Billets

La neutralité est une hypocrisie

Le monde publie aujourd’hui un article au sujet du Washington Post
Comme souvent, l’information principale est contenue dans le titre « Présidentielle : le Washington Post » soutient Barack Obama ».
Plus précisément, on y apprend que le célèbre quotidien étasunien (oui j’emploie ce mot parfois)  a publié ce matin un éditorial dans lequel il assure le candidat Obama de son soutien.
A titre personnel je me garderais bien de prendre position dans la campagne américaine ne serait-ce que parce que l’attitude de girouette qui été celle de Barack Obama sur de nombreux sujets m’a presque autant agacé que les positions de Mac Cain que j’exècre dans leur grande majorité.
Ce qui m’intéresse plus particulièrement dans cette information c’est la simplicité avec laquelle un quotidien d’envergure peut prendre parti aux états-unis alors que telle attitude serait négativement perçue en France.
On pourrait bien sûr m’objecter que les positions du Figaro, de l’Humanité ou celles de Marianne n’ont rien d’un mystère.
Mais leur méthode n’a rien à voir. Il s’agit d’une orientation de ces journaux en termes de ligne éditoriale pas d’un soutien franc et direct à un parti ou un candidat en particulier. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un événement exceptionnel puisque le Washington Post avait déjà pris position de cette manière plusieurs fois dans son histoire.


Plus près de nous, Alain Duhamel est le dernier journaliste – à ma connaissance – qui ait affiché ès qualité clairement et en public sa préférence pour un candidat à l’élection présidentielle. Les foudres de ses employeurs  avaient alors tonné ; l’épisode médiatisé de  sa suspension est encore  très frais dans les mémoires. 


Ce qui semble normal d’un coté de l’Atlantique est apparemment une faute grave de celui-ci.
Pourtant l’exemple du Washington Post est autrement plus marquant puisque c’est un organe de Presse dans son ensemble qui est concerné par l’éditorial publié ce matin et pas simplement la parole singulière d’un journaliste. 



La chose semble décidément impossible chez nous, d’autant plus impossible en l’état de ces rumeurs de collusions et autre copinages qui frappent régulièrement certains médias qui s’empressent d’ailleurs de les démentir.
TF1 et Europe 1 notamment, à qui la rumeur populaire prêtent régulièrement des amitiés étroites avec l’Élysée dépensent un énergie considérable à les démentir.


Pourtant à la réflexion ne serait-il pas plus sain que l’opinion intime des journalistes soit révélée au grand jour ?


Je suis conscient que l’idée puisse paraitre scandaleuse, ne serait-ce que parce que ce qu’on attend d’un  journaliste ce sont des faits, de l’analyse mais en aucun cas une vision partiale.


Je crois cependant que l’opinion n’est pas nécessairement un frein à l’objectivité. Tous les journalistes ont une opinion en tant qu’individu et cette opinion a – indépendamment de toute corruption et de tout c »opinage »- une influence sur leur perception du réel.
De même qu’un scientifique présente son protocole expérimental il me parait légitime qu’un journaliste ait la possibilité de rendre publique une sensibilité dès lors qu’elle fait partie de sa vision du monde et qu’elle ne nuit pas à son objectivité.


La neutralité telle qu’elle est imposée est une hypocrisie dont nous avons tous conscience et qui alimente les suspicions.
Comment d’ailleurs peut on prétendre imposer l’hypocrisie d’une feinte neutralité au journaliste et lui demander dans le même temps la Vérité ?


Voilà une position qui me semble quelque peu difficile à tenir.
Billets, info

Travailler plus pour se voir moins

Visiblement bien décidé à devenir le Milton Friedman du XXI° siècle Xavier Bertrand s’est vanté ce dimanche d’apporter une nouvelle liberté aux francais, celle de travailler le dimanche. [source]
Accompagné de Luc Chatel le secrétaire d’Etat à la consommation il est notamment venu défendre sa volonté « d’assouplir la loi » d’ici la fin de la l’année dans un centre commercial du val de marne. [source]   
Il s’agirait de donner la possibilité aux salariés de travailler le dimanche sur la base du  volontariat, en étant toutefois rémunérés le double


Présentée de cette manière, cette idée serait apparemment alléchante à en croire  l’un des articles évoqués supra : 

Selon un sondage Ifop Publicis Consultants publié par le JDD et réalisé les 22 et 23 septembre, 67% des Français accepteraient de travailler le dimanche, qui est payé davantage qu’en semaine, si leur employeur le leur proposait. Ils étaient 59% à donner la même réponse en décembre 2007, dans un précédent sondage.

Je l’écris sans ambages, ces chiffres me paraissent inquiétants, d’autant plus inquiétants que l’acquiescement à cette mesure repose sur un double mensonge.
 

Il est mensonger tout d’abord de prétendre qu’il puisse généralement s’opérer une négociation susceptible de déboucher sur un volontariat dès lorsque le contrat de travail est juridiquement un lien de subordination sur lequel vient la plupart du temps se greffer dans la pratique une situation de dépendance économique. 


