Dimanche je suis allé voir Marc Jolivet qui jouait pas loin.
La fin du spectacle était à la fois drôle et émouvante. C’est la marque de fabrique du bonhomme.
J’ai été moins convaincu par la séquence d’actualité en qui a ouvert la représentation.
Ce n’est pas facile de dire et des choses à la fois drôle et pertinente ces derniers jours.
Dans une France où il est acquis qu’on peut mourir pour une caricature, Jolivet trouvait qu’on ne peut plus rire de tout un tas de choses sans risquer de vexer l’une ou l’autre minorité.
Mouais.
Perché sur l’un des derniers rangs je regardais les têtes blanches et grisonnantes qui peuplaient le public et je me disais qu’avant de se plaindre que tout le monde de vexe on pourrait essayer de faire en sorte de créer les conditions pour que chacun se sente le bienvenu.
Je pensais à cela lorsque j’ai appris sans surprise l’ouverture d’une enquête pour provocation à la haine ouverte contre Philippe Tesson à la suite ses propos récent sur les musulmans qui selon lui « amènent la merde » et sont selon lui à l’origine du « problème de l’atteinte à la laïcité ».
La prétention selon laquelle les musulmans amèneraient « la merde » ne me parait pas digne d’être débattues en ce qu’elle relève d’une provocation évidente qui justifie parfaitement les poursuites judiciaires exercées à l’encontre de M. Tesson.
Le délit qui lui est reproché est la provocation publique à la haine ou à la violence nationale, raciale ou religieuse, prévu par les articles art. 24 alinéas 6 et 7 de la loi du la loi du 29.07.1881).
Ce texte punit
– « Ceux qui, par [tous moyens de communication destines au public] auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
En l’occurrence, l’appel à la haine à l’égard d’un groupe de personnes a raison de leur religion me paraît correspondre parfaitement à cette définition.
Selon moi, les propos de M. Tesson s’agissant de « la merde » et des supposées « atteintes a la laïcité » pourraient également être poursuivis sur le fondement de la diffamation raciale publique prévue par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29.07.1881.
En effet ; la diffamation est caractérisée par :
» Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. » (art. 29 al. 1)
Étant précisé que :
« La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée est punie d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. » (art. 32 al. 2)
Pour mémoire, c’est texte avait motivé les poursuites contre Eric Zemmour qui avaient donné lieu à jugement du tribunal correctionnel de Paris le 18 février 2011.
Condamné du chef de provocation à la discrimination pour ses propos selon lesquels les employeurs « ont le droit » de refuser des arabes ou des noirs, Eric Zemmour avait été relaxé par le même jugement du chef de diffamation raciale publique pour les propos suivants :
« Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait ».
A l’époque, le tribunal avait estimé que le passage litigieux concernant les trafiquants n’avait pas de caractère diffamatoire car Eric Zemmour, dans ses propos,
« n’affirme ni ne sous-entend l’existence d’un lien de causalité avéré ou possible entre l’origine ou la couleur de peau et une surreprésentativité prétendue parmi les trafiquants ».
Si l’on reprend cette motivation et qu’on l’applique aux propos de Philippe Tesson, il apparait que celui-ci pourrait parfaitement être condamné pour diffamation.
En effet, celui-ci affirme l’existence d’un lien de causalité avéré ou possible entre la croyance en la religion musulmane et le fait « d’amener la merde » ou de commettre des atteintes à la laïcité.
Lorsqu’il avait condamné Éric Zemmour pour provocation à la discrimination, le Tribunal avait relevé que celui-ci avait :
« dépassé les limites autorisées du droit à la liberté d’expression (qu’il) est un professionnel des médias et de l’expression… (et qu’il) revendique la maîtrise des mots et de leur portée ».
Là encore, cette motivation pourrait s’appliquer à l’identique dans l’affaire qui vise Philippe Tesson.
Au-delà de l’aspect judiciaire du débat, il me parait périlleux d’affirmer que ce seraient les musulmans qui seraient seuls responsables d’atteintes à la laïcité.
Initialement, la laïcité, c’est un principe fixé par la loi du du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’état.
L’article 1 de ce texte prévoit que :
» La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
C’est dire que la laïcité a été initialement conçue pour assurer une neutralité de l’état par rapport aux cultes.
Elle ne prétendait certainement pas à assurer la neutralité religieuse des citoyens entre eux dans l’espace public.
C’est la loi du 15 mars 2004 qui a décidé « en application du principe de laïcité » d’encadrer le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées qui a commencé à encadrer les manifestations religieuses des citoyens entre eux.
Dans un certain sens ce ne sont donc pas simplement les atteintes à laïcité qui se multiplient, c’est le champ de la laïcité qui s’est élargi au fur et à mesure que la tolérance de la société française à l’égard des religions se réduit.
Il a peut être raison Marc Jolivet.
Il y a des choses qu’on ne peut plus faire.