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J’ai perdu toute latitude [actu fiction]

Il est là, devant moi, posé sur le tableau de bord et il me regarde. 
Non, c’est mon imagination qui en rajoute. 
Mon téléphone ne me regarde pas. 
Mais eux grâce à lui me suivent et eux savent à peu près tout de moi.
Mon téléphone est sur moi à toute heure mais c’est eux qui ne me quittent plus. 

C’est Alice tout d’abord qui m’a demandé d’installer ce système révolutionnaire de géoocalisation grâce au téléphone portable. 
Ça paraissait sympathique au début selon l’argumentaire de la société qui distribuait le service, et gratuit au surplus. 
Tout cela est encore si frais dans ma mémoire, ça disait :
 Latitude permet de suivre à la trace les pérégrinations de sa famille, de ses amis, et de n’importe lequel autre de ses contacts sur une carte Google Maps, et d’être suivi à son tour. « Désormais, vous saurez si votre épouse est coincée dans les embouteillages, si un de vos copains est en ville pour le week-end, ou vous rassurer en découvrant que l’avion d’un proche est bien arrivé à destination » [source]
Alice avait employé des arguments auxquels je n’avait rien su objecter, m’avait dit que ça allait être « marrant », « pratique pour se retrouver » et aussi que « lorsqu’on s’aime on n’a rien à se cacher ».
Alors moi, aussi bête que peut l’être un homme amoureux j’ai obtempéré. 

 
Au début c’était marrant c’est vrai. 
On s’amusait à se rendre à l’autre bout de la ville, à s’asseoir à une table de restaurant avant d’appeler l’autre dans une sorte de jeu de piste permanent.
Moi je ne me sentais pas prisonnier, pas surveillé le moins du monde. 
A tout moment je savais que je pouvais éteindre le système et reprendre mon petit quotidien anonyme.
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Pourtant, c’est précisément lorsqu’un jour l’envie m’en a pris que les choses se sont gâtées. 
Car pour Alice, si j’avais décidé de couper le système de Geolocalisation ce devait être pour des raisons clairement identifiables, de ces raisons qui ne s’accordent qu’au féminin pluriel.

L’espace d’un instant, j’avais eu envie de lui dire que j’avais coupé le système pour simplement économiser la batterie de mon téléphone vieillissant, ce qui était d’ailleurs la vérité toute nue.
Pourtant je me suis tu, déjà persuadé de la vanité d’une quelconque réponse à ses doutes.

Lorsqu’elle est partie, elle a laissé une lettre, et mon téléphone portable aussi, posé en plein milieu de l’enveloppe. 
L’espace de quelques jours, je me suis cru libre à nouveau.
Le départ d’Alice m’avait laissé étrangement serein. 

C’est seulement lorsqu’un lundi matin, fraichement arrivé au bureau, j’ai trouvé un nouveau téléphone sur le clavier de mon ordinateur que j’ai commencé à comprendre que les ennuis ne faisaient que commencer. 

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