Il est tout aussi mensonger d’évoquer « l’absurdité » de la réglementation actuelle » en parlant du repos dominical.
Je concois tout à fait qu’un nombre certain d’exploitants individuels souhaitent ouvrir leur échoppe le dimanche dans l’espoir d’améliorer leur ordinaire. Je saisis tout autant la frustration que ceux-ci peuvent ressentir en étant ainsi restreints dans leur liberté. Mais je crois cependant qu’il est des intérêts bien plus grands que cette simple liberté.
Or c’est précisément dans le déni de cet intérêt supérieur que réside le second mensonge.


Car si la notion de repos hebdomadaire transcende les cultures et les générations ce n’est pas par hasard.  Le week-end n’est pas simplement le moment paresseux auquel rêvent bien des salariés durant leur semaine de travail.
Du repos Dominical au Shabbat chaque culture a su menager un mompent de repos commun afin que les amis puissent se retrouver, afin que les familles puissent passer du temps ensemble.


L’idée peut prêter à sourire j’en suis conscient, mais elle mérite qu’on s’y attarde.
Car la question d’un « temps de repos commun » est essentielle dès lors qu’il s’agit de penser la société que l’on souhaite construire.


Nos gouvernants, qui à ce titre sont chargés de piloter cette construction, nous proposent donc une fois de plus de « travailler plus pour gagner plus« . Ils omettent cependant de préciser qu’il s’agit aussi de travailler plus et se voir moins.
Je ne peux qu’espérer que les français ne se laisseront pas prendre une seconde fois dans cette erreur. 

Billets, info, nos droits

La faute inexcusable du Crédit Agricole.

Il est intéressant cet article du Parisien paru hier que ceux qui suivent mon Twitter on peut être déjà aperçu et qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’a rien à voir avec la crise financière. 
Intéressant, mais pas très clair, d’autant que le journaliste semble avoir survolé son sujet et du coup n’avoir pas très bien compris l’affaire.
Pour ces deux raisons il ne me semble pas inutile d’apporter en quelques mots un certain nombre d’éclairages. 

Que nous apprend le dit article tout d’abord ? 
Extraits : 

« Braquage et prise d’otages. Les employés de l’agence du Crédit agricole d’Excideuil (Dordogne) se souviendront longtemps de ce 7 avril 2004. Deux braqueurs pénètrent dans les locaux avec une clé, prennent en otages les dix employés puis disparaissent avec 132 000 €. Premier problème : la clé utilisée par les malfrats avait été dérobée trois semaines avant le braquage. Deuxième problème : la direction régionale de la banque, au courant de ce vol, n’avait pas changé les serrures ni informé le personnel, qui demande des explications. »

(…) « MISE EN CAUSE par des salariés après un braquage et condamnée en 2007 par la justice pour « faute inexcusable », une caisse du Crédit agricole a vu confirmer ce jugement par la Cour de cassation le 2 octobre. »

En ce qui concerne les faits une précision s’impose, puisque l’action en recherche de faute inexcusable de l’employeur, prévue par les articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale est ouverte exclusivement aux victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à leurs ayant-droit.
Cela signifie donc nécessairement :
  • qu’un  salarié du crédit agricole a malheureusement été blessé à l’occasion du braquage (ce que confirme un second article trouvé chez France 3)
  • que lui-même où l’un de ses proches a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (seul compétent pour connaitre d’une telle action) d’une action en « reconnaissance de faute inexcusable ».
Derrière le terme un peu spectaculaire de « faute inexcusable de l’employeur » se trouve un principe juridique dont la définition actuelle réside dans des arrêts (une quinzaine tous plus ou moins identiques) rendus le 21.02.2002 par la chambre sociale de la cour de cassation à l’occasion du scandale de l’amiante

Il s’agissait alors de trouver un mécanisme susceptible de permettre l’indemnisation des victimes de maladies professionnelles causées par une exposition prolongée à de l’amiante  en dehors de tout comportement « actif » de l’employeur. 
En cette occasion la cour de cassation a dégagé un principe qui n’a plus varié depuis et considéré : 
« qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu, envers celui-ci, d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » [source]
En résumé, depuis cette date en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail commet une « faute inexcusable » tout employeur dès lors : 

  • qu’il pouvait avoir conscience du danger
  • qu’il n’a pas pris les mesures qui auraient pu protéger le salarié
C’est précisément cette définition que l’on retrouve dans l’arrêt de la cour d’appel de bordeaux rendu le 14.06.2007 que vient de confirmer la cour de cassation :
« Il apparaît à l’évidence que le Crédit agricole (…) n’a pris aucune précaution pour assurer la sécurité de ses employés alors qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel ils étaient exposés. Ce faisant, il a commis une faute inexcusable. »
Là où l’affaire devient intéressante c’est qu’elle semble étendre la notion de faute ienxcusable à un cas inédit : celui des violences perpétrées par un tiers ! 

Malgré toutes mes recherches je n’ai malheureusement pu me procurer cet arrêt qui n’est pas encore publié. (Si par le plus grand des hasards… les commentaires sont ouverts)
Si ce que je pressent se confirme à la lecture de l’arrêt, ce sont les chefs d’entreprise qui vont à voir du souci à se faire… 
Oui. J’ai failli oublier…
En cas de faute inexcusable si l’entreprise n’est pas en état d’indemniser la victime l’employeur est responsable sur ses biens personnels… Gasp !