve à sa gauche est tout l’inverse. Il a le visage de l’adolescence tardive. Sa tête est couverte, mais différemment de son voisin. Il porte une casquette, dont la visière dépasse, presque cachée sous la capuche d’un sweat épais et gris. Ses joues polies ressortent à peine, et elles sont grises aussi.

Tout ressemble au ciel aujourd’hui.

Le plus âgé a le ton d’un professeur lorsque l’escalator les porte à ma hauteur.

Il lui intime de ne pas rester assis. Parce que si tu restes assis sans rien faire les gens passent et ne te donnent rien. Et qu’à vingt heures tu sera encore là, assis sans rien.

Je regarde l’autre qui acquiesce en silence tandis que je me dis qu’il est trop jeune pour avoir cette conversation.

Aussitôt je regrette. Il n’y a pas d’âge pour avoir cette conversation.

Ca ne dure que trois secondes. Oliver Twist se rejoue tout entier dans mon imagination qui dérive. Comme elle dérive toujours un peu.

Et l’escalator me porte jusqu’à l’étage, où je reprends ma route. Et un piano joue, ainsi que cela se fait dans les gares.

Ma route continue.

La vie aussi.

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