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Dialogue avec mon avocat [actu-fiction]

Il s’appelle Vincent, et il n’est pas très à l’aise.
Tout autour de lui des gens sont assis et feuillètent des magazines.
C’est somme toute assez habituel dans une salle d’attente.
Et puis il y a cette sexagénaire qui parle si fort, et martèle a son fils qui ne doit pas avoir quarante ans, que oui elle a eu raison de le convaincre de venir. Qu’il n’a plus d’autre choix que divorcer, qu’il aurait dû l’écouter quand elle lui avait dit. 
Vincent se retient de sourire. paradoxalement leur présence à ces deux là le rassure. Elle l’aide à faire taire ce sentiment qui ne le quitte pas depuis qu’il est rentré, ce sentiment que tous autour savent pourquoi il est là. 

Enfin la porte s’ouvre et laisse place à une silhouette élancée surmontée d’un visage souriant ponctué de fines lunettes cerclées d’or. 
Passées les salutations d’usage Vincent s’assoit face au bureau et commence à parler. Nerveux, il tâtonne un instant avant de sortir une page froissée de sa poche intérieure. 
L’avocat s’en empare et en prend connaissance rapidement, en homme qui sait comment lire, quoi chercher. 
Très vite sa tête se relève, ses yeux sont d’un vert intense. Il s’empare d’un bloc à sa droite et commence à y inscrire de brèves annotations.
Puis il pose la première question.
En réponse, Vincent commence à lui raconter son histoire. 

 

Le premier Janvier 2015 à trois heures du matin il se trouvait dans ce bar. 
Ça avait commencé par une cigarette qu’il avait voulu fumer au chaud. Puis le patron était arrivé et lui avait demandé d’éteindre la clope sur un ton qui ne lui avait pas plu. 
Vincent s’était levé dans un réflexe de colère, pour ne se rappeler qu’une fois debout que ses 63 kilos auraient le plus grand mal à impressionner le tenancier. 
Il s’était fait raccompagner à la sortie. En chemin il avait crié sa colère à qui avait voulu l’entendre, et aux autres aussi. 
Puis la porte s’était ouverte et l’autre l’avait pris par le col.
Vincent ne s’était as défendu, il en aurait été bien incapable. 
A sa droite, pierrot, le clochard qu’il croisait chaque jour devant la poste à cinq heures rigolait sous son bonnet.
Et là, l’impossible s’était produit, le pied du tenancier avait buté contre une irrégularité d’un trottoir avant de s’effondrer sur le trottoir verglacé soudain teinté de rouge. 
A demi ivre et totalement paniqué Vincent avait fui. 
Il s’était laisser guider sans résistance lorsque les gendarmes avaient sonné à six heures du matin. 
 
 
L’avocat interrompt sa prise de notes et demande :
  • Le fameux Pierrot, il a été interrogé ? 
  • Non, je leur en ai parlé, il ne m’ont pas cru et lui il refuse de s’en mêler. 
  • Comprenez bien, vous allez être jugé devant le tribunal correctionnel pour coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Vous risquez un peine de prison ferme. 
  • Je sais. J’ai été voir Pierrot mais,il refuse  de témoigner. Et le procureur  refuse de me croire. Il ne veut pas envoyer ses gars à travers la ville à la recherche d’un clodo alors qu’il ne me croit pas. 
  • Écoutez, je vais commander une copie du dossier au parquet. Tant que je ne l’ai pas reçue je ne peux pas me prononcer. Mais, s’il ne contient que les témoignages des clients du bar vous vous doutez qu’on va avoir un problème.
  • Je comprends. Mais. Enfin, j’espérais que vous pourriez le forcer à témoigner. 
  • Je ne suis qu’avocat monsieur je ne peux forcer personne à faire quoi que ce soit.Je peux tout au plus faire citer ce monsieur à comparaitre en qualité de témoin… mais sans État-civil et sans adresse ça me parait compliqué.
  • Et je fais comment moi ? On ne peut pas demander au juge de le convoquer.
  • Monsieur, depuis 2009 nous sommes en France dans un système pénal accusatoire.  Il n’y a plus de juge d’instruction chargé d’instruire à charge et à décharge. C’est à vous et à vous seul d’amener les éléments de preuve à même de vous disculper. Pour citer ce qu’avait déclaré une ancienne garde  des sceaux à l’époque de cette réforme : 
« seuls face à un parquet puissant. Et seules les personnes qui auront un ou plusieurs avocats pouvant mener une contre-enquête auront des chances d’être défendues » [*]
  • Ce que vous êtes en train de me dire c’est que ça va être cher ?
  • Oui, nécessairement. 
  • Justement, je comptais demander l’aide juridictionnelle.
  • Alors autant que je vous le dise tout de suite, je le la prends pas. Un dossier pénal de ce type c’est beaucoup de travail, beaucoup de temps aussi. A l’aide juridictionnelle je perdrais de l’argent. 
  • Ah… Vous ne pouvez vraiment pas ? 
  • Je suis désolé… Je peux vous donner les coordonnées d’un confrère si vous le souhaitez… 
La fin de l’entretien est assez brève
Vincent, sort du bureau sans véritablement réaliser ce qui vient de se produire. 
Puis il descend les escaliers d’un pas lourd ; sonné. 
Il est seul à présent.
 

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