Billets, societé

Christophe Barbier travaille trop

Égoïstement je me fichais un peu des interdictions en tous genres qui sévissent depuis quelques années « dans notre intérêt »
Il faut vous dire d’abord que je ne fume pas et aussi que je n’ai pas de permis de conduire, alors jusqu’ici je pouvais me contenter de regarder les autres se rendre à pied au restaurant avant d’en ressortir aussitôt pour aller fumer.
Et, puisque je suis plutôt méchant de nature, je le faisais en souriant.
Mais ca y est, j’apprends à présent qu’après Américan Airlines et Ryanair l’année dernière, c’est au tour d’Air France de facturer systématiquement de facturer deux sièges aux obèses… « pour raison de sécurité ».
Bien sûr… 
On me l’avais répété pourtant qu’il ne fallait plus manger « trop gras trop sucré ou trop salé » mais, comme vous je suppose, je n’avais pas écouté. 
Méchant et indiscipliné, je sais, ca partait assez mal.
Puis j’ai écouté l’édito de Christophe Barbier, qui considère qu’Air France à raison dans une vidéo qui m’a tellement agacé… qu’elle m’en a donné faim.

« Il faut distinguer dans notre vie collective ceux qui sont cent pour cent victimes d’un handicap et ceux qui peuvent avoir une part de responsabilité. »
« Il y a des obèses qui le sont à leur corps défendant c’est génétique, c’est une maladie, ils ne peuvent pas faire autrement. Et puis il y a ceux qui payent le prix en étant obèses de comportement alimentaires dérégulés, d’un manque de volonté,  d’un manque de violence qu’on se fait à soi même pour que son corps ne crée pas des problèmes à la collectivité ».

Voilà mot pour mot ce que nous dit Christophe Barbier avant de s’interroger sur la possibilité de distinguer « l’obésité subie de l’obésité dont on est responsable » dans une rhétorique à la sonorité présidentielle qui va jusqu’à lui emprunter ses lourdes allusions au  principe de responsabilité. 
Or, quant j’écoute ca, j’ai du mal à croire que ce sont les mots du directeur de la rédaction de l’Express ce magazine d’information de référence, un homme à ce titre appelé à offrir des grilles de lectures cohérentes à ceux qui le lisent ou l’écoutent. 
Puisqu’entre ses fonctions à LCI ses éditos vidéo et les nombreuses émissions politiques auquel il ne cesse de participer j’ai  depuis quelques temps l’impression de voir la « marque » Christophe Barbier du soir au matin je ne peux que supposer que l’homme Christophe Barbier est surmené. 
Car à bien l’écouter, ce n’est pas une mais au moins deux erreurs de raisonnement qui ponctuent son discours.
La première d’entre elles réside bien sûr dans un mépris des faits dont il propose une lecture. 
En effet, dans le cadre de la modification de ses conditions de vente Air France ne propose pas de distinguer entre les obèses mais bien d’appliquer sa mesure de manière générale.   
Comment pourrait-elle d’ailleurs faire autrement ? 
Dans ces conditions, déclarer qu’une mesure générale qui touche aussi bien les « victimes » que les supposés « responsables » est une bonne chose me parait plutôt… périlleux.
Mais il y a pire. 
Car en vérité, l’obèse auquel fait référence Christophe barbier, celui qui fait ne se fait pas suffisamment « violence » est un homme qui n’existe pas. 
En s’appuyant sur le concept – certes à la mode- selon lequel un homme serait absolument responsable de ses actes dès lors qu’il n’est pas malade ou génétiquement déterminé il semble partir du principe que cet homme  serait une ile.

Cet homme absolument responsable de ses décisions, c’est un homme conçu hors-sol, un individu élevé dans une brique de lait « à l’abri de l’air et de la lumière », en somme un individu parfaitement heureux. 
Je ne souhaite à Christophe Barbier rien de moins qu’un bonheur éternel et absolu, bien que je ne sois pas convaincu que ce concept soit aisément conciliable avec l’humanité d’une vie. 
Car à mon sens, il est nécessairement absurde de vouloir considérer que l’obésité puisse être appréciée à l’exclusion de tout déterminisme externe, 
La récente étude publiée par l’observatoire des inégalités en est d’ailleurs un démenti criant en ce qu’elle révèle que :

  • L’obésité est deux fois plus répandue dans les catégories les moins favorisées (13,8 % chez les ouvriers, 13,2 % chez les employés) que dans les catégories plus aisées (7,1 % pour les cadres supérieurs),
  • Le revenu est un facteur important. L’obésité concerne 18 % des adultes vivant dans un foyer aux revenus inférieurs à 1 200 euros, contre 5,4 % de ceux qui ont un revenu mensuel supérieur à 5 301 euros.
  • Le niveau de diplôme joue un rôle encore plus important dans la détermination des pratiques alimentaires.[source]
Vous m’accorderez qu’il ne s’agit pas d’une grande découverte… Dans un autre domaine, le droit pénal Français qui est mieux que tout autre le lieu de la responsabilité reconnait la nécessité que la sanction pénale soit adaptée et donc modulée par le juge en fonction de la nature de celui qu’elle va frapper.

L’édito de Christophe Barbier sur les obèses c’est de l’opinion qui veut se faire passer pour de la raison, du pseudo bon sens populaire déguisé en analyse politique, une « grossophobie » qui ne résiste pas plus à l’analyse qu’elle ne tire ses propres conséquences.

A raisonner avec un pareil cynisme trouvera t’on demain admissible d’annoncer  aux fumeurs atteints d’un cancer qu’il est inadmissible que la sécurité sociale prenne en charge leur maladie car ils n’ont pas pris à temps les mesures pour que « leur corps ne crée pas des problèmes à la collectivité » ?

De grâce, Christophe… -je peux vous appeler Christophe ?-  vous ne pouvez pas sérieusement penser (j’insiste sur ce mot) ce que vous avez dit. 
Prenez des vacances, si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour les lecteurs de l’Express.

Laisser un commentaire