Billets, societé

Oeil au beurre noir pour mariage gris

Vous n’avez sans doute pas échappé à la tempête médiatique qu’a déchainé le récent communiqué d’Éric besson au sujet des « mariages gris ». 

Dans la négative, voici un extrait dudit communiqué : 

Éric BESSON, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a engagé mercredi 18 novembre 2009 une réflexion relative aux mariages frauduleux où l’un des deux époux a l’intention de mener une vie commune et de fonder une famille, et est abusé par l’autre. Ces femmes et ces hommes sincères, dont beaucoup sont des ressortissants étrangers en situation régulière ou des Français issus de l’immigration, se retrouvent pris au piège et souvent victimes de pressions et de violences morales et physiques. Ce type d’union frauduleuse est souvent dénommée par les experts, les juristes, et les victimes elles-mêmes, « mariages gris », pour les distinguer de la catégorie générale des « mariages blancs ».

Alerté par un nombre croissant de victimes, Eric BESSON a confié à Claude GREFF, Députée d’Indre-et-Loire, la charge de conduire ces travaux, et décidé de conclure une convention avec l’Association Nationale des Victimes de l’Insécurité, afin de mettre en place un site Internet permettant de recueillir les témoignages des victimes et de les faire bénéficier de conseils. »  [source]

Le danger lorsqu’on évoque le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire c’est toujours d’avoir une réaction épidermique, purement émotionnelle. 

Quiconque connait peu ou prou un étranger qui a été confronté à cette administration sait bien dans quelle mesure elle peut avoir tout en commun avec les machines inhumaines chères à Kafka.

Prenez M. X par exemple dont j’ai eu à connaitre l’histoire récemment. Voilà un Monsieur qui a rencontré une femme, de nationalité étrangère et décide de l’épouser. 

M. X est une figure de sa communauté, un homme très respecté, de sorte qu’est organisé un mariage traditionnel somptueux. 
Intrigué par ce mariage « suspect » d’un francais avec une étrangère plus jeune que lui, l’officier d’etat civil informe le Procureur de la République. 
Ce magistrat dispose en effet d’un pouvoir d’opposition porévu par l’article 175-2 du code civil, précisément pour empècher les mariages « blancs ».

Dans le cas de M. X, il ne trouve rien à redire et le mariage est prononcé sans accroc.Puis, Mme X. retourne dans son pays.

Pas parce qu’elle souhaite y retourner et se séparer de son époux. Au contraire, elle rentre dans son pays afin de solliciter du consulat Francais un visa long séjour qui lui pemette de résider régulierement en France avec son époux. Cette procédure est prévue par l’article L 211-2-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un texte assez aride qui peut etre synthétisé comme suit : 

Le conjoint étranger d’un ressortissant français a l’obligation de demander, s’il souhaite entrer et résider par la suite régulièrement en France, un visa supérieur à 3 mois, dit de « long séjour » dans son pays de résidence. L’ambassade ou le consulat français ne peut le lui refuser qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage, de menace à l’ordre public ou de non production de l’attestation de suivi de formation à la langue française et aux valeurs de la République. [source]
Mme X. passe avec succès les épreuves portant sur la connaissance de la langue francaise, aussi bien que celles qui concernent les valeurs de la République (sic).
Pourtant, le consulat, aussi méfiant que l’officier d’Etat civil sollicite une enquète. 
M. X. voit donc débarquer la police sur son perron, armée d’une foule de question et de mains baladeuses bien décidées à fouiller son domicile si bien rangé.   Quelques jours plus tard, le consulat informe Mme X du refus de son visa à raison des motifs suivants : 

  • pas de preuve au domicile d’une communauté de vie effective (Mme X a emporté ses vetements et sa brosse à dents lorsqu’elle est retournée dans son pays)
  • pas de preuves épistolaires de relations suivies depuis la séparation (M. X appelle tous les jours son épouse depuis un « Taxiphone » mais serait bien en peine de la prouver)
  • pas de réelle volonté de vivre ensemble (M. X n’a pris que deux fois l’avion pour aller voir son épouse en deux mois de séparation)

J’aimerais bien vous raconter la fin de l’histoire, vous dire qu’ils ont vécu heureux et fait plein de beaux enfants, mais il est trop tot pour ca. 
M. X a exercé un recours à l’encontre de la décision du consulat, mais il faudra de longs mois avant que les dizaines de photographies que possède M. X, la trentaine d’attestations de proches et toute son energie parviennent à prouver la réalité de ses sentiments.

Ceci pour vous dire que l’attitude du Ministre lorsqu’il évoque le problème des mariages frauduleux est assez cocasse tant le système en vigueur multiplie les controles à l’excès.
Ne reste plus qu’à espérer que le zélé Ministre ait dans ses tiroirs  un « amouromètre » qui nous rendrait bien service à tous…

Pourtant, il serait naif de nier la réalité du problème.
Puisque je suis en verve, je vais vous raconter une autre histoire.

Mais avant il faut que vous ayez connaissance de l’article L313-11-4° du CESEDA qui dispose :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit (…) A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été transcrit préalablement sur les registres de l’état civil français. [source]

lIl faut aussi que vous sachiez que, quelques dispositions plus loin se trouve un article L313-12 qui précise que : 

La carte délivrée au titre de l’article L. 313-11 donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l’article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n’ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences conjugales qu’il a subies de la part de son conjoint, l’autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l’étranger et peut en accorder le renouvellement. En cas de violence commise après l’arrivée en France du conjoint étranger mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » (…) [source]
Voilà un principe salvateur qui empêche un époux indélicat de maintenir son épouse de nationalité étrangère dans la crainte d’une expulsion si elle se refuse à subir des traitements indignes.
Un principe salvateur, certes mais aussi une ficelle bien pratique pour celles-qui souhaitent utiliser le mariage à la seule fin d’obtenir un titre de séjour. 

Je parlais l’autre jour avec un jeune Avocat habitué des « permanences pénales »qui m’a confirmé rencontrer de plus en plus en plus de maris sous le coup de plaintes pour violences conjuguales déposées quelques jours seulement après l’arrivée de l’épouse sur le territoire francais.

 
Ces affaires ont également en commun le fait que :
  • l’époux nie en bloc les violences
  • les marques de coups sont minimes (de simples bleus) sans que l’on puisse determiner précisément leur origine
En somme, c’est « parole contre parole ». 
Dans chacun de ces cas, l’épouse fraichement débarquée a immédiatement déposé une demande en divorce et obtenu un titre de séjour sur le fondement de l’article L 313-12 du CESEDA.
Quant aux époux, j’en ai vu quelques uns condamnés à des peines de prison avec sursis, et aujourd’hui encore je nourris de sérieux doute sur leur culpabilité.

Décidément, à cette histoire aussi il lui manque une chute. Désolé,  je n’y peux rien si la réalité est moins « carrée » que la fiction. 

Mais il a au moins raison sur un point Eric Besson, cette question est une zone grise. 
Or une zone grise c’est à mon sens un lieu dans lequel il serait vaniteux de prétendre déceler la vérité des sentiments et la traduire dans le marbre de la loi.

 

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