On va l‘appeler Murat.
Et dire qu’il est né au milieu des années 1980 à Mostar en Bosnie d’une mère espagnole et d’un père Rom originaire de Serbie.
A l’époque, la Bosnie fait encore partie de la Yougoslavie et les choses ne vont pas si mal son père est ferrailleur et peut gagner sa vie et nourrir sa famille ; c’est-à-dire son épouse et ses deux enfants.
Car Murat a eu une grande sœur, même s’il n’aime pas trop en parler.
La guerre de Bosnie, entre 1992 et 1995, va tout changer
Dès le printemps de 1992, les Roms sont victimes de massacres par les troupes tchetniks à Prijedor, Kozarac, Hambarine, Tukovi, Rizvanovici, Vlasenica, Zvornik, etc…
Lorsque la guerre éclate, Murat a six ans. Ses parents se résignent à fuir la région de Konjic, où ils résident, à raison des bombardements.
Ils décident de s’installer près de Split en Croatie, une région où ils pensent échapper à la violence et être plus facilement acceptés car la population Rom y est plus nombreuse.
Mais c’est dans un camp de la FORPRONU que s’achève le voyage, Murat et sa famille y resteront en compagnie de nombreux Roms chassés de Sarajevo ou de Tuzla par les combats.
Impossible de rentrer dans leur maison de Konjic : le quartier rom a été intégralement rasé par les bombardements.
Il faut dire qu’à raison de sa localisation, la région de Konjic présente un intérêt stratégique majeur durant le siège de Sarajevo.
En 1994, les affrontements se poursuivent dans la province de Konjic et la famille de Murat décide de fuir en direction de l’Allemagne, qui accueille à cette période environ 350.000 roms qui fuient la guerre.
Murat et sa famille sont autorisés à rester en Allemagne durant la guerre, et y demeureront jusqu’à leur expulsion, en 1998.
Comment rentrer en Bosnie où plus rien ne les attend ? Murat et ses parents arrivent en France et forment une demande d’asile.
Murat, qui est à présent âgé d’une douzaine d’années est scolarisé en France durant deux ans Il se rend au collège et apprend le Français.
Mais en 2001, la famille est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français,
La grande sœur de Murat, qui a deux ans de plus, ne supporte pas l’idée de quitter son école et ses amis pour rentrer en Bosnie. Elle fugue.
Expulsés, Murat et ses parents sont contraints de partir sans elle. Douze ans après, ils en sont sans nouvelles…
De retour en Bosnie, la famille se présente au service d’accueil pour les migrants et les déplacés de guerre.
« L’accueil » y est singulièrement froid.
Cette situation a un impact qui dépasse largement la sphère du pouvoir. Faute de toute possibilité d’être représentée par ses dirigeants, la population Rom de Bosnie est discriminée en matière d’accès au logement, à l’éducation, aux services de santé et à l’emploi.
Sans ressources, la famille s’installe dans la région de Mostar où faute de mieux, elle construit un abri fait de matériaux de récupération à proximité d’une décharge. Sans eau ni électricité, Murat et ses parents puisent leur eau directement dans la rivière proche et subsistent grâce à la récupération des déchets.
Adolescent, Murat fouille les poubelles et met ce qu’il y trouve dans une poussette qu’il a récupéré.
Les injures et les violences à l’égard de la famille se multiplient, à raison de son appartenance Rom et de sa condition sociale.
Une nuit, des individus s’introduisent de force dans la cabane. Murat est violemment battu tandis que sa mère est violée sous ses yeux.
Lorsque la police refuse d’enregistrer sa plainte, le père de Murat décide qu’il n’y a pas d’autre choix que de quitter à nouveau la Bosnie, où la vie devient chaque jour plus dangereuse.
En 2007, il repart donc en France, seul dans premier temps afin de tenter de préparer la venue de toute la famille.
Mal présentée, mal préparée, mal documentée, sa demande d’asile est rejetée, de sorte qu’il est contraint de rentrer en Bosnie.
Pendant son absence, la situation continue de se dégrader. Les violences verbales et physiques continuent tant à l’égard de Murat que de sa mère, qui est agressée sexuellement. Une fois de plus.
Entre 2007 et 2010 la cabane où vit la famille est incendiée pas moins de sept fois.
Après plusieurs tentatives infructueuses, Murat et sa famille reviennent en France au début de l’année 2012.
Durant plusieurs mois ils vivent dans un campement illicite aux abords d’une route. Puis ils ont la chance d’être accueillis par un particulier qui ne voit pas d’inconvénient à les laisser camper sur son terrain durant quelques mois.
Murat, son père et sa mère ont déposé une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué.
Mais dans l’attente, la situation s’arrange.
Avec beaucoup d’aide, Murat et son père ont tous deux obtenus l’autorisation de travailler en France.
Tous les roms n’ont pas cette chance…
Un contrat de travail en poche, Murat vient de signer un bail. Il passera l’hiver avec un toit sur la tête pour la première fois depuis des années.
Ils seraient environ 20.000 roms actuellement en France, et leur parcours ressemble souvent à celui de Murat.
Vingt mille seulement et pourtant ces jours-ci toute la classe politique parle d’eux.
Parce qu’en France aujourd’hui ça ne gène plus grand monde de montrer du doigt une population à raison de son appartenance vraie ou supposée à une ethnie.
Même un Ministre de l’intérieur de gauche n’hésite pas à affirmer que «Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation» et que seule une minorité d’entre eux à vocation à s’intégrer.
Les Roms ont ils envie de s’intégrer ? Se rendent-il compte à quel point cette question est indécente ?
Murat est des années lumières de ce genre de débat. Rien ne l’attend dans son pays si ce n’est la violence et la misère.
Si s’intégrer consiste à travailler, faire vivre sa famille, avoir des amis et être heureux, alors oui Murat veut s’intégrer.
Que voudriez-vous à sa place ?
Bien entendu que les roms ont vocation à s’intégrer.
D’autant qu’ils sont citoyens Européens.
Dans une résolution, l’Union européenne a invité ses États membres à adopter des stratégies nationales visant à améliorer la situation économique et sociale des Roms d’ici à 2020.
Selon une recommandation de la commission européenne, les États membres devaient proposer avant fin 2011 des stratégies d’intégration, ou ensembles de mesures politiques, afin d’améliorer l’accès des populations roms:
- à l’éducation, pour que chaque enfant achève au moins sa scolarité primaire;
- à l’emploi, aux soins de santé, au logement et aux services de base (notamment aux réseaux publics d’eau, de gaz et d’électricité), afin de réduire les écarts existants avec le reste de la population.
Mieux, cette recommandation invitait les états à solliciter des financements européens à ce sujet.
Ce n’est donc même pas vraiment un problème d’argent.
Si le problème ne réside pas dans les moyens, c’est donc une question de volonté politique…
Bien sûr, j’ai du romancer l’histoire de Murat pour qu’elle ait sa place ici.
Car je n’ai pas le droit de le trainer de force dans ce débat.
Mais je n’y ai rien ajouté. Souvent il faut lisser un peu la réalité pour qu’elle soit crédible.
A l’heure où chacun ressent soudain l’envie de parler des roms à leur place, j’ai égoïstement besoin d’entendre leur voix en contrepoint au brahaha ambiant.